Afrique: Yuri Pyvovarov, Ambassadeur de l'Ukraine au Sénégal - " Nous allons ouvrir prochainement 10 nouvelles ambassades en Afrique "

2 Février 2023
interview

Le conflit Russo-Ukrainien va boucler sa première année le 24 février prochain.

Dans cet entretien accordé au quotidien national " Le Soleil ", l'ambassadeur de l'Ukraine au Sénégal, Yuri Pyvovarov revient sur l'évolution de cette guerre, la position des leaders africains et sur la posture du Président en exercice de l'Union africaine (Ua), Macky Sall, chef de l'État du Sénégal. Le diplomate annonce aussi l'ouverture prochaine d'une dizaine d'ambassades en Afrique pour renforcer la présence ukrainienne sur le continent.

Cela fera bientôt un an que la Russie a envahi l'Ukraine. Comment analysez-vous l'évolution de la position de l'Afrique sur ce conflit ?

Au cours de la première année de guerre russe en Ukraine, la position de l'Afrique dans son ensemble a quelque peu changé. Pour la première fois, aucun État africain n'a voté contre la résolution de l'Assemblée générale de l'ONU condamnant cette invasion. De plus en plus, les pays africains commençaient à mieux comprendre les véritables raisons et, surtout, les conséquences de cette guerre contre l'Ukraine. Et cela, à travers le prisme de choses spécifiques. Je veux dire le risque d'une crise alimentaire en Afrique due au blocage par des terroristes russes de la plupart des ports maritimes ukrainiens.

Pratiquement tout le monde en Afrique a déjà ressenti les problèmes de la guerre russe en Ukraine, qui, qu'on le veuille ou non, affecte les économies des pays du continent africain. Le niveau de pauvreté augmente, le nombre de personnes affamées augmente. Mais malgré la guerre, l'Ukraine ne permettra pas la famine en Afrique. Je crois que la position de certains pays africains évolue très lentement. Et leurs appels prudents à mettre fin à la guerre uniquement dans l'intérêt d'exportations ininterrompues d'engrais, de céréales ou de maïs vers l'Afrique sont très peu convaincants.

À mon avis, il faut avoir le courage et condamner haut et fort l'agression russe. Il ne faut pas craindre les envahisseurs russes. Nous devons comprendre que le monde change sous nos yeux. Il faut aussi comprendre qu'aujourd'hui la " neutralité " ou " l'équidistance " ne fait que montrer que la Russie fait ce qu'elle veut. Et cela pousse ce pays à commettre de nouveaux crimes.

N'avez-vous pas eu le sentiment d'avoir un peu négligé l'Afrique sur le plan diplomatique avant et juste après le déclenchement de la guerre ?

Je crois qu'avant le 24 février 2022, nous n'avions pas de dialogue politique et diplomatique très actif avec l'Afrique. Cela s'explique par de nombreuses raisons, principalement d'ordre financier, qui ont limité notre présence diplomatique en Afrique. Cependant, après le début de cette guerre russe à grande échelle en Ukraine, notre doctrine en matière de communication avec l'Afrique a changé.

Nous sommes devenus beaucoup plus proactifs en transmettant à nos partenaires africains les véritables informations sur la guerre et sur la Russie. Nous allons certainement changer la situation pour le mieux. Nous allons ouvrir, prochainement, 10 nouvelles ambassades d'Ukraine en Afrique.

Il est vrai que le conflit en Ukraine est particulier, mais comprenez-vous ceux qui en Afrique font le parallèle avec les autres conflits sur le continent, déplorant le manque de sensibilité de l'Occident ?

Je peux les comprendre. Mais la guerre en Ukraine est d'une échelle complètement différente, d'une idéologie différente, de ressources différentes. C'est une guerre des civilisations et des visions du monde. Ce n'est pas un conflit local qui se déroule quelque part très loin, en Europe.

Je suis convaincu que non seulement l'Europe, mais aussi l'ensemble du monde démocratique et civilisé, y compris l'Afrique, doivent arrêter Poutine. Il cherche à changer l'ordre mondial, mais il est tout à fait évident qu'il n'y parviendra pas. Il a déjà perdu. Il ne fait aucun doute que s'il gagne, il ira plus loin.

Ces derniers mois la diplomatie ukrainienne a déployé beaucoup d'efforts pour convaincre les Chefs d'État du continent. Avez-vous senti un changement de perception des Africains sur ce conflit ?

Comme je l'ai déjà dit, le changement de position parmi certains pays africains est évident. On peut appeler cela un progrès, mais ce progrès doit être plus rapide. Je veux vraiment que nos partenaires africains se réveillent enfin et condamnent cette guerre haut et fort. En adhérant aux sanctions internationales, en mettant fin à la coopération avec la Russie. Mais cela, comme on le sait, nécessite de la détermination et de la volonté politique.

Des dirigeants africains appellent régulièrement à une résolution négociée du conflit. Êtes-vous ouverts à une médiation venant de l'Afrique ?

Primo, nous n'avons jamais refusé de négocier. Secundo, on ne peut jamais faire confiance à la Russie. En Ukraine, nous avons eu de nombreuses expériences négatives dans les négociations avec les russes. Par conséquent, aujourd'hui, il n'est pas question de négocier.

Tout le monde comprend que ce n'est que pour faire une pause et se regrouper pour de nouvelles attaques militaires contre l'Ukraine. La seule solution, c'est uniquement des armes, beaucoup d'armes, et uniquement une attaque massive contre les Russes dans le but de les expulser de notre territoire vers les frontières de 1991. Et puis on verra.

Comment jugez-vous les initiatives prises par Macky Sall en tant que président de l'Union africaine, notamment pour le déblocage de l'importation de céréales russes et ukrainiennes ?

Les initiatives du Président Macky Sall sont logiques, claires et bénéficient du soutien des pays africains. Il est évident que l'Afrique a besoin de céréales ukrainiennes, de maïs, d'engrais, etc. Nous voulons et nous pouvons exporter des céréales vers l'Afrique et nous le faisons malgré la guerre russe. Il faut comprendre que les problèmes liés au blocage des produits alimentaires dans les ports ukrainiens sont une conséquence de l'agression russe.

Les problèmes d'importation d'engrais et de céréales russes sont la conséquence de sanctions internationales équitables, qui, à mon avis, ne suffisent pas pour que l'économie du pays agresseur ressente la guerre. Donc, en réalité, la recette pour débloquer l'exportation des produits vers l'Afrique est simple. Les Russes doivent arrêter la guerre et quitter le territoire ukrainien. Ensuite, les sanctions internationales imposées à la Russie seront levées et la vie s'améliorera.

Quel est l'avenir de l'accord dit de la Mer Noire qui justement avait permis la reprise des exportations de céréales ukrainiennes dont l'Afrique a toujours besoin ?

L'Ukraine a déjà exporté plus de 2 millions de tonnes de blé et nous continuerons à le faire. Nous ne permettrons pas une crise alimentaire mondiale, en particulier en Afrique. La Russie sabote régulièrement les négociations, fait de nouvelles demandes absurdes, spécule sur la situation, etc. Cependant, le processus continu. Nous, avec l'aide de nos partenaires et de l'Onu, essayons de mener notre ligne et d'assurer la bonne exportation de notre blé vers les pays africains qui en ont le plus besoin.

Le conflit entre bientôt dans sa deuxième année. Qu'attendez-vous de l'Afrique si la guerre venait à s'installer sur la durée ?

Nous attendons de l'Afrique une position plus forte et plus articulée concernant la condamnation de la guerre russe en Ukraine. Mais nous n'avons pas seulement besoin de mots, mais aussi d'un soutien concret de l'Afrique à la fois maintenant, pendant la guerre, et plus tard, après la guerre, lorsque le monde aidera à reconstruire l'économie de l'Ukraine.

Et les pays africains, en particulier le Sénégal, ont aujourd'hui une telle opportunité. Il s'agit de la formule de paix proposée par le Président Zelensky au sommet du G-20 et visant à mettre fin à la guerre russe en Ukraine. La formule de paix comprend 10 mesures concrètes, dont la sécurité énergétique, la sécurité nucléaire, la sécurité alimentaire, la libération des prisonniers et des déportés, le retrait des troupes russes et la cessation des hostilités, et bien plus encore.

Nous avons proposé au Sénégal de participer à la mise en œuvre de l'étape " Sécurité alimentaire ", qui permettra à votre pays d'adhérer en tant que participant à plusieurs programmes internationaux visant à prévenir la crise alimentaire et la faim en Afrique. Cela s'inscrit parfaitement dans les initiatives du Président Macky Sall. Nous attendons une réponse de la partie sénégalaise dans un proche avenir. J'espère que la réponse sera positive.

Il y a un peu plus d'une semaine, une délégation du ministère de l'Agriculture de l'Ukraine a été à Dakar pour une visite de travail. Quels sont les axes de cette coopération entre les deux pays dans ce domaine ?

Dans le cadre de sa tournée africaine, le ministre Ukrainien de l'Agriculture s'est rendu à Dakar. L'un des objectifs de sa visite était de discuter avec des partenaires sénégalais de la possibilité de créer un hub logistique pour les céréales ukrainiennes dans le port de Dakar.

Le ministre Ukrainien a eu des entretiens fructueux avec le ministre de l'Agriculture, celui de la Pêche et le Président de la Chambre de Commerce et d'industrie de Dakar, et a également visité le port de Dakar, où il s'est familiarisé avec ses installations de production. Des accords ont été conclus dans un certain nombre de domaines, comme l'agriculture. Des accords qui ont été fixés dans un mémorandum bilatéral entre les ministères de l'Agriculture de nos deux pays.

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