Sénégal: Album / " Quand on refuse, on dit non " - Didier Awadi, un verbe tranché, sans concession

6 Février 2023

Après cinq ans sans production, le vieux singe est revenu avec une ingénieuse grimace. Jeudi dernier, Didier Awadi a présenté, au Seanema, son nouvel album titré " Quand on refuse, on dit non ".

L'œuvre est une jolie fresque de 12 titres qui entend inquiéter son peuple. C'est la fidélité à sa signature révolutionnaire et sa griffe de grand artiste précurseur et encore performant. " Quand on refuse, on dit non ". Cette ténacité devrait être une évidence. Mais la réalité sociopolitique et culturelle montre que ce n'est pas (toujours) le cas. Et c'est pour donc insister sur ce principe de dignité que l'inusable Didier Awadi a ainsi intitulé son septième et nouvel album solo - il en a auparavant signé huit avec Duggy Tee sous le label Positive Black Soul (Pbs).

La cérémonie de présentation de cette fresque artistique s'est tenue, jeudi dernier, au Seanema, la salle de cinéma du centre commercial Sea Plazza. " Quand on refuse, on dit non " est une œuvre qui parle musique, photos et cinéma pour secouer allègrement les consciences africaines de maintenant et de demain. Tout comme l'écrivain ivoirien Amadou Kourouma qu'il paraphrase, auteur du roman éponyme duquel il s'est inspiré, Awadi construit son discours révolutionnaire dans une plaisante poésie.

Cette soupe d'engagement et d'arts a continué de régaler durant la fête au Seanema. Didier Awadi, voulant se départir de tout chapeau de seigneur, est apparu tout décontracté et avenant à la cérémonie. Serrant des mains par-là, servant des étreintes par-ci, ce papa du rap sénégalais paraît tout fier de sa réalisation.

Mais au-delà de son humeur, sa tenue se révèle encore plus distinctive. Il est coiffé du béret noir frappé d'une étoile rouge sur le biais. Ce même calot qui distinguait le révolutionnaire guerrier Che Guevara. Le ton est donc donné, et à dessein. " Ce bonnet fait partie du spectacle ", dira Awadi lui-même, quand il le remettait après l'avoir tenu et s'être incliné devant le public qui a rempli toute la salle.

Awadi a l'allure martiale, malgré le visage et le ton charmants. Oui, il fallait un peu de conciliation. On avait la présence du Ministre de la Culture et du Patrimoine historique, Pr Aliou Sow, et celle du député de l'opposition et activiste, Guy Marius Sagna, entre autres membres du pouvoir et de l'opposition, d'amis, de mélomanes, de sympathisants, d'acteurs culturels, etc.

Mais cet équilibre n'a pas empêché un petit clash entre le Ministre et l'activiste. Pr Aliou Sow a pensé qu'il faut dire non quand on refuse, mais " en cultivant la paix, la responsabilité et dans le respect ". L'honorable Guy Marius Sagna, lui, estime que " la réponse de l'opprimé est simplement à la mesure de l'agression de l'oppresseur ".

Un nuage est passé en ce moment, mais a été vite dissipé par l'ambiance de fête et les sages propos de Dr Massamba Gueye, Ministre-conseiller, acteur culturel et spécialiste du patrimoine. Ce dernier a ramené l'attention au ras de l'évènement, rappelant le sens du discours de Didier Awadi avec une constance de 33 années depuis avant même la création de Pbs.

D'ailleurs, le public a dû comprendre ce fait pour avoir beaucoup célébré Awadi par une série de standing-ovation. Un grand respect manifesté à l'égard d'une carrière longue et prodigieuse, et qui se poursuit avec cette œuvre " Quand on refuse, on dit non " qui gouverne son discours et sa constance.

Moins de musique, plus de texte

S'adressant au public dans une émotion peu retenue, Didier Awadi a marqué toute sa gratitude : " Toute cette assistance, c'est le Pbs. C'est toutes les catégories sociales, toutes les générations, tous les âges... ", s'est-il ému. Il est aussi revenu sur la cuisine de cet album. " Quand on refuse, on dit non " est un propos d'engagement, de courage, de responsabilité, mais surtout de devoir. " Il est important de nommer les choses. Nous vivons une époque où tout est trouble. Est-ce qu'il faut se taire et faire comme si on n'avait rien constaté, ou est-ce qu'il faut prendre la parole ?

Nous, nous pensons qu'il faut parler ", justifie le rappeur de 53 ans. Et puisque, dit le lauréat 2003 du Prix Rfi Musiques du Monde, il a commencé avec la musique il y a 33 ans maintenant, il lui est apparu évident de continuer avec et par la musique. " C'est devenu notre Adn. Je reviens avec ce que j'aime faire ", a souri Awadi. Justement, sur la musique dans cet opus, il s'agit d'un mix d'identité et d'adhésion. " On est restés 5 ans sans album, avec les années Covid qui ont été surtout très difficiles.

Il a fallu résister et surtout après se réinventer parce que la musique a tellement changé ! Aujourd'hui, la musique est faite par les jeunes d'une manière que nous n'avions pas envisagée. Et il faut s'adapter et vivre avec son temps ", a expliqué le boss de Studio Sankara. Pour lui, c'était soit faire du " jeunisme " avec cette musique super branchée, soit revenir à ses fondamentaux. Il a ainsi été fidèle à ses identités tout en marquant une ouverture, et a également choisi d'alléger la musique pour laisser le maximum de place au texte.

De l'engagement, de la poésie et du patrimoine

Les coulisses de l'enregistrement de l'album, projetées à la cérémonie d'ouverture, prouvent du travail minutieux et d'orfèvre qui le sous-tend. Awadi n'entendait pas simplement ajouter une ligne de plus à sa discographie avec cet opus de 12 morceaux. Il souligne d'ailleurs que c'est l'un de ses plus importants projets artistiques. " Quand on refuse, on dit non " suit le sillage de " Présidents d'Afrique " (2010) ou encore du morceau " Ceci n'est pas normal " (1996).

C'est un discours net, tranché et sans concession en faveur d'une Afrique qui tarde à retrouver la plénitude de sa souveraineté et de son honneur. C'est le propos dans le titre éponyme de l'opus, qui occupe la première plage. Awadi s'y dit outré que l'Afrique continue de déléguer sa puissance, de " confier son fric à un kleptomane " et d'exiger la vérité au mythomane ". Il appelle l'Africain à cesser d'être naïf et d'être maintenant impassible, dire non quand il n'est pas d'accord.

Avec le Titre 2, " L'Africain " (en duo avec Baaba Maal), Awadi sert la sève du panafricanisme dans une coupe d'espérance. Il y voit un bréviaire pour construire l'unité, et donc la force qui fera notre apogée. Ensuite, vient " Il n'est jamais trop tard " (pour réussir la démocratie et l'éducation des peuples). C'est une reprise de " Doni Doni " du Bembeya Jazz survolée par le virtuose Diyane Adams.

" Tu croyais quoi ? " (4) suffisait à expliquer l'esprit personnel de l'album. Awadi y dit : " Je vais te faire un jeune rap de vieux père ". Le merveilleux Diyane Adams est revenu dans la plage 5 pour " Enfants bénis ", un hommage aux pionniers inspirants, dont Thomas Sankara notamment. Pour sa carrière bénie et la longévité pas évidente, Awadi a chanté " El Shadaï " pour rendre grâce à Dieu. Là, on y note la voix singulière du choriste Junior Sarr qui y imprime sa dose spirituelle.

" Xalé bi nangu na " (7) et " J'ai pas le temps " (12) ont en commun la suave voix de Korka Dieng. La choriste de Awadi, qui donne un formidable souffle aux productions de celui-ci, y maintient ses gammes fantastiques. Elle ne cesse de surprendre et d'enchanter, décidément. " La Mama " est une ode à sa mère, et à toutes les autres pour la somme de sacrifices, de privations et de bénédictions.

Positive Black Soul a eu droit au chapitre avec " Pas nés d'hier ", un featuring avec son acolyte Duggy Tee qui célèbre leur parcours de gladiateurs. Tandis que " Géométrie variable " (10) maintient la couleur de l'opus en indexant l'indignation sélective devant les drames de l'humanité, " It's all love " (11) permet à Awadi de dire son amour et sa passion pour la musique. Tous sentiments qui le maintiennent encore dans le " game " et lui laissent le plaisir d'explorer et d'innover. Il faut noter les airs de Mansaly Cissé avec le cuivre, les clins d'œil à la composition " Diar diar " de Boy Marone, la touche Gospel et chorale, les featurings ainsi que les subtils emprunts aux nouveaux vents qui renseignent sur les séduisantes ressources de l'impérissable artiste Awadi.

Le drame aurait juste changé de " couleur "

Comment ça aurait été si les Blancs étaient les esclaves, et les Noirs les esclavagistes ? " Bah, pareil ! ", semble répondre le court-métrage de Awadi qui accompagne le lancement de l'album et fait le clip du titre " Quand on refuse, on dit non ". Dans ce film muet de 3 minutes et 16 secondes et réalisé avec du soundground, les Blancs sont ligotés et embastillés à la Maison des esclaves de Gorée.

Awadi dit souhaiter que ce film fasse débat, et fasse voir la honte dans toute forme d'esclavage et tout asservissement de l'homme par l'homme. Le film est disponible sur YouTube. Lors de la cérémonie de lancement, les accessoires (chaines et colliers d'esclave) et des photos du film ont été exposés dans le hall du Seanema.

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