La démarche du ministère des Arts et du Patrimoine culturel d'installer deux statues éphémères au Bassin des esclaves à Pamplemousses est qualifiée de sacrilège par certains d'autant plus que la posture choisie pour représenter les deux esclaves ramène plus à la soumission qu'à la lutte pour leur liberté.
Les chaînes ont beaucoup vibré autour du Bassin des esclaves, à Pamplemousses au cours des derniers jours. Dernier développement en date : deux statues d'esclaves dévoilées sur place le lundi 30 janvier n'y étaient plus le 1er-Février.
La reconnaissance officielle du Bassin des esclaves a longtemps buté contre le fait que c'est l'histoire orale qui raconte que ces lieux ont servi à donner un bain à des personnes réduites en esclavage, avant qu'elles ne soient vendues au Marché des esclaves tout proche. L'absence de documents écrits a été décriée à de multiples reprises.
Surmontant cet obstacle, le vendredi 20 janvier dernier, le conseil des ministres annonce que trois nouveaux sites sont inscrits sur la liste du patrimoine national. Il s'agit du Bassin des esclaves, du Marché des esclaves et d'un bâtiment situé dans l'enceinte du temple Kaylasson, qui a servi de logement aux artisans. Cette annonce du conseil des ministres intervient deux semaines avant les commémorations du 188e anniversaire de l'abolition de l'esclavage, le 1er-Février et de la célébration de Cavadee, demain samedi 4 février.
Le lundi 30 janvier dernier, le ministère des Arts et du Patrimoine culturel dépose des gerbes au Bassin des esclaves. Dévoilant par la même occasion deux statues d'esclaves installées dans le bassin. Stupeur ! Ces deux figures d'esclaves toutes en noir ne font pas l'unanimité. Des sources déplorent qu'avec la posture choisie pour ces statues, "zot fer esklav kourb latet". D'autres trouvent cela de "mauvais goût" voire "kitsch". Une représentation des esclaves au "goût douteux prônant la soumission plutôt que de rappeler l'esprit de résistance et de résilience" dont ont fait preuve les personnes réduites en esclavage à travers le marronnage.
Une source va plus loin et parle de "tampering with a site", c'est-àdire une altération qui dénature un site, "qui n'est pas un mémorial" construit après coup, mais un vestige historique en lui-même. On n'hésite pas à faire le parallèle avec le Marché des esclaves à Zanzibar, considéré comme, "le dernier marché aux esclaves au monde, qui a fermé en 1873". Un Slave market memorial rappelant la terrible histoire des lieux a été dévoilé en 1998. Ce mémorial a la forme d'une sorte de bassin avec à l'intérieur, des statues d'esclaves grandeur nature réalisées par le sculpteur britannique Antony Gormley. Particularité de ces statues de Zanzibar, elles portent d'authentiques chaînes d'esclaves.
Pour sa part, l'historienne Vijaya Teelock, qui a été viceprésidente de la Commission Justice et Vérité (CJV), souligne que le Bassin des esclaves, avec son statut de patrimoine national, est régi par la National Heritage Fund Act. "Je ne crois pas que cela va être permis d'ajouter ces statues. Souvenez-vous de la plaque fixée devant la statue d'Adrien d'Epinay au jardin de la compagnie. Elle avait été retirée par la suite par le NHF." En 2011, dans son rapport, la CJV recommandait "a memorial plaque/interpretation centre concerning the slave contribution to Pamplemousses village and garden to be designed by artists".
Du côté du ministère des Arts et du Patrimoine culturel, on justifie cette démarche d'installer deux statues dans le Bassin des esclaves comme un "hommage". Une initiative qui participe au devoir de mémoire. Et on souligne que ces statues ne sont pas fixes. Toujours est-il que le mercredi 1er-Février, elles n'étaient plus au Bassin des esclaves. Reste qu'on ne sait pas combien cette initiative a coûté aux caisses publiques.