Dakar — La décision du Conseil constitutionnel du 1er février 2023 autorisant la délégalisation de la loi n° 2014-03 du 22 janvier 2014 sur le loyer revêt un "intérêt scientifique considérable", estime, Papa Assane Touré, secrétaire général adjoint du gouvernement chargé des Affaires juridiques
"(... ) la décision du Conseil constitutionnel du 1er février 2023 présente un intérêt scientifique considérable pour avoir, en quelque sorte, sur l'initiative du Premier ministre, fait renaître de ses cendres, la procédure constitutionnelle de la délégalisation qui avait disparu dans les décombres de la défunte Cour suprême", estime M. Touré, magistrat hors hiérarchie, docteur en droit privé et sciences criminelles.
Il a dressé ce constat dans une contribution parue dans le quotidien national Le Soleil.
Selon lui, "face à une tendance à héberger dans les lois des dispositions de nature réglementaire, cette procédure spectaculaire constitue un puissant mécanisme permettant d'assurer le respect par l'Assemblée nationale du domaine du règlement (... )". Elle représente aussi "un formidable outil de gouvernance normative garantissant l'efficacité des interventions du Gouvernement", souligne-t-il..
Selon le juriste, par sa décision du 1er février 2023, "le Conseil constitutionnel a jugé que la loi n° 2014-03 du 22 janvier 2014 précitée a un caractère semi-législatif et semi-réglementaire. Cette décision présente un grand intérêt du point de vue légistique, pour ouvrir la voie à la modification, par voie décrétale, de certaines dispositions de la loi n° 2014-03 du 22 janvier 2014", analyse-t-il.
Dans son texte, il rappelle que "la procédure de délégalisation encore appelée +déclassement+ est instituée par l'article 76, alinéa 2 de la Constitution".
Selon lui, "cette disposition habilite le Conseil constitutionnel, à la demande du président de la République ou du Premier ministre, à déclarer qu'un texte de forme législative (loi ordinaire, ordonnance ratifiée notamment), intervenu dans le domaine du règlement, a, dès lors, un caractère réglementaire".
"Au Sénégal, rappelle-t-il, beaucoup des textes de forme législative avaient été pris avant l'indépendance et dans les années 60 et 70. Pendant ces périodes, le Gouvernement a souvent bénéficié d'habilitations législatives lui permettant de prendre des ordonnances intervenant dans le domaine législatif."
Il explique que c'est pour cette raison que " plusieurs textes de forme législative ont été par la suite délégalisés, sur la demande des autorités exécutives".
Une procédure tombée en désuétude
"Ainsi, après avoir été mobilisée à plusieurs reprises par les pouvoirs publics, la procédure constitutionnelle de délégalisation est tombée en désuétude. À notre connaissance, la dernière mise en œuvre de cette procédure remonte à la décision de la défunte Cour suprême rendue le 18 août 1971".
Il relève que "près d'un demi-siècle après, les concertations sur la réduction du coût de la vie ont donné l'occasion au Conseil constitutionnel de +ressusciter+ la procédure de délégalisation".
"En effet, face à l'augmentation exponentielle des loyers qui affecte considérablement les revenus des ménages, la loi n° 2014-03 du 22 janvier 2014 portant baisse des loyers n'ayant pas été calculés suivant la surface corrigée a été adoptée. Ainsi, devant l'inadaptation du système de la surface corrigée aux réalités sociologiques, le législateur a fixé les montants des loyers des baux à usage d'habitation en ayant recours à un système de pourcentages", fait-il observer.
Mais neuf ans après l'entrée en vigueur de la loi n° 2014-03 du 22 janvier 2014, force, selon lui, est de constater que "l'objectif de la réduction des loyers escompté était loin d'être atteint en raison notamment des stratagèmes utilisés par certains bailleurs et acteurs de l'immobilier pour contourner la législation civile et de l'absence d'un mécanisme institutionnel de régulation des loyers".
D'après lui, c'est sur la base de ce constat que "les pouvoirs publics ont engagé des concertations nationales sur la lutte contre la vie chère ayant impliqué toutes les forces vives de la Nation".
Selon lui, l'opérationnalisation de la décision de l'Etat de baisser les loyers a "exigé la révision de la loi n° 2014-03 du 22 janvier 2014 qui avait déjà gravé dans le marbre législatif les montants des loyers".
"Ainsi, par lettre n° 0130/PM/SGG/SGA/JUR/SP du 26 janvier 2023, reçue et enregistrée au greffe le 27 janvier 2023 sous le numéro 2/C/23, le Premier ministre a saisi le Conseil constitutionnel en procédure d'urgence, d'une requête ayant pour objet de faire déclarer le caractère règlementaire de la loi n° 2014-03 du 22 janvier 2014, en application de l'article 76, alinéa 2 de la Constitution".