Afrique: Mathieu Chupin/ Président de Dakar Sacré-Cœur - " Les politiques doivent appuyer l'industrie du sport "

9 Février 2023
interview

Le président du club de Dakar Sacré-Cœur, Mathieu Chupin revient, dans cet entretien, sur le projet et la problématique du football local.

Comment le projet de votre club Dakar Sacré-Cœur est né ?

Le projet du club était parti d'une rencontre avec les Frères de Sacré-Cœur qui avaient ce vaste terrain au beau milieu de Dakar. On s'est rencontrés fin 2003 et, en 2004, on avait fait un business-plan qui nous a amenés à voir un nouveau modèle de club en Afrique avec une volonté très précise qui consistait à détenir un modèle économique viable. Si l'on regarde aujourd'hui en Afrique, on a deux modèles de clubs avec un président qui fait des chèques en infini et puis le jour où ce président n'est pas là, le club se retrouve dans des difficultés généralement.

On a le deuxième modèle où le projet est basé essentiellement sur la formation et le transfert de joueurs. Et nous, on ne voulait pas entrer dans l'un de ces deux modèles. On a bâti un modèle avec qui a pour ambition de bâtir un football professionnel, en faire notre cœur de métier. On s'est engagé très tôt à être un club qui essaye d'impacter sur le plan social avec des actions que nous menons sur le handicap, la parité, les enfants de la rue, etc. Beaucoup de choses sont menées justement pour utiliser cette passion du sport afin d'éduquer et participer à la santé publique, entre autres.

Avez-vous le sentiment que ce modèle que vous avez choisi est une réussite après tout ce temps ?

Ce projet est rendu possible grâce à l'implication de certaines personnes notamment les Frères du Sacré-Cœur, mais aussi un homme industriel, Browderwish, qui nous a rejoints, des footballeurs professionnels, Souleymane Camara, Oumar Daff, Salif Diao. Il y a aussi d'anciens joueurs également Boubacar Sarr " Locotte ", Cheikh Seck ... Tous ces gens-là se sont rassemblés autour de ce projet pour l'accompagner. Les travaux ont duré quatre années. Ainsi, en octobre 2010, on a démarré l'ensemble de nos activités. Dakar Sacré-Cœur, ce n'est pas un club seulement, puisqu'on a un secteur de football professionnel, avec deux équipes professionnelles (garçons et filles).

Chez les garçons, on est 4è du championnat national de Ligue Pro et chez les filles, on est co-leader avec les Parcelles assainies. Donc, que ça soit chez les garçons que chez les filles, notre ambition a été d'avoir des équipes professionnelles performantes qui utilisent en partie le travail fait à partir de la formation. Toutefois, on n'est pas une académie, mais un club formateur. Un club qui mise beaucoup sur son projet sportif, la qualité et la formation. Alors, le tournant majeur dans le secteur du Foot pro, c'est la rencontre avec l'Olympique lyonnais et la mise en place d'un partenariat dynamique qui va bien au-delà du secteur Foot pro.

Qu'est-ce qui explique cette volonté d'instaurer un sport solidaire dans vos activités ?

C'est notre volonté d'être très présent dans l'impact social autour du sport. Et là je veux dire qu'on a 12 années d'activités très, très, riche avec des partenariats forts comme Spécial Olympique et la Commune de Mermoz avec la problématique des jeunes déficients mentaux, des partenariats avec des associations comme " Aidons les Talibés " ou Village Pilote pour la problématiques d'enfants de la rue. On a aussi des partenariats avec le foot féminin adulte qui s'appelle " Dakar Sacré Queen ". On est aussi en contact avec le président Santhi Agne pour essayer de développer, dans le futur, pas mal de choses.

Bref, on veut être actif dans ce domaine et utiliser la passion du sport pour servir le développement. On veut le faire aussi dans nos territoires. Des discussions intéressantes se sont passées avec le maire de Sacré-Cœur et aussi prochainement avec le maire des Sicap. Donc, on a la volonté d'être un club qui impacte de plus en plus sur le plan social, au-delà des résultats déjà acquis. L'impact social, c'est la prise en charge totale et gratuite d'une centaine de jeunes (garçons et filles) au niveau du centre de formation à Dsc. C'est aussi la création de beaucoup d'emplois directs et indirects dans notre structure. Du coup, comme première réussite, c'est que ce modèle de club mis en place marche et est prometteur.

Comment mettre en musique tous ces types d'activités au sein de Dsc ?

Chaque année, Dsc a environ 50 % des joueurs recrutés en catégorie U17 qui viennent de l'école de foot de loisir. Mieux, un garçon comme Mamadou Loum Ndiaye a été au niveau de l'école de foot élite de Dsc. Quelque part, il y a de vraies passerelles avec le football professionnel et de plus en plus de joueurs proviennent de l'école de foot loisir. Ça, ce sont les aspects positifs. Mais les difficultés, nos terrains, de l'extérieur, donnent une image d'opulence qui, je dirais, est totalement fausse.

Des clubs comme Dsc, Diambars, Génération Foot, certes, on a des installations, mais on a des charges qui n'ont rien à voir avec les clubs traditionnels. Les gens, par moment, ne le comprennent pas et c'est bon à savoir. Aujourd'hui, ce qui fait la force de notre football, c'est la diversité de notre football local. Mais je pense que des modèles que nous avons jouent un rôle de premier plan dans le développement vers le haut du football local et notamment de l'équipe nationale.

Comment vos pensionnaires sont pris en charge ?

Il y a des pensionnaires en internat en pension complète (du lundi au vendredi), il y en a d'autres qui sont en demi-pension, qui viennent passer la journée, déjeunent puis repartent. Le souci est que ça reste un investissement très important. Aujourd'hui, on n'a pas encore l'antériorité d'investissement qu'a Génération Foot avec Metz pour avoir un apport d'un partenaire. L'Olympique Lyonnais permettrait de couvrir nos charges avec le foot pro, ce n'est pas le cas. On a encore un modèle économique sur le foot pro qui est très fragile. D'autant plus que le problème, lorsque je fus président de la section de football des Espoirs de Bignona en 1993, jamais je n'aurais pensé qu'en 2023, on n'aurait pas toujours de recettes substantielles au stade.

Depuis que le stade Demba Diop est fermé, on joue nos matchs à Pikine ou Guédiawaye, donc loin de notre base affective. Ensuite, on n'a pas de droits télés, donc pas de couverture médiatique. Du coup, il est difficile d'obtenir des sponsors qui mettent des moyens importants dans nos clubs. Le hic, c'est que tous nos clubs sont confrontés aux mêmes problèmes qui nous mettent face à une balance déficitaire. Le seul moyen de combler ce déficit est le transfert des joueurs. En 2023, c'est de plus en plus complexe, puisqu'il y a de plus de concurrence au niveau mondial. En fin de compte, ce n'est pas évident du tout.

Abordons le football local, président, dites-nous pourquoi nos clubs n'arrivent pas à franchir le cap des compétitions africaines ?

La difficulté incombe d'abord aux politiques. Les responsables politiques du pays doivent prendre conscience de l'industrie du sport. A priori, la démographie fait que 70% de la population a moins de 30 ans. Du coup, un tiers de l'humanité sera une population africaine. Ça veut dire qu'un tiers des sportifs de haut niveau dans ce monde sera africain. Avec cette base démographique, cela va interpeller les gens à comprendre. Ensuite, c'est quoi le sport ? D'abord c'est une activité reconnue dans le monde comme vecteur d'éducation, de santé publique, de cohésion sociale, de développement économique.

Et à titre d'exemple, 25% du tourisme mondial proviennent de l'activité sportive. Depuis 1995, le Sénégal est la deuxième nation la plus représentée en championnat de France en étrangers derrière le Brésil. Alors que le Sénégal avait environ 10 à 15 millions d'habitants, le Brésil est à peu près 210 millions d'habitants. Donc, il faut, au même titre que le gaz et le pétrole, que l'on décrète que le sport est un potentiel exceptionnel de notre pays. La plupart des étrangers qui débarquent dans notre pays le disent, car étant sidérés par la passion que nous avons pour le sport. Ils sont également sidérés par le potentiel des filles et garçons qui existe dans ce pays. Sur un terrain de sport, on a une belle carte à jouer en matière d'éducation et le défi de l'éducation dans ce pays est essentiel. La place du sport dans le Plan Sénégal Émergent est infime. Durant le Covid-19, nous avions pratiquement fermé.

Un club comme Dakar Sacré-Cœur a fermé ses portes pendant plus de six mois. Aujourd'hui, les autorités politiques et instances nationales font focus sur l'équipe nationale A. Or c'est un non-sens, parce que ce qu'on est en train de construire au niveau de l'équipe nationale A est totalement artificielle. Parce qu'on mise sur la performance de l'équipe nationale, sur les binationaux. Toutes les grandes nations de football ont d'abord un football local puissant. Donc, nous, on est en train d'inverser, puisque le travail ne se fait pas à la base comme il se doit. On ne construit pas les fondations, comme si on construisait une maison sans fondation. On est en quête de la nouvelle pépite binationale. C'est vraiment dramatique.

N'est-ce pas aussi du fait des joueurs que vous vendez dans les grands championnats ?

Un choix des équipes nationales est fait au besoin d'un résultat immédiat. Je ne suis pas en phase pour mettre une croix sur les binationaux. Construire et bâtir ce football local qui nous permet d'avoir de manière définitive une base de leader en Afrique et rejoindre l'élite mondiale, ça doit se faire avec humilité. On a gagné la Can avec 28 joueurs dont 15 issus du football local, 12 du championnat professionnel et seul Famara Diédhiou est issu des navétanes. Nous sommes allés à la Can avec 20 joueurs qui sont dans le Top 5 européen et parmi lesquels il y a les 15 binationaux avec seulement 7 joueurs du football local.

On a Dakar Sacré-Cœur, un club formateur dont je demeure très critique. On a énormément de choses à faire pour qu'on puisse rattraper le gap et être dans le top mondial. Il nous manque un championnat de grande qualité. Notre championnat progresse d'années en années. Mais ça reste encore pour atteindre les objectifs avec des stades pleins de spectateurs. En Afrique, on ne va pas s'engager avec un budget de 5 à 6 millions d'euros, puisqu'on n'irait pas dans le dernier carré. Ce sera un miracle, car il faut avoir un budget consistant, des moyens pour se déplacer dans de bonnes conditions parfois. Il n'y aucun club au Sénégal qui a un budget de 6 millions d'euros.

Donc au vu de votre démarche, avez-vous des revendications dans le cadre de la marche du football local ?

Au niveau de la Ligue professionnelle de football, ça fait plusieurs années que je leur demande de créer un syndicat des présidents de clubs professionnels. Et jusqu'à présent, il n'y a aucune réponse. Les joueurs se sont organisés, les entraîneurs se sont organisés, les arbitres aussi, les présidents de clubs sont à la traîne. Or à présent, qui mieux que nous pour défendre les intérêts dans nos entreprises de sport ? La ligue a pour rôle d'organiser et promouvoir les compétitions du football professionnel au Sénégal. C'est différent de nos problématiques de clubs.

Même Saer Seck qui est dans le domaine de la pêche à un syndicat qui discute avec l'Etat. Il représente le patronat dans ce secteur. Aujourd'hui, il nous faut impérativement cette structure qui est quelque chose d'essentiel. Le président Djibril Wade a donné son accord lors de la dernière Assemblée générale de la Ligue. Je ne comprends pas pourquoi, on n'avance pas sur ce projet-là. Ce projet ne doit pas constituer un bras de fer avec qui que ce soit, mais permettre de dialoguer avec l'Etat, puis avec la Fédération sénégalaise de Football et la Ligue.

Quelles relations entretenez-vous entre présidents de clubs et Ligue de foot professionnelle ?

C'est toujours le discours rassurant que cela va venir et ça fait trente ans, rien n'est là, rien n'a réellement changé. Pour avancer, il faut une prise de conscience générale et particulièrement des politiques à commencer par le président de la République. Tous ces gens-là voient le sport sous le prisme des grands rendez-vous, pour faire la fête, etc. Le sport est une industrie qui génère des milliards avec des millions d'emplois dans le monde. Le sport en l'état au Sénégal, ce sont des milliers d'emplois. Imaginons que la ligue a 2000 emplois, alors si une usine au Sénégal de la même taille a des difficultés, nous savons bien que le Chef de l'Etat va fermer son agenda pour s'occuper de celle-là et sauver ces emplois.

Les acteurs veulent parler de ça. Il y a des gens de la diaspora et des bailleurs de fonds qui s'intéressent au sport au niveau du continent africain. Nous demandons des mesures d'accompagnement et je félicite l'organisation des Jeux olympiques de la Jeunesse (Joj) et je suis très heureux que le nouveau ministre des Sports ait à cœur l'organisation de la Coupe d'Afrique des nations (Can) de 2027 au Sénégal. Il faudra s'atteler à mettre les conditions dès maintenant. C'est l'occasion de régler les problèmes d'infrastructures. Mais la gestion va toutefois se poser et l'implication de l'Etat dans ce cadre est cruciale. Le président a parlé de partenariat public-privé et celui-ci doit s'exprimer dans les secteurs du sport et de la culture.

Ces installations doivent respecter nos réalités du sport car ces infrastructures ne doivent pas être utilisées trois fois par an. Ce n'est pas possible. Il y a d'autres leviers, il faut prendre en compte les enjeux réels du sport dans notre société. Je continue à partager avec mes collègues, car il y a pleins de choses sur le rapport du symposium. Alors si l'Etat ne donne pas de réponses claires, il vaut mieux revenir au football amateur.

Quelle est l'ambition du président que vous êtes pour votre club ?

Etre un grand club africain, c'est avoir un modèle économique viable qui ne dépend pas du transfert de joueurs parce que c'est un exercice beaucoup trop irrégulier. Dans l'idéal, il faut que le modèle économique soit soutenu, avoir une économie du football local notamment billetterie, droit télé, sponsoring, merchandising, etc. Ce qui serait formidable si on avait ça. A présent, on ne l'a pas. Il faut être un grand club et performant du point de vue économique, sportif dans le continent africain. Un club impacte le développement de son environnement à travers son terroir, notamment les Sicap, Sacré Cœur et Mermoz. DSC compte 25 joueurs et autant pour son équipe féminine.

Etes-vous satisfait de vos équipes ?

Oui, actuellement on est satisfait, puisqu'on a 9 joueuses avec la sélection nationale au Cap-Vert. On est satisfait de la performance individuelle et collective chez les filles. Chez les garçons, on a eu ces deux dernières années des difficultés, parce qu'on avait un effectif trop court et très jeune. On a toujours un effectif jeune, mais on a réussi avec le retour des anciens du club, avec Adama Wade, Richard Sagna, Ibrahima Mané,.. qui encadrent les jeunes et ça se passe mieux. Le fait qu'on est au mieux au niveau des résultats, petit à petit dans le classement qui correspond à notre club, cela va permettre dans la deuxième de la saison de faire venir des plus jeunes encore dans ce groupe professionnel. On a une très belle génération de 2006 et 2007. On va essayer progressivement d'intégrer ces garçons dans ce groupe pros.

Les rémunérations faites au niveau du football professionnel sont-elles satisfaisantes à votre niveau ?

Je pense aux présidents de club notamment à Cheikh Seck, Saer Seck, Babacar Ndiaye, qui sont très courageux. Je sais qu'ils sont au-dessus de nos salaires, des salaires que nous pratiquons au niveau de Dakar Sacré Cœur. J'estime que quand un joueur gagne quatre fois le Smig sénégalais, ça commence à être bien. Et au-delà des conditions économiques dans le championnat, c'est très compliqué. On essaye, mais on a des joueurs qui partent vers des championnats en Afrique (je ne parle pas du Maroc) tels que la Guinée Conakry. Le Sénégal qui est leader en Afrique depuis des années durant, je ne peux pas comprendre qu'on soit pillé par des championnats de seconde zone.

La Tanzanie a un championnat de plus en plus attractif, des droits télé énormes, 10 millions de dollars par an. La Tanzanie n'est pas au Championnat d'Afrique des nations alors que le Sénégal est Champion d'Afrique. On brille au Chan, c'est déjà quelque chose. L'apparition de Dsc, Diambars, Génération foot, etc., a créé une véritable concurrence vis-à-vis de certains clubs traditionnels notamment Pikine, Guédiawaye, Jaraaf, Teungueth, entre autres. Ces clubs se sont énormément développés ces dernières années au regard de la concurrence et dans des conditions parfois difficiles. Quand on joue nos matchs à Pikine, à les voir, j'adore. Franchement, ils font les choses avec leurs moyens de manière géniale. Dommage qu'il n'y ait pas un stade plus grand.

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