Ile Maurice: Médias - Les difficultés de la presse réunionnaise

Maurice vient de célébrer les 250 ans d'existence de la presse écrite. Cette industrie, vitale pour la démocratie, connaît de nombreux tumultes de par le monde. À La Réunion, les principaux titres vacillent. Ceci, comme dans notre pays, est dû à l'essor des nouveaux médias. Quels autres facteurs y contribuent? Comment inverser la situation? Explications.

Vincent Vibert, directeur du Quotidien de La Réunion, est catégorique : la presse écrite réunionnaise connaît malheureusement les mêmes difficultés que ce secteur sur le plan général. Il les résume en trois points. D'abord, il y a un changement de comportement des lecteurs qui se tournent de plus en plus vers le numérique et une information gratuite sur les réseaux sociaux, ce qui affecte la vente de journaux papier. "Ce changement de comportement s'est accéléré avec la crise du Covid-19", observe-til. Deuxièmement, les coûts de matières premières (notamment le papier) et les coûts d'approche (le fret) ont fortement augmenté depuis la pandémie. L'impact est encore plus marqué pour les territoires insulaires, notamment au niveau des coûts d'approche.

Troisièmement, Vincent Vibert évoque un marché publicitaire qui subit l'incertitude économique mondiale. "Par conséquent, cette incertitude impacte négativement l'investissement publicitaire des entreprises dans les médias traditionnels dont la presse écrite, ainsi que des investissements publicitaires priorisés vers les géants du Web - Google, Apple, Facebook et Amazon (GAFA) au détriment des médias traditionnels locaux", constate-t-il.

Dans les kiosques, indique Franck Cellier, représentant du Syndicat national des journalistes (SNJ) à La Réunion, on trouve Le Quotidien de La Réunion et Le Journal de l'île de La Réunion - le JIR. "Ce sont, à mon sens, des journaux qui traversent des problèmes financiers. Aujourd'hui, il est très difficile pour un journal de presse écrite d'équilibrer un budget avec des rédactions qui, bien qu'assez importantes, ont été réduites", confie-t-il.

Outre les problèmes financiers, Franck Cellier revient sur les nouveaux médias qui ont démarré entre 2000 et 2005. Une période où, dit-il, la presse écrite réunionnaise était alors en forte progression, avec une moyenne de 25 000 à 34 000 exemplaires. Aujourd'hui, les tirages des journaux se situent autour des 15 000 exemplaires. En sus de la presse écrite, le JIR a lancé son site web clicanoo.re. Idem pour Le Quotidien de La Réunion avec lequotidien.re. Parallèlement, l'île soeur dispose d'autres sites d'informations, dont zinfos974, Imaz Press Réunion, linfo.re, un pendant d'Antenne Réunion et de Réunion La Première. L'essor des sites web a eu des conséquences. Ainsi, lorsqu'une information publiée dans la presse écrite est aussi en ligne, gratuitement, les gens s'en détournent, confie Franck Cellier.

Supports numériques privilégiés

Ailleurs, d'autres médias sont dans la tourmente, à l'exemple des journaux Le Monde et Le Figaro, poursuit notre interlocuteur. Cette observation est partagée par Patrick Planchenault, directeur de la rédaction du JIR Group Media. "La Réunion, comme en France métropolitaine, connaît une cruelle réalité. Les lecteurs gratuits progressent sur les sites d'information avec les tablettes etc. à mesure que les lecteurs papier déclinent. C'est un triste constat, mais c'est la réalité", constate-t-il.

Mais ce n'est pas parce que les ventes reculent que l'audience recule, rétorque-t-il. Selon lui, il se peut que l'audience n'ait jamais été autant amplifiée par les réseaux sociaux et les sites d'information comme celui de clicanoo. Un changement dans l'habitude de consommation des lecteurs est constaté. Le lecteur traditionnel privilégie des supports numériques. "Cela nous impacte, comme c'est le cas pour la presse mauricienne", confie-t-il.

Que faire face à cette situation? Pour Vincent Vibert, la presse écrite a de nombreux atouts pour y parvenir. Ceci implique de réaffirmer son rôle et sa crédibilité. "Sans presse libre et indépendante, il ne peut pas y avoir de démocratie. Il faut donc réaffirmer le rôle majeur qu'a la presse dans une société pour re-susciter l'adhésion. Aussi, dans un contexte médiatique pollué par les fake news, la presse écrite est le gardien, le garant d'une information vérifiée et crédible. Les rédactions sont composées de journalistes professionnels, ce qui est un gage de sérieux et de crédibilité pour les lecteurs. Ceci peut être un déclencheur pour faire revenir ceux qui ont déserté la presse au profit de plateformes qui ne font pas la distinction entre une information vérifiée et non vérifiée", déclare-t-il. Selon lui, il y a notamment une éducation à faire auprès du public plus jeune pour lui faire prendre conscience de ces enjeux et lui donner envie de se connecter à la presse.

Il convient également d'accélérer la transformation numérique et de trouver le bon modèle économique propre à nos économies insulaires. Il évoque aussi la création de synergie et de valeur entre les différents supports (papier, web, application, réseaux sociaux) afin de donner à chaque support une raison d'être et une utilité aux usages médias de chacun.

De même, il faut se diversifier à travers des écosystèmes multi-canaux (print - digital - événements) proposant des contenus spécialisés et des services à destination d'audiences spécifiques. "Il faut aussi démontrer aux annonceurs que la presse locale est le média de proximité par excellence et qu'il apporte un fort retour sur investissement pour une marque. La presse est déclencheuse d'achat", indique Vincent Vibert.

Se réinventer

Clairement, avance Franck Cellier, comme il s'agit d'un pilier de la démocratie, il faut tout faire pour sauver la presse écrite. Quoique, dit-il, cela reviendrait à "sauver le soldat Ryan". "Maintenant, plus d'un Réunionnais sur deux s'informe sur les réseaux sociaux. Cette information est validée par des gens possédant une carte de presse. Les lecteurs se retrouvent perturbés par ceux qui n'en ont pas, comme des influenceurs, de simples citoyens qui peuvent être de bonne foi ou être des manipulateurs. Il y a un enjeu vérifiant et les fake news. Ce sont les journalistes qui peuvent éclairer la lanterne", explique-t-il.

À côté, les journalistes souffrent du fait que les médias soient "boudés, détestés et même traités de 'merdias'" car les gens ne leur font plus confiance. Pour lui c'est un métier difficile qu'il faut défendre et sauver. Il s'aligne en faveur de l'émergence d'une presse différente et alternative.

Quant à Patrick Planchenault, il est d'avis que la presse traditionnelle doit se réinventer et repenser son modèle économique ainsi que sa diffusion combinant support papier et numérique. "Il faut que nos rédactions s'inscrivent dans une démarche mi-médias et très professionnelle pour rétablir les faits dans le flou des fake news qui sont facilement accessibles et sont pris pour argent comptant sur les réseaux sociaux", affirme-t-il. Aujourd'hui, n'importe qui peut se prétendre journaliste et créer sa propre information relayée via son réseau sur Instagram ou TikTok, entre autres, ajoute-t-il. Pour lui, il faut en permanence investir dans de nouvelles plateformes de médias et de service. "C'est ce qu'on cherche à faire pour fidéliser notre audience actuelle et recruter de nouveaux lecteurs, si possible de nouveaux lecteurs-acheteurs", conclut-il.

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