Petit à petit, les éléments du puzzle sont en train d'être réunis. Une semaine après l'enlèvement et l'assassinat du journaliste camerounais Martinez Zogo, de son vrai nom Arsène Salomon Mbaini Zogo, les enquêteurs ont pris dans leurs mailles des suspects sérieux.
En rappel, l'homme de médias Zogo, la cinquantaine révolue, avait été enlevé le 17 janvier par des inconnus dans la banlieue de la capitale devant un poste de gendarmerie. Son corps sans vie, qui a manifestement subi d'importants sévices, avait été retrouvé quelques jours plus tard, le 22 janvier précisément, en périphérie de Yaoundé, dans un état de décomposition avancé. Directeur de la radio Amplitude FM, Martinez Zogo enquêtait sur un scandale de détournement de centaines de milliards de F CFA, et dans lequel seraient impliquées des personnalités proches du pouvoir en place à Yaoundé.
Le lundi 6 février dernier, des personnes avaient déjà été appréhendées par les enquêteurs. Il s'agit notamment de Jean-Pierre Amougou Belinga, de Bruno Bidjang et du colonel Raymond Thomas Etoundi Nssoe, tous trois de gros bonnets du microcosme sociopolitique au Cameroun. On était cependant loin d'imaginer que cela conduirait à des cercles hautement étatiques.
En effet, selon les informations obtenues par Reporters sans frontières (RSF), des agents de renseignement, de hauts gradés militaires, ainsi que des responsables du service de contre-espionnage sont aussi inquiétés dans ce drame innommable. On parle même de membres du gouvernement, notamment du ministre d'Etat, garde des Sceaux, Laurent Esso.
Mais comme dans toute enquête de ce genre, il faut se garder de les condamner tout de suite, parce qu'ils restent en principe innocents avant tout jugement. Tout crime d'Etat met généralement en scène de hautes personnalités du pouvoir, d'un régime. La question dans ce cas-ci est alors de savoir si le chemin des enquêteurs les conduira au plus haut sommet de l'Etat ? Autrement dit, qui sont les vrais commanditaires de cet ignoble crime ?
De deux choses l'une : ou ils ont donné le feu orange aux exécutants pour la liquidation du supplicié, et ceux-ci n'ont pas hésité à commettre leur forfait, ce qui est très grave ; ou ils n'en n'ont pas eu du tout mais, en parfaits zélés, ont tout de même décidé librement du sort de leur victime, ce qui est encore plus grave.
En tout état de cause, cela est révélateur de la nature même du régime camerounais, une véritable " démocrature " comme nous l'avons écrit hier dans nos colonnes au sujet de cette sombre affaire. Un régime dans un pays où règne en maître incontesté Paul Biya, qui aura dans quelques jours 90 ans, et qui ne veut pas lâcher le pouvoir, si ce n'est le céder à son fils Franck, soutenu en cela par des zélateurs impénitents.
Quand bien même les choses ne se seraient pas passées comme le présentent certains observateurs de la scène politique camerounaise, on est fondé à croire que les meurtriers ont profité d'un environnement propice. Comme ce fut le cas d'un Norbert Zongo au Burkina Faso, du nom du directeur de publication de L'Indépendant, assassiné puis brûlé dans sa voiture en rade de Sapouy, un 13 décembre de l'année 1998.
Maintenant que les fins limiers sont en train de tirer sur la ligne, espérons seulement que toute la lumière sera faite sur ce énième crime sur la personne d'un journaliste au Pays d'Ahmadou Ahidjo, une récidive qui continue malheureusement d'émouvoir les Camerounais.
Il est à noter que le Cameroun occupe la 118e place sur 180 pays au classement mondial de la liberté de la presse, établi par RSF en 2022.