Sénégal: Spectacle Théâtre à Kaffrine - Sorano reconstitue la Bataille de Pathé Badiane

31 Janvier 2023

Vendredi dernier, la place du village de Kër Pathé (région de Kaffrine) a été transformée en scène pour la Compagnie nationale du Théâtre Daniel Sorano. Cette dernière a décentralisé son équipe depuis la capitale, dans le cadre du 11ème Fesnac, pour revisiter et interpréter la Bataille de Kër Pathé Badiane.

KAFFRINE

Il est presque une heure du matin. Le voile obscur de la nuit a fini de couvrir Kër Pathé. En association avec la lune, projecteurs et réverbères illuminent la spacieuse place du village. L'animation musicale, en renfort aux jeux de lumière, ameute les riverains qui prennent d'assaut le terrain vague. Certains habitants des hameaux environnants avaient aussi répondu présent. Qui, déboulant des sentiers sombres en petits groupes, sur des charrettes. Tout ce beau monde s'est placé en hémicycle devant une scénographie faite de cases et clôtures en paille essentiellement. Ces personnes étaient là pour voir et entendre une histoire qui les concerne aussi bien directement qu'indirectement.

Cette scénographie et les comédiens qui l'occupent téléportent l'assistance en fin novembre 1865. C'est dans le contexte des assauts impitoyables des colonisateurs français pour terminer de conquérir intégralement le Sénégal. Pas loin d'ici, dans le Nioro du Rip, un chef religieux et guerrier prend la résolution de freiner cette expansion impérialiste et, par-delà, d'islamiser le pays. C'est l'Almamy Maba Diakhou Bâ, et rien que son nom indispose déjà l'aise des armées françaises. D'autant plus que, en cette année 1865, il jouit du renfort de Lat Dior à qui il a offert l'exil et qui commande ses troupes, ainsi que celui de son parent Bourba Djolof, Alboury Ndiaye.

Une violence qui a presque paru vraie

Les comédiens de la Troupe dramatique, dans leurs costumes d'époque, rendent compte de ces instants d'Histoire. Leurs voix puissantes, grandement amplifiées avec la quiétude de la nuit et par la puissante sonorisation, en rajoutent à la gravité du sujet. Dans une performance pluridisciplinaire (avec l'Ensemble lyrique et le Ballet national), ils ont reconstitué même les confidences du bon Judas. Ce dernier, un autochtone traître des armées françaises, a déballé à Maba Diakhou Bâ la stratégie d'assaut des troupes de Pinet-Laprade.

Le marabout a ainsi pu penser un guet-apens qui va défaire la France et sa lourde artillerie. Ce piège est interprété par la Troupe dramatique dans une ambiance qui a emporté de diverses manières les spectateurs de Kër Pathé. Les comédiens se sont affrontés dans une violence qui a presque paru vraie. Ils se sont accrochés énergiquement, armés de fusils factices et de sabres fourchus.

Les pétards explosant au milieu de la scène sous les pieds des combattants ont encore plus électrisé les spectateurs et ravivé le moment. Ces derniers, instinctivement, boostaient les hommes de Maba Diakhou Ba contre les fantassins et goumiers français. Il n'y avait pas ces supporters exultant dans la Bataille de Kër Pathé en 1865, mais la victoire était bien effective. C'était la toute première victoire d'une armée locale après l'occupation coloniale, qui plus est devant 7000 fantassins, cavaliers et goumiers, canonniers sous les ordres du gouverneur général Jean-Marie Emile Pinet-Laprade.

Notre histoire racontée par nous-mêmes

" Ce qui est réjouissant, c'est le fait que nous ayons cette occasion de raconter nous-mêmes notre histoire. Elle nous a été souvent et presque toujours racontée par le colonisateur, les Occidentaux. Aujourd'hui, nous la racontons, et surtout en disant la vérité des faits ", a dit le metteur en scène Mamadou Seyba Traoré, au terme de la performance. L'histoire a en tout cas happé les spectateurs, dont la majorité découvre cette gloire et s'en glorifie avec grande fierté. C'était justement l'objectif recherché par le ministre de la Culture et du Patrimoine historique, à en croire le Directeur de la Compagnie nationale du Théâtre Daniel Sorano.

" Pr Aliou Sow a tenu à nous faire raconter ici cette histoire glorieuse. C'est une partie d'histoire trop méconnue des jeunes générations et même de leurs devanciers. Nous l'avons donc jouée pour renseigner les populations et en espérant inculquer des valeurs ainsi que le sens de bravoure et du devoir. C'était aussi important de la présenter ici à Kër Pathé, qui n'est pas loin de Pathé Badiane et de Nioro, fief de Maba Diakhou Bâ ", a réagi Ousmane Baro Dione, directeur du théâtre national. Ce dernier n'a d'ailleurs pas boudé sa fierté devant la prestation plurielle et majuscule de sa compagnie.

Après la présentation des distributeurs du spectacle, un podium musical traditionnel a poursuivi la veillée culturelle. Les cantatrices de l'Ensemble lyrique du Théâtre national Daniel Sorano se sont principalement succédé au micro. C'était sous les rythmes des tam-tams, tama et balafon, et les mélodies des flûtes et xalam. Yandé Gning, la " diva sérère " de Sorano, a eu l'heur d'insister sur le folklore de l'événement et d'affirmer la fibre culturelle de l'auditoire. Sa parade lyrique n'a pas soulevé que les Sérères. Tout le monde, comme une seule unité identitaire, s'est laissé aller à ses phrases. Les uns pour l'appel du sang, les autres au gré du principe national et du cousinage à plaisanterie. Tous les chanteurs communautaires qui ont suivi ont stimulé les leurs.

Cet enchaînement spectaculaire a exposé une saine émulation avec un magma de richesses culturelles qui définissent la culture sénégalaise. De quoi réjouir le ministre de la Culture et du Patrimoine historique, Pr Aliou Sow, qui a salué la gloire des devanciers avec la victoire de la Bataille de Pathé Badiane et " la belle pluralité culturelle qui fait la beauté et l'avenir du Sénégal ". La fête s'est passée en présence du ministre bissau-guinéen de la Culture et du maire de Kaffrine et ministre de l'Urbanisme, Abdoulaye Saydou Sow.

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