Burkina Faso: Terrorisme - Quand les marchands de bétail bouffent de la vache enragée

Ce sont les jours précédant les fêtes qu'ils ont le vent en poupe.

En ces périodes, ils sont en effet pris d'assaut par une clientèle qui se bouscule, qui pour sacrifier à un rituel, qui pour offrir un présent à des connaissances.

Mais le 11 janvier 2023, on était un peu loin de ce moment festif. Les ventes tournent au ralenti et leurs affaires ne font que dégringoler depuis que l'hydre terroriste a pris pied au Burkina. Eux, ce sont les marchands de bétail de la ville de Ouagadougou qui sont à la fois confrontés à une raréfaction des ruminants en provenance des zones minées par le terrorisme et à bien d'autres goulots d'étranglement.

Assis sur sa moto, Salif Sawadogo marchande les prix de trois chèvres à un monsieur vêtu d'un blouson, tout poussiéreux. Cet homme qui n'est pas un " permanent " du marché de bétail de Kilwin vient juste d'arriver d'Arbollé (ndlr : dans la province du Passoré) avec les trois chèvres en question et pense certainement rebrousser chemin dans les plus brefs délais. Mais ça coince. Pourquoi ? Parce que Salif n'entend pas lui acheter ces animaux aux prix souhaités.

Les arguments sont sortis de part et d'autre pour montrer la bonne foi. Morceaux choisis : " Le prix du carburant a augmenté. 4000 francs d'essence me permettait de venir dans la capitale et de repartir tranquillement. Mais actuellement, il me faut 7500 à 8000 francs pour faire le même trajet. De plus, les localités sont de plus en plus inaccessibles du fait de l'insécurité. Il faut ajouter un peu pour qu'on s'entende.

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Nous les revendons souvent à perte ", dit le vendeur. Et Salif de répliquer : " Nous, nous les abattons pour les revendre à nos clients. Une clientèle qui se plaint de la cherté de la vie d'une manière générale ". La discussion se poursuit sans que nous ayons eu le fin mot de l'affaire jusqu'à prendre congé de Salif et de son interlocuteur.

Si cet interlocuteur n'est pas un permanent du site, Abdoulaye Guira, lui, y a déjà passé un quart de siècle. Il y a de moins en moins de bétail en " brousse " et ici en ville, les clients se comptent sur les doigts de la main, affirme le revendeur. Du temps où il faisait bon vivre, Djibo, Ouahigouya, Youba, Toéni, entre autres, étaient des points d'approvisionnement de petits et de gros ruminants.

" De nos jours, c'est Dori qui est un peu plus sûr mais le déplacement se fait la peur au ventre. Nous sommes réduits à nous rendre à Yako, à Arbollé et à Mogtedo ", indique Abdoulaye devant un groupe de curieux et dans une atmosphère où les bêlements des ovins et des caprins s'entremêlent. Et d'ajouter qu'il y a des jours avec et des jours sans. " Nous venons par moments pour la causette du matin au soir, mais rendons grâce à Dieu car jouissant d'une pleine forme ", insiste-t-il. La chèvre la moins chère est cédée à 25 000 francs CFA et il vous faut débourser 40 000 francs pour repartir avec une bête digne de ce nom. Pour un bélier qui force le respect chez le sieur Guira, vous devez décaisser au minimum 100 000 francs.

En 26 années d'activité, son constat de nos jours est de plus en plus amer. Les affaires périclitent d'année en année et il n'y peut rien si ce n'est d'invoquer Dieu pour un retour à la normale le plus vite possible. Ses prières vont également à l'endroit des autorités du pays qui ont fait de la lutte contre le terrorisme leur cheval de bataille.

Dans les dédales de ce site construit il y a dix ans et qui abrite présentement plus de 300 vendeurs contre 60 au départ, le responsable du marché de bétail de Kilwin et président de l'association des marchands, Ousmane Kaboré, lui, aussi ne dit pas autre chose dans ce climat de morosité qui déteint sur tous les secteurs d'activités.

Bien qu'il n'ait pas un répertoire journalier sur les sorties d'animaux, il évalue à une cinquantaine le nombre de gros ruminants qui quittent l'infrastructure et à une centaine celui des petits ruminants. Outre la crise sécuritaire qui leur fait bouffer de la... " vache enragée ", Ousmane Kaboré profite du pain bénit qui lui est tendu pour soulever d'autres préoccupations. " Nous avons un sérieux problème d'aires d'abattage. Dans toute la ville de Ouagadougou, la seule qui est reconnue reste celle de Kosssodo. Et tenez-vous bien, c'est donc une seule aire d'abattage pour les 5 à 6 marchés de bétail que compte notre cité qui ne fait que s'élargir. Si quelqu'un veut qu'on inspecte sa viande, il lui faut forcément se rendre à l'abattoir central.

Nous n'avons pas de vétérinaires ici non plus. L'Etat gagnerait plus à résoudre cette question parce qu'il n'y a que 10 % de la viande que nous consommons qui est contrôlée ", relate Ousmane. Il n'est pas de ceux qui cachent l'existence d'aires d'abattage " clandestins " et croit plutôt qu'il faut crever l'abcès. Il ne s'est d'ailleurs pas gêné de nous faire visiter leurs installations de fortune où des animaux sont immolés sur des terrasses nues et où des nuées de mouches se disputent les carcasses ou ce qu'il en reste, le tout dans un cocktail détonnant de déjections. Il estime le nombre de ceux et celles qui y tirent leur pitance quotidienne à plus de cent âmes.

Des espaces d'élevage pour inverser la tendance

Le cap est dans la foulée mis vers le marché de bétail de Tanghin où la situation d'ensemble n'est guère reluisante. Les parcs sont assez fournis pour l'œil du visiteur non avisé mais les bêtes selon leurs propriétaires ne courent plus les rues. Boureima Tapsoba qui a pratiquement " poussé " ses premiers cris en ces lieux parle aussi des difficultés d'approvisionnement.

C'est bien loin le temps où il empruntait les routes pour Djibo, Gorom-Gorom, Markoye, Titao, Youba. Seulement Dori offre, de nos jours, des possibilités de ravitaillements mais à quel prix ? " Les prix y sont vraiment élevés. Ce que nous avions à 70 000 francs a été majoré de 30 000. Pour un animal de 100 000, ajoutez-y 50 000 francs.

Si actuellement, on vous vend un mouton à 50 000 francs, vous n'en croirez pas vos yeux ", déplore Boureima. Il s'empresse de relever que la majeure partie des animaux trouvés sur le marché de Dori ne sont pas du terroir. Ils viennent essentiellement du Niger, à l'en croire, et c'est Dori qui sert de marché à beaucoup de pays voisins comme la Côte d'Ivoire, le Ghana, voire le Sénégal. Pour Boureima, le Burkina, à travers des stratégies, devrait reprendre sa place d'antan en matière d'exportation de bétail.

Et le vice-président du marché, Daouda Tenkodogo qui suivait les propos de son ami, lui, de renchérir en invitant les autorités du pays à jeter un regard sur ce business menacé d'extinction. Oui, vous avez bien lu et le mot n'est pas exagéré selon lui. " Nous ne sommes plus des fournisseurs de bétail, nous prenons tout du Niger actuellement.

Nos races ont pratiquement toutes disparu. La différence est nette rien qu'à travers un simple regard ", clame Daouda en pointant du doigt les races locales et celles étrangères. Pour lui, l'Etat doit soutenir les vendeurs, les éleveurs, à travers des financements et surtout en dégageant des espaces dans les sorties de la capitale. " Nous-mêmes, nous sommes prêts à nous lancer dans l'élevage parce qu'à ce rythme, nous n'aurons plus d'animaux. Nos brousses n'ont plus d'éleveurs ; ils sont pour la majorité devenus des déplacés internes.

Peut-on chercher à "élever" des gens qui veulent, eux aussi, élever des animaux ? Si on ne nous aide pas, nous allons tous subir les conséquences plus tard ", prévient Daouda, déterminé personnellement à inverser une tendance qui est des plus malheureuses et une désillusion qui gagne leur rang. Il n'a même pas fini de parler qu'on assiste à un spectacle pitoyable : à une quinzaine de mètres de nous, en effet, c'est le courroux d'un de ses voisins qui s'abat sur une pauvre bête pour, on ne sait quelle raison. L'air farouche et cordelette en main, l'homme soulève son bras et laisse la cravache s'abattre violemment sur le dos de l'animal qui s'est peut-être rendu coupable d'une "offense". Du dépit mal géré ? ...

Mais chez le président du marché de bétail de Tanghin, el hadj Yacouba Sawadogo, la situation est bel et bien intenable, cependant il n'y a pas de quoi fouetter un... mouton. Comme déboire personnel, il nous dit ceci : " Puisse Dieu alléger la situation de notre pays, tout le monde en souffre et on ne sait plus où donner de la tête.

De Noël à janvier, je vendais une centaine d'ovins mais cette fois-ci je n'ai pu écouler que 6. Cela fait 46 ans que je suis ici. Je n'ai jamais vécu cette situation ", déplore-t-il avant de terminer par une litanie de bénédictions pour la paix au Faso, pendant que deux autres jeunes nous chargent de dire à l'Etat que ses " marchés " ou commandes publiques ne leur parviennent pas.

Un peu plus loin, béquille en main, un " ancien journaliste " du troisième âge, lui, est face à un groupe de vendeurs qui se sont agglutinés autour de lui dans l'espoir de lui céder une bête. Le papy qui ne voulait pas dépenser plus de 45 000 francs CFA finira par donner 5000 francs de plus avant de repartir avec un mouton dont il avait impérativement besoin pour une cérémonie le lendemain. " Bah, c'est le temps, chaque période a ses contraintes et on n'a pas le choix. On n'y peut rien. Tous mes encouragements, bonne carrière dans votre métier et soyez des journalistes patriotes ", formule-t-il avant de s'éclipser.

" La majeure partie de la viande consommée à Ouaga est contrôlée "

(Dr Ra-sablga Dominique Sawadogo, Directeur général des services vétérinaires)

S'il est indéniable que de la viande non contrôlée circule dans la ville de Ouagadougou, le directeur général des services vétérinaires, lui, se veut formel sur un point : la majeure partie de la viande consommée par les Ouagavillois est bel et bien examinée avant d'atterrir dans nos assiettes. Le Dr Ra-sablga Dominique Sawadogo, ainsi qu'il se nomme, bat en brèche l'affirmation du responsable du marché de bétail de Kilwin. Son argumentaire : cette viande, en grande quantité, provient de l'abattoir de Ouagadougou où se trouvent des services vétérinaires dans l'optique de s'assurer de la qualité du produit.

De plus, toutes les communes de la capitale, à l'écouter, disposent d'aires d'abattage où sont également positionnés des services vétérinaires. Comme exemple, il fait recours aux données de l'année 2021 qui chiffrent la quantité de viande contrôlée à Ouagadougou à plus de 12 400 T. Ce chiffre, soutient-il, n'a rien à voir avec les 10% avancés par Ousmane Kaboré. Bien qu'il n'ait pas une idée exacte de la grandeur d'ensemble, lui, il évaluerait plutôt la viande contrôlée et consommée par les Ouagavillois entre 70 et 80%. Il reconnaît, cependant, qu'au regard de l'étendue de la ville, avoir un vétérinaire ou deux par arrondissement peut s'avérer insuffisant.

Des effectifs qui évoluent en dent de scie ou chutent tout simplement

Directeur général de la production animale (DGPA), Issa Sawadogo a réagi sur les préoccupations soulevées par les vendeurs de bétail et a fait cas de l'évolution des effectifs d'ovins selon l'annuaire statistique de l'élevage 2020.

De combien de marchés de bétail dispose exactement la ville de Ouaga ?

Par marché de bétail, nous voyons directement les lieux de vente des animaux. Les marchés, d'une manière générale relevant des collectivités territoriales, je ne saurai vous dire exactement le nombre existant à ce jour. Mais de ce qu'on sait, c'est principalement Ouaga-Tanghin et l'abattoir de Ouaga qui abritent des marchés de bétail que le ministère suit par exemple sur le plan de l'évolution des prix. Mais il y a certainement des endroits où on trouvent des hangars sommaires, des piquets pour attacher les carcasses, si bien qu'on ne sait pas s'ils sont catégorisés comme tel.

Qu'est-ce qu'une aire d'abattage ?

C'est une surface aménagée, un espace bétonné, couvert, avec un minimum d'outils de travail pour les bouchers et l'agent vétérinaire qui fait l'inspection. Il y a l'existence des crochets pour accrocher les carcasses et un point d'eau parce qu'on ne peut pas abattre les bêtes sans eau.

Les vendeurs de bétail se plaignent du manque d'aire d'abattage. Ils disent que la seule existante se trouve à Kossodo. D'où des difficultés pour rallier ce point. Conséquence, des bêtes sont tuées au quotidien mais ne subissent pas toujours un contrôle. Votre commentaire.

En parlant de Kossodo, ils font allusion à l'abattoir de Ouagadougou dont la gestion relève du ministère du Commerce. L'abattoir n'est pas une aire d'abattage. C'est un abattoir frigorifique censé abriter tous les animaux qui doivent être abattus à Ouaga et environnants. C'est une grande quantité et normalement, tout le monde devrait y converger pour abattre les animaux dans les conditions normales d'hygiène. En dehors de cet abattoir, c'est à la commune de Ouagadougou de décider s'il doit y avoir des aires d'abattage. Mais tant que la capacité de l'abattoir frigorifique n'est pas dépassée, il n'y pas de raison d'abattre ailleurs.

Avec l'extension de Ouaga, des gens ont du mal à venir à l'abattoir ou se plaignent de taxes élevées. On voit donc des aires d'abattage où les liquides rejetés se retrouvent partout, des contenus gastriques déversés çà et là. D'où un minimum de comportement que chacun doit avoir pour un lieu de travail convenable étant donné que ce sont des aliments que nous consommons tous les jours.

Qu'est-ce qui est fait concrètement pour résorber ce problème ?

C'est laissé à la politique de la commune de Ouaga ainsi qu'au ministère du Commerce. Ce sont eux qui dégagent la stratégie qu'il faut pour tout ce qui est abattage des animaux. Mais de ce que j'en sais, il était question de projets qui veulent implanter des abattoirs modulables dans les communes périphériques (Komsilga, etc.) pour résoudre ce problème. Ce sont des projets mais à l'heure actuelle, je ne saurais vous dire ce qui était prévu et ce qui a été réalisé.

Le département des Ressources animales a-t-il a une politique d'intensification de l'élevage au regard de la donne sécuritaire que l'on connaît, notamment avec des races locales qui tendent à disparaître ?

Notre politique nationale de développement de l'élevage date de 2010, donc bien avant l'apparition du phénomène terroriste. C'est cette politique qui est toujours en vigueur et nous essayons de l'améliorer avec les nouvelles idées qui apparaissent. En 2016, il y a d'autres manières de faire qui ont apparu avec le PNDS (Plan national de développement économique et social) qui met l'accent, par exemple, sur le développement de la filière bétail, viande et lait.

Mais de façon circonstancielle, on assiste effectivement à une situation où les gens sont obligés de fuir les zones de production. Le Sahel est la région qui a le plus grand effectif de ruminants, viennent ensuite les Hauts-Bassins et l'Est. Nous nous focalisons toujours sur l'encadrement des producteurs, l'amélioration de leurs animaux mais nous ne sommes pas censés lutter contre l'insécurité. Selon l'annuaire statistique de l'élevage 2020 et singulièrement de l'évolution des effectifs d'ovins selon leur province de départ, nous avons pour le sahel, 1256 têtes en 2018, 1633 en 2019, puis 1007 en 2020. Un annuaire qui couvre la période 2011 à 2020 et concerne aussi les caprins, les bovins, etc.

Il n'y a donc pas une autre approche. Autrement dit, est-ce qu'il vous arrive de réfléchir à d'autres espaces plus sécurisés pour permettre à ces éleveurs de mener leurs activités en toute quiétude ?

Nos projets et programmes de développement ne doivent pas choisir un endroit pour laisser un autre. Au contraire, il est reproché à l'Etat d'investir plus dans certaines zones et de délaisser d'autres. L'Etat est censé intervenir partout, ce sont aux acteurs de se mettre à l'abri avant de demander l'appui de l'Etat pour leur élevage.

Mais dans l'urgence, un interlocuteur a parlé des sorties de la capitale...

A Ouaga, il y a bel et bien des zones de production. Cela ne date pas de maintenant. Même Pissy est une zone d'élevage, tout comme Koubri (sortie route de Pô), pour ne citer que ces emplacements. Ils sont définis, mais les gens viennent les envahir.

Au milieu de ces vendeurs, il n'est pas rare d'entendre également parler de " marchés de l'Etat " qui ne leur parviennent pas... C'est quoi au juste ?

Il y a des projets de développement qui, pour venir en appui aux éleveurs dits vulnérables, achètent quelques animaux qu'ils distribuent à ces personnes pour leur permettre de reprendre leurs activités. Mais du côté " marchés " ou commandes publiques (ndlr : au profit de l'armée, des prisons, des hôpitaux, etc.), il y a un circuit, des modes de passation de marchés qui sont bien règlementés comme dans d'autres domaines. Cela ne relève pas de nous mais ça suit un circuit qu'eux-mêmes doivent chercher à comprendre d'abord.

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