" Restes de Thomas Sankara : Accord pour une réinhumation courant février ".
C'est sous ce titre que nous avons publié hier le communiqué du gouvernement annonçant le choix du site du Mémorial Thomas Sankara (ex-Conseil de l'Entente) pour accueillir les ossements du leader de la Révolution d'août 83 et de ses douze compagnons d'infortune.
Une décision qui procède de concertations entre les parties prenantes, dont les parents des victimes, toujours selon le document gouvernemental.
Mais c'est au moment où le journal était déjà sous presse que nous avons appris le rejet par la famille de Thomas Sankara du choix du lieu retenu.
Raison pour laquelle nous vous proposons dans la présente édition l'intégralité de la réaction de la fratrie Sankara.
Par notre lettre du 27 janvier 2023, faisant suite aux différentes rencontres initiées autour de l'inhumation des restes du Président Thomas Sankara et de ses douze compagnons d'infortune (exhumés sur décision du juge d'instruction du 25 mai 2015), nous disions notre souhait de voir les restes de Thomas Sankara réinhumés ailleurs qu'au Conseil de l'Entente.
Cela pour des raisons précises que nous avions à maintes reprises fait observer au colonel de Garnison Coulibaly Sibiri mandaté pour s'occuper des obsèques.
En effet, nous estimions et continuons de penser qu'il est fondamental que soit trouvé un espace qui permette de rassembler et d'apaiser les cœurs, et non de diviser et d'accroître les rancœurs.
Le Conseil de l'Entente pour cela est un lieu de recueillement inadéquat pour toute la charge qu'il recèle.
Nous sommes donc surpris d'apprendre par un communiqué du 3 février 2023 émanant du ministère de la Communication, de la Culture, des Arts et du Tourisme, porte-parole du gouvernement, que décision a été prise de procéder à l'inhumation des dépouilles sur ce lieu pourtant conflictuel et polémique, nous citons : " .. la présente décision est le résultat des concertations au sein des forces armées (notamment le Bureau de Garnison de Ouagadougou et la Justice Militaire) élargies aux familles des victimes, à la mairie de Ouagadougou, aux autorités coutumières et religieuses ainsi qu'au Comité International du Mémorial Thomas Sankara.)
Nos raisons susmentionnées ont été pourtant plusieurs fois clairement ressorties et cela, dès les toutes premières idées évoquées par le Mémorial Thomas Sankara il y a quelques années, quant à un éventuel transfert de la dépouille de Thomas Sankara au Conseil de l'Entente.
Nous nous sommes plusieurs fois exprimés sur la question en insistant par contre sur la pertinence de la préservation du Conseil de l'Entente comme lieu de mémoire pour reconstituer les faits marquants de cette journée macabre du 15 octobre 1987 aux fins qu'il ne s'efface pas pour les générations actuelles et futures.
Nous sommes sensibles à tous les égards que le peuple burkinabè accorde à cette mémoire à travers toutes ces manifestations de sympathie, de préservation de l'histoire et de la mémoire de notre pays.
Nous sommes également sensibles au fait que ses compagnons d'armes à travers les institutions militaires, les autorités administratives, religieuses et coutumières soient mobilisées pour la célébration de ces héros. Notre feu fils, époux, père, frère pour les
uns, oncle, cousin, camarade ou ami pour les autres, certes est un héros national. Il en est de même pour ses douze compagnons tombés avec lui et dont l'histoire du destin tragique est intimement liée à la sienne.
Les assassinats du 15 octobre demeurent un moment singulier dans l'histoire récente de notre jeune nation.
Un procès retentissant aux envergures nationales et internationales y a fait suite une trentaine d'années plus tard, marquant d'une pierre blanche la question de l'impunité en Afrique et mettant à jour le défi de la justice possible.
Il nous semble essentiel que les événements qui accompagnent ce cycle se fassent en bonne entente et concertation.
Prendre le temps de l'organisation est nécessaire surtout en ce moment crucial de notre histoire où les forces mobilisées sont dirigées vers la lutte pour préserver l'intégrité du territoire national.
C'est le moment de souhaiter que la réinhumation du Président Thomas Sankara se fasse de façon consensuelle dans le calme, étant donné que nos amis, à travers l'Afrique et le monde nous regardent et se sentent concernés par ces obsèques qui sont un temps fort de notre histoire.
Les prises de positions des mandatés de l'organisation des inhumations sont, pour l'heure, susceptibles de semer la confusion et le désarroi au moment où notre pays doit, plus que jamais, rassembler ses enfants.
Par ces mots nous prenons l'opinion publique nationale et internationale à témoin que le lieu d'inhumation des restes de Thomas Sankara vient de nous être imposé sans autre forme de discussion consensuelle.
Pour ce fait, nous sommes au regret d'informer que nous ne participerons pas à l'organisation des cérémonies et ne serons pas présents aux inhumations.
Néanmoins, nous osons garder toujours espoir que d'autres perspectives soient offertes à cette cause.
Ouagadougou, le 5 Février 2023
Les membres de la Famille de feu Thomas Sankara
NDLR : Depuis qu'il a été question d'honorer la mémoire du président du CNR ainsi que celle de ses douze comourants, " L'Observateur Paalga " a toujours émis des réserves sur le choix éventuel du Conseil de l'Entente pour abriter un monument commémoratif à cet effet. Et pour cause :
- Primo : jusqu'à preuve du contraire, officiellement ce lieu n'est pas la propriété de l'Etat burkinabè mais celle de toute l'organisation communautaire fondée en 1959. A ce titre, il est considéré comme une enclave diplomatique.
- Secundo : au regard des assassinats, des tortures et autres atrocités qui y ont eu lieu, le Conseil de l'Entente, transformé en QG du CNR, est devenu une véritable scène de crimes et un symbole de la violence politique.
Pour toutes ces raisons, il serait donc, entre autres, paradoxal que sur ce musée des horreurs les uns soient portés au pinacle alors que d'autres gisent dans le sol.
C'est donc dire que la visite de ce Mémorial évoquera toujours des souvenirs contrastés.