Kayar — Les horticulteurs et pécheurs de la zone des Niayes, particulièrement ceux des localités de Kayar et de Djogo, dans la région de Thiès, vivent sous la hantise de la perte de leurs activités, alors que l'exploration minière et pétrolière est en pleine expansion.
Il était 17 heures ce jour-là lorsque qu'une équipe de journalistes de l'Agence de presse sénégalaise est arrivée à Kayar, une localité de la zone des Niayes, située non loin de Dakar.
Troisième port de pêche du pays, après Mbour et Joal, Kayar est aussi avec son millier d'hectares emblavés, l'un des premiers producteurs de légumes, surtout de pomme de terre.
Ici, la tradition est d'être à la fois pêcheur et maraicher. Face à la raréfaction du poisson, l'horticulture tend à prendre le dessus sur la pêche. Beaucoup de gens ont abandonné les filets pour les champs.
Mor Mbengue, coordonnateur du Comité local de pêche artisanale (CLPA) de Kayar évoque une "rupture" notée dans la migration des petits pélagiques, dont le fameux "yabooy", principales sources de protéines des Sénégalais.
Ces poissons qui empruntaient l'axe Maroc- Guinée Bissau, en passant par Kayar, ne sont plus visibles dans ce port de pêche, depuis le début de l'exploration du pétrole et du gaz, dit-il.
Les conséquences éventuelles de cette situation pourraient se faire ressentir au-delà des limites de Kayar, laisse-t-il entendre. "Lors de la campagne de pêche, la population de la commune est triplée", avec l'afflux de travailleurs saisonniers venus de partout, y compris de la sous-région. Ils viennent s'ajouter aux 1320 membres de la Fédération des femmes actives dans la pêche, aux 133 GIE de femmes et aux 325 femmes transformatrices. Le gros du contingent est composé des charretiers qui assurent le transport du poisson et des légumes.
La baisse des captures semble a, sans doute, créé un déséquilibre, avec l'arrivée de plus en plus de personnes dans les champs. Sauf que de ce côté aussi, les inquiétudes ne manquent pas, à la lumière des enjeux liés à d'exploration de zircon sur cette bande de terre fertile longeant la côte de Dakar à Saint-Louis, en passant par Mboro, Kayar et Lompoul.
Une production annuelle de plus de 23.000 tonnes de pomme de terre
La principale artère menant au quai de pêche, grouille de monde, avec un embouteillage de voitures, mais surtout de charrettes. Sur la gauche de cette voie, la mer et le quai de pêche, sur la droite, derrière les habitations, s'étendent à perte de vue des périmètres maraîchers. Ces deux activités sont les mamelles nourricières de l'économie de Kayar. L'Association des producteurs maraîchers de Kayar (AMPK) a son siège aux abords de cette route stratégique.
Aujourd'hui, les responsables de cette structure de plus de 800 producteurs, qui écoulent en moyenne 23.000 tonnes de pomme de terre par an vers Dakar, sont anxieux depuis qu'ils ont été conviés par le sous-préfet à une réunion sur un projet d'exploration de zircon sur 36,9 ha. Soit plus que l'étendue de Kayar et jusqu'à Diender et environs.
Au milieu des champs de pomme de terre, dans une cuvette verdoyante, séparée de la ville par des dunes de sable plantées d'une bande de filaos, Modou Fall, le président de l'AMPK reçoit une équipe de l'APS en tournée dans la région, dans le cadre du prochain séjour du chef de l'Etat dans la zone.
S'ils saluent les efforts de l'Etat en termes de subvention des intrants - engrais et semences - qui est passée de 46% à 50%, avec 191 millions de FCFA d'arriérés certes, les producteurs restent préoccupés par la préservation de leur plus important capital : la terre.
Un message qu'il ne manque pas d'adresser au président Macky Sall.
"Lorsqu'on dit qu'on va exploiter du zircon du sous-sol sans rien détruire, on connait d'avance les conséquences néfastes sur l'agriculture", dit Modou Fall. "A chaque environnement, ses spécificités. Ici, nous avons la fraîcheur propice au maraîchage qu'on ne peut avoir à 40 km d'ici. On peut déplacer les populations, mais pas la fraîcheur", plaide-t-il, avec l'assurance d'un expert.
Toutes les conditions sont réunies pour la culture de la pomme de terre : le sol est sablonneux, la nappe est proche et, grâce à la fraîcheur ambiante, le produit une fois récolté, se conserve plus longtemps que dans d'autres zones, poursuit-il.
"La zone des Niayes : grenier du Sénégal"
Pour Modou Fall, l'ambition affichée lors de la campagne présidentielle de 2019 par le président Macky Sall de faire de la zone des Niayes, une fois réélu, le grenier du Sénégal, est plus que jamais pertinente.
Les leçons tirées de la covid-19 et de la guerre ukrainienne, quant à l'urgence pour chaque pays de garantir sa souveraineté alimentaire lui donnent raison. "Si tu détruis ton grenier, que vas-tu faire ? importer".
Le président de l'AMPK défend, avec force conviction, l'urgence de savoir si le zircon qu'on veut extraire des dunes de Kayar vaut les légumes qu'on y cultive et qu'on peut y cultiver pour des générations encore. Il s'est déjà fait une opinion : "ce qu'on y trouve déjà vaut beaucoup plus que ce qu'on veut en tirer". Il pense déjà à tout ce beau monde qui vit de cette activité, au-delà des maraîchers eux-mêmes.
"Le message que nous lançons au président de la République, c'est de nous accompagner pour pouvoir honorer nos engagements et qu'on nous laisse la vocation maraîchère de cette zone", plaide dans le même sens le secrétaire général de l'AMPK, Mbaye Ndoye.
Ce dont les horticulteurs ont surtout besoin en ce moment, ce sont des pistes pour désenclaver la zone de production. Une situation dont l'équipe de l'APS a pris la mesure en se rendant à pied dans les champs, après qu'un de ses véhicules s'est embourbé pendant près d'une demi-heure dans le sable.
Les autres défis ont pour noms, absence d'accompagnement des institutions financières, subvention encore insuffisante et cherté des engrais. Ce quinquagénaire né d'un père pêcheur et maraîcher, a assez de peine pour perpétue son héritage, pour que l'on en rajoute. "On a vu les dégâts des industries extractives à Diogo", relève-t-il. Si bien que les populations de Kayar "se sont opposées catégoriquement" à toute exploration.
"Elles savent qu'après l'exploration, la phase suivante, sans qu'on ne puisse rien y faire, c'est l'exploitation", en cas de découverte, dit-il. Ce qui est synonyme, à ses yeux, d'une mort certaine du maraîchage à Kayar.
"L'exploitation de zircon ne menace pas le maraîchage"
De l'autre côté de la zone des Niayes, dans la commune de Darou Khoudoss, notamment à Diogo, dont le nom rime aujourd'hui avec zircon, la version est tout autre. "Il y a tellement beaucoup de fausses informations qui sont véhiculées que tant qu'on n'est pas sur le terrain, on ne peut pas vérifier", explique Idrissa Guiro, chef du service réhabilitation de GCO, en faisant visiter un site restauré après exploitation à des journalistes de l'APS.
Grande Côte opérations (GCO), une filiale du français Eramet, exploite depuis 2014 du zircon, ainsi que d'autres sables minéralisés sur les dunes littorales le long de la côte Atlantique. Il a démarré en joint-venture avec l'australien MDL, qui s'est par la suite retiré en 2018.
Chaque année, la mine itinérante avance de sept à 13 km sur un permis de 445 kilomètres carrés, situés entre Mboro et Saint-Louis.
Il est catégorique : l'exploitation de zircon ne menace pas le maraîchage, puisqu'elle se fait sur les dunes littorales où se produit la minéralisation et non dans les cuvettes maraîchères. La mine utilise aussi le Maastrichtien, une nappe très profonde, qui n'a "presque pas de contact" avec la nappe superficielle puisée pour le maraîchage, défend-il.
"Il y a beaucoup d'amalgames car le service forestier assure la gestion de cette terre", poursuit-il. En 2022, la société a restitué 85 hectares exploités et réhabilités à l'Etat, via le service des Eaux et Forêts. Ces terres sont aujourd'hui la principale zone de pâturage pour les troupeaux des environs.
"D'ici à 2026, on (GCO) va restituer à l'Etat 946 ha", annonce encore Idrissa Guiro, engoncé dans son uniforme aux couleurs de la société minière. Sur un grand tableau à l'entrée du site réhabilité, un schéma raconte le processus de rénovation, depuis le défrichement jusqu'au reverdissement, en passant par l'exploitation de la mine, le reprofilage, l'amendement du sol avec de la fumure organique et la valorisation des sites. Avec l'appui d'universitaires, une caractérisation biophysique du sol, de la faune et de la flore, au départ sera comparée à l'état post réhabilitation.
Après réhabilitation, les terres sont plus fertiles qu'avant, avec un tapis herbacé plus dense. Des anacardiers, des eucalyptus, des filaos, issus d'une pépinière gérée par la communauté, sont plantés sur les dunes. Hormis les piquets et les grillages de protection des espaces restaurés achetés ailleurs, ce sont cinq GIE issus de la communauté locale qui réhabilitent les terres et assurent le suivi pendant cinq ans. Le service forestier n'accepte de reprendre les terres que si les résultats sont satisfaisants.
"J'ai proposé un nouvel objectif, c'est qu'on restitue autant qu'on a réhabilite, au fur des années", dit-il. "C'est, explique Idrissa Guiro, pour éviter (toute) la notion d'accaparement des terres, parce que les gens pensent que GCO s'est accaparée la terre". Au-delà de cette activité environnementale, la société a relocalisé les populations impactées dans des sites de recasement construits suivant la taille des familles et leurs relations sociologiques.
Elles ont accès à l'eau à l'électricité avec le solaire et disposent d'une mosquée, d'un poste de santé et d'une école, dont la première génération d'écoliers est au collège cette année.
A propos des doléances exprimées par des habitants des sites de recasement lors d'une visite du ministre des Mines Omar Sarr, en septembre 2022, il relativise : "la nature humaine est de vouloir toujours plus, ce qui est compréhensible". Il reste convaincu, toutefois, que leurs conditions actuelles sont meilleures. Grâce à ce relogement, ils sont passés d'un habitat éparpillé à des concentrations de populations, créant ainsi des pôles économiques, avance-t-il encore.
Une piste et des forages leur permettent maintenant de cultiver sur des espaces qui étaient en friche. Sans compter les activités de RSE dans l'éducation, la santé, l'horticulture avec des appuis en semences aux producteurs.
Les rapports avec les populations riveraines étaient "tendus à un moment, mais actuellement ils sont au beau fixe", admet-il, notant qu'après avoir visité la mine, beaucoup de communautés parmi les plus réticentes "changent d'avis" par rapport à leur perception initiale de son activité. "Thiakhmate, c'était très tendu, mais actuellement les relations sont pacifiées, Lompoul, c'était tendu, mais ça commence à s'apaiser", lance-t-il.
Les communautés de pêcheurs de cette localité s'opposaient au projet de zircon, craignant que l'exploitation n'impacte leur activité, raconte-t-il, précisant que la bande de filaos séparant les dunes exploitées de la mer, ne fait même pas partie de la concession.
"On n'est pas aussi riche que les gens le croient. Quand on regarde le rapport ITIE (Initiative pour la transparence dans les industries extractives) de 2021, les ciments du Sahel, en termes de chiffre d'affaires, ils nous ont doublés. On était à 150 milliards, ils étaient à 300 milliards", relève-t-il.
Pour lui, ces préjugés sont liés surtout à la nature même de l'activité minière qui se déroule souvent loin des regards. "Le propre des mines est de rester dans un milieu fermé, mais nous la chance qu'on a, c'est qu'on est en pleine ville, à un km de Diogo".