Cameroun: La qualité de l'eau distribuée à Yaoundé suscite des appréhensions

2 Février 2023

YAOUNDÉ — Dans un rapport publié récemment, la Cameroon Water Utilities (Camwater), la société d'État chargée de la production et de la distribution de l'eau potable au Cameroun révèle des défaillances et dysfonctionnements à la station de production et de traitement située à Akomnyada.

Le problème porte sur le dispositif d'ultrafiltration où de l'eau brute est traitée à l'aide de produits chimiques pour la rendre potable avant d'être distribuée aux ménages.

Seulement, révèle le rapport, ces produits ne sont pas toujours utilisés de façon adéquate. C'est le cas du chlorure ferrique et de la soude 50 % dont la Camwater reconnaît la " non maitrise " des volumes au niveau des postes de dosages.

L'autre dysfonctionnements majeur signalé dans ce document est le déversement des eaux contenant du chlorure ferrique dans la nature à cause de l'absence de canalisation des eaux usées à certains endroits du système de drainage de la station de captage.

À la lumière des informations contenues dans ce recueil de dysfonctionnements, des experts en eaux consultés émettent des doutes sur la qualité de l'eau qui sort de cette station à destination des populations de la capitale camerounaise.

" L'eau qui coule des robinets est très souvent chargée de nombreuses particules solides, colorée et souvent boueuse ", décrit Marc Anselme Kamga, manager environnemental et chercheur au Centre pour l'environnement et le développement (CED).

À Yaoundé notamment, " elle est de très mauvaise qualité ", martèle Raoul Joël Kamdjo, hydrobiologiste et expert en adduction d'eau potable, traitement, analyse et qualité des eaux.

Selon Emmanuel Atangana, chef de la division information et communication à la Camwater, ces dysfonctionnements soulevés dans le rapport sont " le cœur des problèmes ". C'est que, cette situation a des conséquences sur l'environnement et la santé des populations.

En fait, le chlorure ferrique, produit chimique très utilisé dans l'épuration des eaux usées " a une forte empreinte négative sur l'environnement et la santé humaine. C'est un produit très toxique pour la vie aquatique et la biodiversité en général ", alerte Marc Anselme Kamga.

D'après les explications de ce chercheur au CED, les eaux de la Camwater contenant du chlorure ferrique vont se retrouver dans la nature et polluer les sols environnants.

Dysfonctionnements

Toutefois, de l'avis de Marc Anselme Kamga, le rapport aurait été plus intéressant s'il était plus explicite sur " les dangers que représentent ces dysfonctionnements dans le réseau de distribution et indiquer les quartiers et zones précis où ces défaillances sont observées ".

Ainsi, " c'est à partir de là, qu'on pourrait éventuellement évaluer avec précision, car ces données peuvent servir à savoir quels sont clairement les ménages les plus affectés, les rivières et les sols susceptibles d'avoir été pollués et de prendre des mesures concrètes pour limiter ces impacts ", poursuit-il.

Pour ces observateurs externes, le rapport élude aussi certains aspects de la situation qui prévaut à la station d'Akomnyada, construite en 1985. " Ce rapport reste très muet sur la nature de ces conséquences et leur véritable impact sur la santé humaine ", critique par exemple Marc Anselme Kamga.

Or, " avec les drainages favorisés par les eaux de pluie, le produit va très vite se retrouver dans les eaux de rivières qui sont très souvent utilisées par les populations pour divers services avec des risques directs sur la santé des populations, car il a une très forte concentration en zinc, manganèse et chrome ", explique ce dernier.

Une vue de la station de traitement d'eau d'Akomnyada à Yaoundé. Crédit image : Camwater.

A en croire Marc Anselme Kamga, " une exposition à une eau contaminée par le chlorure ferrique ou sa consommation peut provoquer de graves lésions des yeux, des irritations cutanées, des allergies, des indigestions et même des problèmes respiratoires chez l'être humain... ".

L'avis du médecin de santé publique sollicité est plus étayé. " Les conséquences immédiates sont la recrudescence des maladies hydriques (diarrhéiques) suite à la présence de germes microbiens liés à des insuffisances dans la potabilisation de l'eau ", précise Daniel Thierry Belinga, médecin de Santé publique.

" D'autres maladies non transmissibles comme les calculs rénaux par exemple peuvent être liées à la teneur élevée de certaines substances chimiques. Enfin, cette eau douteuse peut avoir des propriétés organoleptiques qui peuvent affecter le goût, la couleur et l'odeur. Cette eau sera donc désagréable à boire ", prévient ce médecin qui est par ailleurs chef du district de Santé de Soa, près de Yaoundé.

Au regard de tout cela, Daniel Thierry Belinga prescrit donc aux populations de la potabiliser. Filtration, ébullition et javellisation sont notamment ses consignes.

Difficultés

Dans la même lancée, l'hydrobiologiste et expert en adduction d'eau potable, Raoul Joël Kamdjo, constate que le rapport ne parle pas du personnel non qualifié et des difficultés de pour avoir les réactifs nécessaires au traitement de l'eau.

Aux yeux de ce consultant en service chez BTD Proyectos Cameroun (branche camerounaise de la multinationale Espagnole spécialisée dans l'hydraulique et la réhabilitation des stations de traitement au Cameroun et en Afrique), cette lacune n'est pas anodine.

Car, dit-il, " il y a un manque accru de personnel qualifié pour assurer la maintenance des appareils et pour le traitement de l'eau ". Contacté, M. Efaya, Directeur régional Camwater pour la région de Yaoundé, par ailleurs l'un des rédacteurs de ce rapport, n'a pas souhaité s'exprimer sur la question.L'État du Cameroun a investi près de quatre milliards de FCFA dans cette infrastructure. Ces fonds publics ont été déboursés dans deux projets (2009 et 2013) de réhabilitation et d'extension de cette station de traitement et de pompage d'eau potable.

Mais cet investissement n'a pas produit les résultats attendus au plan qualitatif et quantitatif. En effet, " depuis la fin des travaux en 2017, la station d'Akomnyada n'a jamais produit le volume escompté (300 000 m3 par jour) ".

Officiellement, les autorités camerounaises ne se sont pas encore exprimées sur cette affaire. Toutefois, à en croire Emmanuel Atangana la principale option maintenant est de lancer une troisième réhabilitation.

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