Tunisie: En raison des effets de la pollution plastique - Des pertes de plus de 20 millions de dollars par an

7 Février 2023

Selon la WWF (2019), la Tunisie a déversé 8.500 tonnes de plastique en Méditerranée en 2016, dont 33% reviennent sur ses côtes en une année. En effet, les déchets plastiques s'orientent à 11% en fond marin, 33% en mer et se rejettent sur le littoral et 56% restent sur la surface de la mer.

Dans son dernier rapport sur "L'économie bleue en Tunisie, opportunité pour un développement intégré et durable de la mer et des zones côtières : éléments de cadrage stratégique", la Banque mondiale a consacré un chapitre entier à la préservation des atouts naturels et la gestion de la pollution dans notre pays, étant donné que les problèmes environnementaux menacent la viabilité de la croissance économique et sont générateurs de tensions et de protestations populaires (en 2019, pas moins de 250 protestations locales à caractère environnemental ont été recensées).

Néanmoins, en ce qui concerne l'indice de performance environnementale, la Tunisie demeure relativement bien classée, mais il reste une marge de progrès certain. En effet, le rapport EPI-2020 classe la Tunisie au 71e rang sur 180 pays en termes de santé environnementale et de vitalité des écosystèmes, avec un score de 46,7 sur 100, en amélioration de 6,4 points sur les dix dernières années. Elle se situe au 5e rang dans la région arabe et devançant l'ensemble des pays de l'Afrique du Nord. Toutefois, l'empreinte écologique de la Tunisie accuse une détérioration continue. Alors qu'elle était de 0.9 gha/personne au milieu des années 1960, elle est passée à 2.19 gha/personne pour l'année 2016 ; enregistrant ainsi un déficit écologique de l'ordre de 1.5 gha/personne.

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Une biodiversité riche, mais menacée

En Tunisie, les écosystèmes marins se distinguent par une flore assez riche, mais encore peu étudiée. Parlons chiffres, on connaît environ 164 espèces de microphytes et 400 espèces de macrophytes benthiques. Celles-ci sont moins menacées que celles des peuplements des herbiers de posidonie et les peuplements de Cystoseira. Les ressources halieutiques sont, donc, bien connues et le bilan actuel de la biodiversité marine fait état de 3.480 espèces, réparties sur 15 groupes et représentant environ 45% de la biodiversité méditerranéenne. Le nombre des espèces exotiques ne cesse d'augmenter, atteignant 191 espèces en 2018. On recense actuellement près de 55 espèces menacées. Cette biodiversité offre environ 190 espèces ciblées par la pêche, locale et étrangère.

Pour sa part, le peuplement des vertébrés est composé de mammifères marins dont le phoque moine, qui semble avoir totalement disparu, les oiseaux marins assez nombreux (notamment dans le golfe de Gabès), les tortues marines qui sont protégées, les poissons cartilagineux (59 espèces) et les poissons osseux (227 espèces en Tunisie sur 532 en Méditerranée). Enfin, le reste de la faune marine est assez mal connue, notamment le zooplancton et le peuplement des invertébrés (éponges, mollusques, crustacés, échinodermes, etc.). Cependant, la biodiversité marine d'une manière générale apparaît, à multiples endroits, surexploitée et dégradée.

S'ajoute à cela l'aridité du climat caractérisant la Tunisie qui fragilise encore plus les ressources marines les rendant d'autant plus précieuses, aussi bien d'un point de vue patrimonial qu'économique. Deux de ces ressources semblent, aujourd'hui, menacées alors qu'elles jouent un rôle primordial pour l'équilibre des milieux naturels et la stabilité du tissu socioéconomique : les herbiers de phanérogames et de posidonies et les ressources halieutiques.

Par ailleurs, malgré une hausse de la production, des signes de surexploitation témoignent de la fragilisation de l'état des stocks halieutiques. Avec une production annuelle totale d'environ 130.000 t déclarées, le secteur de la pêche fait vivre directement ou indirectement 100.000 personnes. Selon l'Instm, les stocks exploitables dans une optique de gestion durable s'élèveraient à environ 150.000 t. Ce chiffre pourrait indiquer un état de surexploitation des stocks car il est généralement admis que les tonnages déclarés comme étant pêchés ne reflètent pas la réalité des prises annuelles et un facteur 1,5 est généralement appliqué (soit autour de 180.000 t).

Des signes inquiétants de dégradation

L'artificialisation des rivages par l'effet de l'urbanisation, localement non respectueux des exigences du milieu, associé à des phénomènes météorologiques exceptionnels, a causé une érosion et une régression du littoral, régulières et plus ou moins prononcée, dans certaines localités comme Hammamet, Djerba... En effet, les changements climatiques et particulièrement les risques d'élévation du niveau de la mer constitueraient dans l'avenir de graves menaces sur cette frange fragilisée et tant convoitée. En effet, l'Atlas de la vulnérabilité, édité par le Pnud et l'Apal en 2015, fait état que 44% des côtes tunisiennes sont considérées vulnérables à fortement vulnérables et 24% sont considérées moyennement vulnérables à une élévation du niveau de la mer et aux risques de submersion et d'érosion.

Par ailleurs, l'étude indique que plusieurs formes de pollution marine persistent encore en Tunisie : elles sont de différentes dimensions, de la plus petite en provenance de petites agglomérations urbaines ou de petites unités industrielles disparates, jusqu'aux plus grandes affectant des écosystèmes entiers, le cas du golfe de Gabès.

A titre d'illustration, les nutriments rejetés par le secteur industriel au bord du littoral, ou en relation avec celui-ci, constituent une pression significative sur les équilibres littoraux et marins.

Ils se matérialisent essentiellement à travers la DBO (Demande biochimique en oxygène), l'azote et le phosphore. Les rejets de DBO pour l'ensemble des unités industrielles, après une diminution significative en 2008 par rapport à 2003, ont connu une nette augmentation au cours de l'année 2018 dépassant les 16.500 t.

C'est au niveau des gouvernorats du littoral de Nabeul, Sfax, Sousse, Ben Arous et Ariana qu'on observe les augmentations les plus significatives. Les deux régions de Sfax et de Gabès apparaissent de loin les plus grands émetteurs de métaux lourds en mer. Elles ont rejeté, rien que pour l'année 2003, respectivement 678 et 2.141 t. Sfax a assuré, toutefois, une sérieuse performance dans ce domaine en réduisant sa quantité produite rejetée à 39 t en 2018.

Grâce au suivi des rejets telluriques en mer et à la pollution marine d'une manière générale, le réseau de surveillance de la qualité des eaux de baignade, géré par le ministère de la Santé (Dhmpe), fait apparaître, pour l'année 2020, que 10% des eaux de baignade des plages tunisiennes sont de mauvaise à très mauvaise qualité, 20% présentent un état critique et nécessitent un suivi rapproché et 15% sont de qualité assez bonne.

La pollution par les plastiques, une autre paire de manches

Même si la Tunisie n'est pas un grand producteur de plastique, elle subit les effets de la pollution plastique dans les zones côtières et marines. Le gouvernement a mis en place des actions pour atténuer ce problème, à travers Ecolef, un système public de récupération des emballages, géré par l'Agence nationale de gestion des déchets (ANGeD). Mais des efforts supplémentaires sont encore nécessaires, car environ 80% seulement des déchets sont collectés (taux de collecte), dont 4% sont recyclés. Une étude du Fonds mondial pour la nature (WWF) estime que l'économie bleue de Tunisie perd plus de 20 millions de dollars par an en raison des effets de la pollution plastique.

La pollution du littoral et de la mer par les déchets plastiques peut causer diverses conséquences négatives, telles que les coûts élevés de leur élimination et du nettoyage des plages, les risques sur la santé publique (contamination des produits de la mer), etc. D'après la Fondation Heinrich Boll Stiftung (Atlas du plastique, 2019), les plastiques rejettent des gaz à effet de serre (dioxyde de carbone, méthane et autres gaz à effet de serre) à tous les stades de leur cycle de vie.

Depuis l'extraction et le raffinage des combustibles fossiles jusqu'à l'élimination, l'incinération et le rejet potentiel des déchets dans l'environnement, en passant par les procédés énergivores permettant d'obtenir des résines plastiques.

En outre, la pandémie du Covid-19 risque d'aggraver le problème de la pollution marine par le plastique en Tunisie, en raison d'une utilisation accrue des masques, des équipements de protection individuelle, des emballages à usage unique, et en l'absence d'une gestion adéquate de ces déchets. De même, la masse de déchets augmente car de nombreuses activités de recyclage ont été temporairement interrompues en raison de la conjoncture pandémique.

Face à cette situation, le développement de solutions organisationnelles, financières et techniques viables et adéquates nécessite la compréhension de la situation actuelle en vue d'identifier les aspects qui doivent être maîtrisés pour réduire, voire éliminer la pollution plastique.

En effet, le taux des déchets plastiques mal gérés est estimé en Tunisie à 60%. Ce taux reflète les lacunes du système actuel de gestion de déchets. Ce constat peut permettre d'identifier des problèmes potentiels qui concernent la capacité limitée de la collecte et du traitement de déchets, les lacunes organisationnelles, financières et logistiques des autorités locales, les législations qui ne sont pas toujours adaptées aux besoins de protection de l'environnement et la technologie existante peu développée et peu maîtrisée.

Selon la WWF (2019), la Tunisie a déversé 8.500 t de plastiques en Méditerranée en 2016, dont 33% reviennent sur les côtes tunisiennes en une année. En effet, les déchets plastiques s'orientent à 11% en fond marin, 33% en mer et se rejettent sur le littoral et 56% restent sur la surface de la mer. La même source (WWF 2019) estime les provenances des 8.500 t de plastiques déversées annuellement en mer, de la manière suivante : 78% des activités humaines le long des côtes, notamment celles de Tunis, Sousse, Sfax et Gabès ; 15% de la pêche, de l'aquaculture et des navires ; 7% des dépôts des fleuves, notamment de la Medjerda.

La côte tunisienne connaît un flux quotidien de plastique supérieur à la moyenne, avec 9,5 kg de plastique par km de côte chaque jour, alors que la moyenne en Méditerranée est de 5,1 kg par km de côte. Ainsi, la pollution totale déversée sur le littoral tunisien représente 3% de la pollution totale du littoral méditerranéen. Forte de ces constats, la Tunisie a engagé la préparation de sa Stratégie littorale sans plastiques (Lisp) en vue de réduire la pollution marine par le plastique et de promouvoir des approches basées sur l'économie circulaire.

Passer à l'action

A l'issue du diagnostic environnemental et climatique, l'étude a proposé une série de recommandations et d'actions prioritaires. Selon l'institution monétaire, il est urgent de préserver les actifs marins et côtiers à travers la conservation des zones marines et côtières et leur biodiversité, prévenir et gérer la pollution marine et côtière de toute nature et en particulier par le plastique, développer la résilience des ressources marines et côtières au changement climatique, favorisant aussi la résilience des secteurs clés de l'économie bleue, tels que le tourisme, la pêche et l'aquaculture.

En ce qui concerne les actions, la BM propose de mettre en place des dispositifs de collecte, de traitement et de diffusion des données et des informations sur le capital naturel marin et côtier en lien avec le développement d'un "Observatoire national de l' économie bleue" et permettant de développer une comptabilité du capital naturel. Il faut aussi soutenir la mise en œuvre de la stratégie "Littoral sans plastiques-Lisp" et de son plan d'action opérationnel et mettre en place un système intégré de gestion de la pollution (avec des dimensions et des variables différentes) contribuant au suivi des indicateurs définis dans le programme Imap.

L'étude recommande aussi de mettre en place un programme d'actions préventives et curatives de lutte contre toutes les autres formes de pollution marine, en dehors de la pollution plastique, prendre des mesures urgentes pour stopper l'érosion et le recul de la bande côtière et établir un plan d'action national d'adaptation et de résilience des ressources marines et côtières au changement climatique.

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