Le chef de l'Etat, le capitaine Ibrahim Traoré, a accordé une interview à la Radiodiffusion Télévision du Burkina (RTB) et à Savane Média, diffusée le vendredi 3 février dernier sur les antennes de la télévision nationale. Dans cet entretien exclusif de plus d'une heure, le président de la Transition a abordé plusieurs sujets, parmi lesquels la situation sécuritaire, la crise humanitaire, les relations internationales, la bonne gouvernance, le développement endogène, la justice, etc.
Question (Q.) : Comment se porte le Président Ibrahim Traoré d'autant plus que certaines rumeurs parlent d'inquiétudes quant à votre état de santé ?
Capitaine Ibrahim Traoré (C.I.T.) : Je me porte très bien. Les rumeurs sont naturelles. Je dirai surtout dans un contexte pareil, cela va de soi que des gens véhiculent toutes sortes de rumeurs. Vu la situation du pays, physiquement, on va très bien, mais c'est normal qu'on dise qu'on ne va pas très bien. Mais, on est plus motivé, plus que convaincu de relever le défi. On est encore plus encouragé. Donc, il y a de quoi toujours aller de l'avant.
Q. : Il y a quatre mois, vous preniez le pouvoir en tant qu'acteur du MPSR 1, mais dans une perspective de rectification. 120 jours après votre arrivée au pouvoir, avez-vous toujours le même sentiment de relever le défi de départ ?
C.I.T. : Nous sommes plus que motivés, convaincus. Nous sommes encore plus encouragés. Il y a encore plus de tonus à aller de l'avant.
Q. : Est-ce que cette motivation est en phase avec les réalités du terrain ?
C.I.T. : Bien sûr que la motivation est en phase avec les réalités du terrain. Vous le constaterez. Certes déjà, vous allez nous reprocher qu'on ne communique pas assez. Mais, il y a plusieurs phases dans la lutte et au fur et à mesure, on pourra vous les détailler. Sur le terrain, tout se passe bien. Ça avance très bien, malgré certaines velléités, que ce soit sur le terrain de combat ou dans la population, cela nous motive.
Q. : Le volet sécurité est l'un des points les plus importants de votre vision pour le Burkina. Mais dans l'une de vos allocutions, vous avez reconnu que les attaques se sont multipliées avec des populations civiles prises de plus en plus pour cible, en plus des symboles de l'Etat. Qu'est-ce qu'on peut apporter comme lecture par rapport à cette situation ?
C.I.T. : Je l'ai dit, les attaques se sont multipliées. Il s'agissait de bien comprendre de quoi on voulait parler. Parce que l'offensive qui a commencé depuis le mois de novembre contre ces groupes armés terroristes les a amenés à changer un peu de cible. C'est malheureux, actuellement, je dirai qu'ils sont aux abois, ce qui fait qu'ils s'attaquent de plus en plus aux civils désarmés. C'est aussi une manière d'interpeler les populations à bander leur moral parce que ce sera dur, mais pas pour longtemps.
Q. : Dans le même temps, on nous annonce des actions de reconquête comme ce fut le cas pour Solenzo. Déjà, qu'est-ce qu'il faut comprendre par reconquête quand on sait que certaines zones ont été fragilisées par l'absence de l'Etat et un sous-développement très avancé ?
C.I.T. : La reconquête comporte plusieurs phases. Actuellement, je peux dire que dans notre stratégie globale, le combat au sol n'a pas encore commencé. Nous avons une première phase d'établir une base de données en matière de renseignement qui est très importante pour nous. Parce qu'une bonne partie de la guerre, c'est le renseignement. Secundo, il y a des renseignements qu'il faut exploiter en même temps. Ce qui nous amène à mener des opérations aéroterrestres de temps en temps pour attaquer certaines bases. Il y a aussi des localités symboliques qui avaient été sous emprise terroriste pendant quelque temps. Ces localités ont été reconquises. Je le disais lors de mon passage à Solenzo, le plus important, c'est la consolidation. Donc, c'est cette phase qui est en cours, c'est-à-dire le retour de l'administration parce que la population y est. Et enfin, trouver des activités à ces populations, organiser le terrain de sorte que l'ennemi ne puisse plus revenir reprendre position sur cette partie.
Q. : Mais à Falangountou, c'était une autre réalité puisqu'après avoir repris nos positions, l'ennemi est revenu endeuiller tout le peuple ?
C.I.T. : Revenir, c'est une chose et revenir et rester est une autre chose. Ce sont des batailles. Les batailles, on peut les gagner ou les perdre. Ce n'est pas parce qu'on a perdu des hommes que forcément l'ennemi n'a pas une défaite. Si l'ennemi avait pris le contrôle, il serait resté comme ce qu'il fait ailleurs. Falangountou est en cours de consolidation, je peux dire. L'ennemi a dû voir un certain nombre d'aménagements et essaie de freiner l'avancée des travaux, mais cela ne nous freine pas. Ce sont des combats qui vont avoir lieu. C'est permanent et ce sera toujours ainsi. Nous avons à asseoir un certain minimum de fortification, d'organisation de terrain avant de lancer la machine pour poursuivre. Falangountou est dans une zone un peu stratégique qui rend un peu difficile la poursuite.
Q. : Vous voulez parler de la proximité avec le Niger et d'autres frontières ?
C.I.T. : Oui, la proximité avec les trois frontières. On ne peut s'engager dans une poursuite et traverser les frontières sans au préalable pouvoir aviser le partenaire, ce qui peut prendre du temps. C'est un combat qui se déroule très vite. En poursuivant les traces, les minutes qui suivent, si vous n'arrivez pas à agir, il n'est pas évident que vous puissiez après des autorisations, retrouver ces traces. Je pense que ce sont des choses en cours. Il y a des protocoles avec l'armée nigérienne qui doivent nous permettre de poursuivre jusqu'à leur territoire et vice versa.
Q. : Il a souvent été cas de négociations comme alternative en matière de solution, est-ce une option sous votre magistère ?
C.I.T. : Je ne sais pas ce que vous appelez négociation, mais ce qui se passe au Burkina est que nous n'avons pas décidé d'attaquer quelqu'un. On nous attaque et comme vous le constatez aujourd'hui, on attaque des civils désarmés qui sont assis tranquillement chez eux ou voyagent... on les arrête, on les assassine, etc. Comment peut-on négocier avec des gens qui font cela ? Il n' y a pas de négociation. Le Burkina est un pays souverain et laïc et ces valeurs ne se négocient pas. Nous ne sommes pas là pour vendre certaines valeurs contre quoi que ce soit. Ceux qui font ces exactions doivent comprendre que nous n'allons jamais négocier cela.
Q. : En même temps que vous durcissez le ton, vous tendez également la main à ces terroristes, à ceux qu'on peut appeler peut-être les repentis qui voudraient bien déposer les armes...
C.I.T. : Il faut faire la différence entre tendre la main et négocier. Je dis et je le répète, la vocation n'est pas de tuer. Aujourd'hui, nous souhaitons que ceux qui se sont engagés avec ces groupes-là, qui ne sont pas vraiment convaincus, sachent qu'ils ne défendent rien. Il n'y a aucun idéal qui est défendu. Dire à des gens de venir ôter la vie à des créatures de Dieu, eux-mêmes qui prétendent connaitre Dieu, je ne pense pas que cela est écrit quelque part. Donc qu'ils comprennent que ce n'est aucunement un message venu de quelque part. Ce sont juste des intérêts de certaines personnes obscures qu'ils servent. Ces individus, s'ils comprennent le message, s'ils sont prêts à quitter les rangs, nous sommes prêts à les accueillir, à les remettre dans la société pour qu'ils puisent travailler au profit de toute la société. Ceux qui veulent déposer les armes, nous sommes ouverts et nous allons trouver le canal nécessaire pour qu'ils puissent se rendre pour le faire.
Q. : Monsieur le président, on va aussi parler de moyens de défense. On sait que depuis votre arrivée, le gouvernement a fait des acquisitions d'équipements militaires et a eu des accompagnements en matière de formation. On assiste aussi à une réarticulation de notre dispositif sécuritaire. Est-ce que vous pouvez nous faire un peu le point de tout cela ?
C.I.T. : Oui, je l'ai dit et j'ai même remercié certains Etats partenaires voisins qui nous ont permis d'acquérir certains moyens aussi rapidement. Que ce soit aérien ou les moyens de combat terrestre, les acquisitions sont toujours en cours. Donc on ne peut pas vous citer de manière exhaustive ce qu'on est en train d'acquérir. Mais, il y a beaucoup de moyens que nous sommes en train d'acquérir parce qu'il y a lieu de s'équiper. Mais comme vous l'avez dit, on s'est réarticulé en six régions et six groupements parce que les rôles doivent être différents. Il y a le recrutement, la formation, mais aussi le combat parce que nous sommes en guerre. Donc, il y en a qui auront la tâche de faire la guerre et d'autres de recruter, de former et de mettre à disposition. C'est pourquoi il faut équiper rapidement tous ces groupements pour que chacun soit autonome en matière de renseignement, d'appui aérien, d'appui terrestre, etc. Donc, nous sommes en plein équipement.
Q. : Quelque part, quand on écoute votre discours de Solenzo, vous n'avez pas, dans le déploiement de la nouvelle stratégie, recruter par exemple des VDP avant de chercher la dotation, les équipements, les moyens qu'il faut pour les opérationnaliser. C'est l'impression qu'a le citoyen.
C.I.T. : Bien sûr, nous ne pouvons pas dire que quelqu'un ne peut pas avoir une impression. Les VDP, c'est une stratégie que nous avons expérimentée. Parce la nouvelle donne est que nous ne les laissions plus seuls, ils sont mixés avec les FDS. Donc, le volume qui a été recruté a été bien pensé et il a fallu en même temps lancer le processus pour les équiper. Déjà, si vous le remarquez, je peux dire que de nombreuses communes qui étaient sur place ont été dotées. Même si ce n'est pas à 100%, il y a un bon pourcentage qui a été doté. Les VDP nationaux sont entièrement équipés, donc on ne peut pas dire qu'on n'avait pas prévu. On fait l'effort de rattraper, s'ils finissent ils sont équipés. Donc, c'est ce que nous essayons de faire. Et au fur et à mesure que la deuxième vague est formée, elle est équipée bien qu'elle ne soit pas encore engagée. C'est là que je dis que la guerre n'a pas encore commencé.
Q. : Vous avez demandé 50 000 et il y a eu 90 000 volontaires qui étaient prêts à défendre leur patrie. Finalement, est-ce que vous avez décidé de prendre les 90 000 ou de vous en tenir aux 50 000 demandés ?
C.I.T. : Tous ceux qui sont volontaires, nous les prendrons. Nous allons trouver des rôles pour certains qui ont de petits soucis de santé, qui ne pourront peut-être pas manœuvrer sur le terrain et d'autres par l'âge parce qu'il y a plein de gens qui se sont enrôlés. Il y a des commerçants, des travailleurs qui ont laissé carrément leur boulot pour venir défendre la patrie. Il y a des étudiants qui ont laissé leurs études pour venir défendre la patrie. Il y a de vieilles personnes, très âgées qui sont arrivées. Donc, elles ne peuvent pas donner le même rythme que les jeunes. Mais la plupart sont des jeunes, nous allons les prendre tous, les équiper et leur permettre de défendre leur patrie parce que c'est le patriotisme qui les a animés. Il n'y a pas de raison donc de refouler quelqu'un dans ce sens, et comme je dis, il faut encore plus de VDP et nous irons vers cela.
Q. : Monsieur le président, nous ne pouvons pas parler de sécurité sans évoquer la question des droits de l'Homme. L'armée est souvent accusée de commettre des exactions et même de prendre certaines ethnies pour cible. Pouvez-vous nous faire un commentaire par rapport à cela ?
C.I.T. : Cette question des droits de l'Homme est importante. D'abord, il faut dire que les droits de l'Homme sont venus avec la question des VDP, ce qui inquiète plus les gens. La question des VDP, ce n'est pas d'abord nous qui l'avons initiée. Nous avons déjà salué l'initiative. Mais nous souhaitons l'améliorer. C'est ce que je disais, nous ne souhaitons pas les organiser en groupes indépendants qui agissent seuls. C'est dans ce cadre qu'il peut y avoir des exactions parce qu'ils ne peuvent pas faire la différence entre un suspect et un non-suspect. Nous avons donc décidé de les encadrer. Aujourd'hui, parmi les VDP qui manœuvrent, même les VDP nationaux qui sont en train d'être déployés, vous retrouverez toujours des militaires. Donc, ils sont constitués en équipes, commandés par des militaires jusqu'au plus bas échelon. Ils ne peuvent plus aller seuls pour agir et cela est un volet très important. Et au cours de leur formation, la structure des droits humains qui est ici a une plage horaire pour les former aux droits humains. Donc nous avons intégré cela et à tous les niveaux. En ce qui concerne les exactions, il faut pouvoir faire la différence. Car, de nombreuses choses sont dites autour de cette notion. Et c'est le lieu peut-être pour moi de sensibiliser un peu les gens à certains comportements lorsqu'ils voient souvent des FDS manœuvrer. Il y a des comportements à éviter lorsque les FDS sont en patrouille ou engagées dans des escortes. C'est-à-dire filmer les escortes, prendre un quelconque renseignement, etc. Peut-être que ces personnes le font par ignorance, mais pour le combattant, ce sont des renseignements qu'elles cherchent pour l'ennemi.
Q. : Notamment les passages des convois ?
C.I.T. : Bien sûr. Il y a des zones non habitées où des gens vont peut-être être interpellés, il y a des zones carrément dégagées et voir des gens se faufiler entre les buissons, c'est assez compliqué pour ceux qui font la reconnaissance de faire la distinction souvent. Ces situations peuvent arriver, mais ce sont des cas très rares, mais parler d'exactions en tant que telles, je ne pense pas. Actuellement, ils savent ce qu'ils font, ils sont bien encadrés.
Q. : Monsieur le président, votre gouvernement doit répondre à des correspondances de partenaires qui s'inquiètent justement de la question des droits de l'Homme au regard de l'orientation de la lutte sur le terrain. Comment vous répondez à tout cela?
C.I.T. : Nous avons signé des conventions et nous les respectons. Nous avons l'encadrement nécessaire. Et en permanence d'ailleurs, que ce soit chez les FDS ou les VDP, les droits de l'Homme viennent continuer la formation. S'il y a des cas d'exactions avérés, c'est déjà arrivé dernièrement, on arrête les suspects, on mène l'enquête, on confirme et puis on applique la sanction qu'il faut. Dernièrement ceux qui ont été fautifs ont été arrêtés, les enquêtes se sont poursuivies et le droit va être dit.
Q. : Sur le cas de Nouna où il se dit, même avant les résultats de l'enquête, que des VDP s'en sont pris à des citoyens burkinabè issus de la communauté peuhle, pas moins de 28 personnes ont été criblées de balles. Est-ce que vous avez pris le dossier en main ?
C.I.T. : Comme vous l'avez remarqué, le procureur en son temps a fait un communiqué. Selon le communiqué, les enquêtes sont en cours. Elles ont été diligentées et c'est de la balistique qu'il faut faire. Parce que c'est trop facile que des hommes armés tuent des gens et on les identifie automatiquement comme étant des VDP. Qu'est-ce qui prouve que ce sont des VDP ? C'est de cela qu'il s'agit. Il faut d'abord faire une analyse de la balistique. Est-ce qu'il y avait vraiment des VDP là-bas ? C'est là toute la question. Si ce sont des cellules locales aussi, est-ce qu'ils ont des preuves ? C'est trop facile pour l'ennemi de venir agir et essayer de vous mettre en porte-à-faux. C'est très facile. C'est une tactique aussi. Cela existe. L'ennemi lui-même vient, fait l'exaction et on crée automatiquement cette flamme pour dire que ce sont les FDS. Combien de fois nos frères d'armes ont été attaqués par des gens ? Ce qu'on appelle la perfidie. Ils viennent en tenue, correctement habillés comme des FDS, commettent des exactions et repartent. Après on attribue tout cela aux FDS. Souvent même les FDS responsables de la zone sont surprises d'entendre cela. Plusieurs fois, des convois sont tombés dans les embuscades, des attaques ont eu lieu par confusion. Elles patrouillent et voient des gens en tenue, dans le même accoutrement, dans le même type de véhicule et subitement, ils ouvrent le feu. Il faut que les gens arrivent à faire le distinguo pour ne pas laisser l'ennemi nous mettre en porte-à-faux les uns contre les autres.
Q. : Monsieur le président, on va aussi parler de la communication de votre gouvernement. Elle est jugée trop fermée par bon nombre d'observateurs et une bonne partie de la presse crie également au musellement avec une difficulté d'accès à certaines sources d'information. Qu'est-ce que vous vous répondez à cela ?
C.I.T. : Ce n'est pas du musellement. Comme je le disais, ce sont des phases de nos opérations. Nous sommes dans une phase de collecte de renseignements et d'opérations aéroterrestres, etc. En ce qui concerne les opérations militaires, malgré le fait qu'on ne veut pas communiquer, vous avez dû remarquer que certaines personnes sur les réseaux sociaux arrivent toujours à avoir les informations. Parce que les populations locales arrivent toujours à leur passer le message comme quoi " il y a une opération dans notre zone ". C'est bien et une fierté pour ces populations de sentir l'armée agir dans leur zone, mais en réalité cela expose nos opérations. Il se peut qu'on agisse dans une zone, mais en réalité l'effet majeur n'est pas là-bas, nous cherchons l'effet majeur ailleurs. Si l'autre déploiement aussi fuite, l'ennemi pourra esquiver l'action principale. Voilà pourquoi jusque-là, nous ne communiquons pas sur les opérations ponctuelles. Mais ils peuvent être rassurés, lorsque les vraies opérations débuteront, nous aurons besoin de journalistes de guerre pour pouvoir relater cette guerre.
Q. : Bon nombre de journalistes se sont offusqués lors de l'audience que le Premier ministre a accordée au Conseil supérieur de la communication où il a été fait cas d'être plus regardant sur les émissions-débats. Est-ce qu'il faut s'inquiéter par rapport à la liberté d'expression et de presse chèrement acquise depuis des lustres ?
C.I.T. : Nous n'avons pas l'intention de retirer cette liberté de presse. Mais, il faut savoir qu'on est en guerre, tout le monde n'est pas obligé d'accompagner. Cependant, si vous êtes Burkinabè, il y a aussi des comportements à éviter, des propos à ne pas tenir. C'est vrai, tout le monde ne peut pas être content. Reconnaissez avec moi qu'il y a des sujets et des débats sur les plateaux qui laissent à désirer. C'est peut-être de cela que fait cas le Premier ministre. Mais il ne s'agit pas de tous les débats, il y en a de très bons. Il faut que les gens prennent l'exemple sur certains pays en guerre. Je le disais, la presse a un rôle très important. Vous devez avoir cette technique de galvaniser le soldat, le combattant qui est sur le terrain. Je sais que vous savez le faire. Donc sur les plateaux, il faut avoir cette technique pour motiver le combattant parce que c'est lui qui risque sa vie pour la patrie. Il n'y a donc pas de raison de parler pour le décourager. J'invite les gens qui sont invités sur les plateaux à réfléchir : est-ce bien ou pas pour ma patrie ?
Q. : Monsieur le président, c'est une question d'interprétation. Quelquefois, les journalistes qui critiquent pensent bien faire en vous disant là où ça ne marche pas pour que vous vous ressaisissiez et pour que vous corrigiez. Mais si vous prenez cela en mal, ça peut susciter une incompréhension entre vous et les journalistes burkinabè.
C.I.T. : Nous ne le prenons pas en mal. D'ailleurs, nous allons créer un centre d'appel, sûrement la semaine prochaine. On souhaite savoir ce qui ne va pas pour corriger. Car, nous ne pouvons pas avoir nos radars braqués partout. D'où la mise en place de ce centre d'appel. Mais des informations cruciales données sur un plateau de télé ternissent parfois l'image du pays. Et cela porte très loin et à travers cela des informations stratégiques sont données à des individus qui ne sont pas forcément dans notre environnement immédiat. Si aujourd'hui les terroristes s'attaquent aux populations innocentes, c'est une stratégie. Ils ont changé de stratégie, juste pour saper le moral, mais ils le font à travers ces informations qu'on donne. Voilà pourquoi il y aura un canal pour dénoncer, pour rappeler à l'ordre.
Q. : Monsieur le président, ce qui a créé davantage de distance entre vous et certains journalistes est que dans certaines interventions, vous avez distingué deux types de Burkinabè, les patriotes et les apatrides. Des journalistes se sont sentis concernés parce qu'ils ont porté une critique une fois en passant à votre pouvoir. Est-ce que vous n'allez pas un peu trop loin ?
C.I.T. : D'abord, je ne savais pas qu'il y avait de la distance. Merci de m'informer. Je ne suis pas distant, j'ai peut-être l'habitude d'avoir un franc-parler, mais je ne garde pas de rancune. J'ai même oublié que j'ai une fois évoqué le mot apatride. C'est compris. Mais, ce n'est pas aux journalistes que je m'adressais.
Q. : Vous n'avez pas cité de noms ?
C.I.T. : Il y a beaucoup de gens sur les réseaux sociaux et même dans la presse qui ont des comportements apatrides, des comportements tendant à ne pas aimer la patrie. Pourquoi voit-on ce qui est mauvais et jamais ce qui est bien? Il y en a qui voient l'obscurité et ne voient jamais la lumière, pourquoi ? Est-ce qu'ils aiment vraiment ce peuple ? En quoi est-ce qu'ils contribuent, sinon je n'ai pas un problème particulier avec le monde journalistique. La parole a été dite à un groupe, il y a beaucoup d'acteurs qui ne sont pas des journalistes.
Q. : Les débats entre Burkinabè tournent autour des questions religieuses et ethniques. Est-ce que nous ne sommes pas assis sur une poudrière parfois ? On a le sentiment que rien n'est fait et dit au niveau gouvernemental pour clarifier sinon désamorcer certaines tensions ?
C.I.T. : Et pourtant, ce n'est pas une poudrière. Je pense que la dernière fois, nous avons rencontré certaines communautés religieuses, des communautés ethniques. Il faut dire qu'avec la question religieuse, il y a des gens qui s'intéressent uniquement à ce qu'ils veulent sinon le problème n'existe pas. Le Burkina est un Etat laïc. Toutes les religions s'acceptent ici que ce soit depuis les leaders religieux, vous allez les voir toujours ensemble. Le brassage est parfait. Nous passons donc le message à ces leaders de prêcher au niveau des plus jeunes l'acceptation d'autrui. Aujourd'hui, vous trouverez des représentants d'une communauté aller chez d'autres communautés, faire la même prière pour le peuple. Il ne faut pas s'attarder sur certains débats qui ne nous arrangent surtout pas. Sur la question religieuse, on communique et on sensibilise dans les prêches, que ce soit dans les églises, les mosquées, chez les animistes, les gens prêchent l'union pour que la question religieuse que les gens veulent insinuer ne puisse pas surgir. La question ethnique, je ne sais pas s'il faut en parler. Je pense que cela aussi c'est de la manipulation parce qu'il n'y a pas de question ethnique. Personne n'est contre une ethnie. Ce sont des spéculations. Vous aurez remarqué que l'armée est déployée partout. On ne déploie pas en fonction de telle ethnie dans tel village ou telle ville. Nos actions actuellement, que ce soit des escortes ou des vivres, des actions offensives, on le fait au profit de tout le monde. Il n'y a pas de distinction. C'est malheureux de voir les gens faire la victime, trouver qu'on fait des exactions contre certaines communautés. Je trouve qu'ils ne font pas du bien à ces communautés, qu'ils ne sont pas utiles à ces communautés. Une question me vient souvent à l'esprit : qu'est-ce qu'ils ont fait pour ces communautés, ces individus ? Ont-ils aidé ces communautés quand elles étaient dans la difficulté ? Aujourd'hui, nous avons compris qu'elles ont été frustrées à cause d'une situation. La communauté peuhle est celle qui souffre le plus. Les terroristes prennent tous leurs bétails, ils sont dans les camps de réfugiés. On se demande comment ils font pour se soigner quand ils sont malades ? Parce que ceux qui sont dans ces zones sont parfois obligés d'y rester et se soumettre aux lois des terroristes. Comment ils se débrouillent ? Nous faisons l'effort d'envoyer de la nourriture où on peut, quand on peut sans distinction. L'idée c'est d'aider vraiment ces communautés à retrouver leur vie. Ceux qui sont à l'arrière qui parlent de cela, je leur demande : qu'est-ce qu'ils ont fait pour ces communautés ? C'est la question qu'il faut se poser avant de commencer à parler de stigmatisation.
Q. : A côté de la grande question de sécurité, il y a l'autre grande question de l'humanitaire. Dès votre arrivée au pouvoir, les Burkinabè ont senti tout de suite une accélération dans les ravitaillements des localités sous blocus terroriste et trois mois après, c'est comme s'il y a eu une décélération. Vous avez baissé le rythme des escortes, des ravitaillements. Quand on prend Sollé dans le Loroum, Arbinda dans le Soum, quand on prend Simangué dans le Namentenga, ces populations vous approchent pour demander des vivres, vous interpeller. Qu'est-ce qui coince ?
C.I.T. : Oui. Il n'y a pas eu de décélération à notre niveau. Vous parlez de Sollé, je pense qu'il a été ravitaillé la semaine passée. Je pense que c'est la première fois qu'un ravitaillement terrestre y arrive depuis quelques années au prix d'énormes sacrifices. Il faut saluer la bravoure de ces hommes qui ont été engagés. Ce sont des choses qui ne se disent pas, les hommes se battent au prix de leur vie. Il ne s'est pas agi d'amener quelques tonnes de vivres avec un hélicoptère. Il fallait aller par la route pour ravitailler sérieusement ces zones et les hommes ont relevé le défi. Dieu seul sait quels sont les obstacles qu'ils ont croisés en route. Arbinda a été ravitaillé, il y a un mois et demi. Il faut reconnaitre qu'il y a une population immense à Arbinda. Cela n'a pas suffi et c'est en cours ainsi que d'autres localités. Il faut dire que les difficultés actuelles, ce sont les camions pour pouvoir ravitailler. J'ai vu l'Etat-major qui a communiqué pour qu'on puisse louer à frais social, encourager ceux qui peuvent donner à donner. Mais jusque-là, il n'y a pas eu de manifestations en tant que telles. Plus les prix sont élevés moins on peut louer. A l' instant où je parle, nous sommes en train de chercher à louer. Certains sont réticents à donner leur camion à cause de l'insécurité. Je pense que c'est le sacrifice à faire. Je vais interpeller ceux qui en possèdent de faire le sacrifice. Ensemble, on peut essayer de relever ce défi le temps qu'on puisse remettre en bon état nos routes. On fait le maximum pour assurer la sécurité de ces camions pour l'aller et le retour.
Q. : C'est à Arbinda que des femmes ont été enlevées, vous les avez retrouvées, sécurisées. Mais, il y a beaucoup de non-dits autour de cette affaire. Quelle est la vérité ?
C.I.T. : D'abord, je pense que le ministre de la Communication a eu à parler des circonstances, comment on l'a appris et eu tous les détails. Je pense que cela doit nous interpeler, chacun doit pouvoir réfléchir et comprendre un peu le jeu. Les femmes ont été retrouvées. Elles sont actuellement dans un centre pour une prise en charge psychologique et physique. Et dans le même temps, il y a des cellules pour les interroger. A travers donc tout ce qu'elles pourront nous dire, on va rétablir la vérité. Mais une chose est sûre, c'est qu'il y a un flou autour de la question que je ne saurais vous dire exactement. Mais les langues se délient peu à peu et nous en saurons plus.
Q. : Il y a quelques semaines, la ministre en charge de l'action humanitaire informait l'opinion nationale de certaines difficultés avec des ONG pour les ravitaillements des zones en difficulté, notamment le PAM. Qu'est-ce qui explique cela et où est-ce qu'on en est avec le dossier ?
C.I.T. : Il y a beaucoup d'organisations qui agissent sur le sol burkinabè. Nous sommes en train de faire l'inventaire et de voir les missions de chacune. Parce qu'il y en a trop et cela peut nous causer des problèmes, pas seulement celui du ravitaillement. Avec le PAM, madame la ministre a été assez claire. Si on peut nous aider à ravitailler notre population, c'est très bien. Car, c'est ce que nous souhaitons. Mais nous souhaitons avoir un œil sur tout ce qui part, ce qui se trouve dans les sacs, où cela part. Mais à un certain moment, le PAM n'acceptait pas qu'on vérifie et c'était le blocus et entre temps, il y avait des questions de frais que nous ne pouvons pas supporter. Mais il y a eu plusieurs réunions, des protocoles qui ont été établis et qui ont permis donc d'assoir une procédure pour que nous puissions suivre. Donc, si on ne sait pas ce qui est dedans, on est obligé de faire clouer au sol les hélicoptères.
Q. : On va aussi parler coopération internationale, on sait que plusieurs de vos soutiens ont réclamé à cor et à cri, la diversification de nos partenariats, notamment en matière sécuritaire et ils ont aussi demandé le départ d'une d'entre elle, la France. Beaucoup voudraient savoir si c'est la réponse à la rue ou c'est un choix murement réfléchi ou est ce qu'on est en train de sonner la fin de nos relations diplomatiques avec la France ?
C.I.T. : D'abord, il faut changer le terme " rue ". Je préfère "jeunesse consciente" parce qu'aujourd'hui avec ce que nous observons, que ce soit nous ou ceux qui viendront après nous, personne ne doit s'amuser avec l'avenir de cette jeunesse. C'est le message qu'on a compris à travers ces manifestations. On diversifie les relations. Vous l'avez remarqué, il y a plusieurs missions qui ont été effectuées et d'autres sont à venir, on veut scruter d'autres horizons parce que nous voulons des partenariats comme on le dit, gagnant-gagnant, francs. Je vous donne cela et nous voulons cela en retour. Nous discutons, nous nous entendons si cela nous arrange, nous le faisons. Mais, nous ne voulons pas de partenariats un peu flous, déséquilibrés et pas clairs. Nous n'avons pas une dent ou une haine contre un partenaire particulier. Et quand vous dites la fin des relations diplomatiques, vous faites allusion à la décision de dénoncer l'accord, la dernière fois. C'est un accord militaire et dans les textes de l'accord, il est prévu qu'une des parties puisse le dénoncer. Donc, c'est juste un processus qui a été enclenché. Mais cela n'a rien à avoir avec la diplomatie. L'ambassade française est là, les ressortissants sont là, de même que notre ambassade là-bas et nos ressortissants. Donc, il n'y a rien, diplomatiquement, qui ait été touché. Il s'agit d'un accord de présence militaire et comme ils l'ont dit, notre souveraineté dépend de nous et c'est ce que nous réclamons à travers la dénonciation de cet accord. Il n'y a pas de rupture de relations diplomatiques ou une haine contre un Etat particulier.
Q. : Avec la France, il y a eu plusieurs incidents. Il y a eu des violences contre la France et le consulat à votre prise de pouvoir. Deux citoyens français soupçonnés d'espionnage ont été renvoyés chez eux. Il y a eu votre demande de changement de l'ambassadeur français au Burkina et enfin, la dénonciation de cet accord. La multiplication de ces incidents peut laisser croire que vous voulez rompre avec la France au profit de la Russie ou de Wagner.
C.I.T. : Il y a eu plusieurs incidents certes, mais quand il y a des incidents, c'est normal qu'on prenne des mesures parce que ce que les gens disent peut paraitre des préjugés. Mais aujourd'hui, nous sommes à un niveau de responsabilité que lorsqu'on constate que certains préjugés sont réels, il y va de soi qu'on prenne nos responsabilités dans le sens de ce que le peuple souhaite. Tout ce que le peuple veut c'est sa souveraineté et vivre dignement et nous avons cette capacité. S'il y a des faits et des accords qui nous empêchent de pouvoir donner cette vie et cette dignité à notre peuple, il y va de soi qu'on s'oppose à cela et qu'on prenne des actes contre cela. Peut-être que c'est la politique qui n'était pas bien menée par la France, mais je pense que cela ne veut pas dire qu'il y a une haine particulière. J'insiste sur le fait de notre souveraineté sur l'équilibre de nos relations. Peu importe l'Etat, si c'est pour venir nous coloniser encore, nous ne serons pas d'accord. Les gens voient le virement vers la Russie, pas forcément de façon politique. Je peux dire que nous ne sommes pas des politiciens. Nous sommes là pour une mission. C'est la sécurité et c'est la mission première dans cette situation qui est arrivée, le 30 septembre et qui se trouve être anticonstitutionnelle, antidémocratique pour certains. Et, le recrutement des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) se trouve être contraire aux lois de certains Etats. Donc subitement, on se trouve refuser d'un certain nombre de choses, notamment les équipements militaires et bien d'autres. Alors, si on ne veut pas nous permettre d'acquérir des équipements dans tel pays, nous pouvons aller vers d'autres pays et ce n'est pas la première fois que je le dis. La plupart des chancelleries occidentales sont passées ici et je leur ai dit cela.
Q. : Est-ce que vous aviez le sentiment que dans cette guerre nous sommes sur le chemin de la victoire ?
C.I.T. : Nous sommes sur le chemin. Déjà beaucoup de gens pensent que cela a commencé. J'aime le dire toujours, la guerre va commencer dans quelques jours. Actuellement, ce sont des opérations ciblées. Nous sommes en train de produire une base de données. Nous avons des moyens qui nous permettent d'observer tout. Et, lorsque, nous découvrons, s'il y a nécessité on détruit. Mais les opérations terrestres vont commencer bientôt. Nous sommes plus que convaincus. La victoire est certaine. Le pays retrouvera son calme.
Interview retranscrite par la Rédaction