Madagascar: Et comme d'habitude, les " engagés " prennent la fuite

Si le chef de la province du Vakinankaratra, Fraud, est respectueux des principes et des textes concernant le recrutement de la main-d'œuvre indispensable à la construction du chemin de fer Tananarive-Antsirabe, son homologue d'Ambositra, Marchand, persiste à maintenir durant les années 1920 et 1921, la corvée des Telopolo andro (trente jours) ou plutôt des soixante jours (lire précédentes Notes). Il l'assouplit toutefois, en la limitant à la fourniture, en permanence, de cinquante hommes aux chantiers de reboisement du TA d'Andranomanelatra.

En compensation, " pour déférer aux désirs exprimés par l'autorité supérieure ", Marchand promet de fournir aux chantiers des 14e et

15e lots, distants de plus de 100 km d'Ambositra, deux cent cinquante engagés par an. Comme le souligne Jean Fremigacci en 1975, les ordres qu'il donne, ont le mérite de la clarté. " Il faut, sans que j'aie besoin d'insister outre-mesure, que deux cent cinquante hommes s'engagent pendant un an pour éviter le retour à la corvée ancienne. Faites un large appel aux volontaires... . Si vous n'en trouvez pas, entendez-vous avec les Fokonolona de chaque canton et que les Fokonolona s'arrangent entre eux... ", intime-t-il à ses chefs de district, le 22 février 1921.

Ainsi, les districts d'Ambositra et d'Ambatofinandrahana se voient taxés respectivement de deux cents et cinquante hommes. Les contrats de travail doivent être visés par le chef de district. Celui d'Ambositra s'exécute en signalant " qu'aucun engagé n'était volontaire ". La raison en est simple : le salaire proposé aux victimes de cette nouvelle corvée d'un an est inférieur au salaire courant d'Ambositra, dont le niveau est déjà très bas. Pourtant, Marchand reçoit d'Hubert Garbit, un témoignage de vive satisfaction. Et son succès, dans l'esprit du gouverneur général, en appelle d'autres : " Je suis persuadé que le chiffre deux cent cinquante indiqué n'est qu'un minimum que vous pourrez largement dépasser... "

Mais comme il arrive habituellement, les engagés ne tardent pas à prendre fuite. Dès le 4 septembre 1921, l'entrepreneur Gallois signale déjà cent vingt déserteurs. Marchand ouvre alors un registre spécial d'indigénat. En septembre-octobre, il condamne dix-neuf hommes à la prison pour " refus d'obtempérer aux convocations administratives " et " faux renseignements donnés aux agents de l'autorité... " L'attendu du verdict est révélateur, fait remarquer Jean Fremigacci : " envoyé pour travailler au chemin de fer, s'est évadé (sic) d'un chantier. "

L'auteur ajoute, cependant, que le recours à l'indigénat est d'autant plus illégal que, d'une part, pour les conflits du travail, l'ancienne juridiction des conseils d'arbitrage vient d'être réorganisée par le décret du 10 juin 1921 ; et que, d'autre part, en première instance, ce fameux code ne peut être appliqué par le chef de province, mais par les seuls chefs de district. En fait, signale l'auteur de l'étude, Marchand y recourt parce que son subordonné d'Ambositra se refuse à punir les fuyards.

Enfin, sans renoncer à la méthode qui précède, l'administrateur provincial, à partir de juillet 1921, met en vigueur une autre procédure, annonce Jean Fremigacci. Imaginée par le chef de district d'Ambatolampy, " elle est sans nul doute la plus satisfaisante pour l'idéologie officielle comme pour la pratique administrative quotidienne ". Elle consiste à confier des tâches nettement délimitées aux Fokonolona pour un prix convenu avec l'entrepreneur. Les communautés organiseront, elles-mêmes, leur travail sous la surveillance de leurs propres chefs, raiamandreny et mpiadidy.

C'est surtout de cette manière qu'avancent les travaux des 14e et 15e lots. Le 7 septembre 1921, Fraud, dans un rapport optimiste, signale " l'enthousiasme des indigènes qui ont fait passer en un mois, en août 1921, sept à huit mille indigènes sur les chantiers, sans aucune pression administrative et dans le seul désir de terminer les travaux ".

Comme la rémunération est connue, de façon notoire, insuffisante, Fraud croit, en réalité, pouvoir assurer que ce n'est pas pour des salaires, mais " dans l'intérêt général et en raison des conséquences économiques qui suivront l'arrivée du rail " que les communautés villageoises acceptent cet effort !

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