Dans la première moitié du XIXe siècle, deux faits influencent l'Ouest de Madagascar. D'une part, le Royaume-Uni s'installe à Maurice et, en attendant l'ouverture du Canal de Suez, Port-Louis devient l'escale sur la route des Indes. D'autre part, la question de la traite, puis de l'esclavagisme est posée. L'abolition de la traite est décidée par l'Acte final du Congrès de Vienne.
Le Royaume-Uni, qui a déjà interdit la traite au Cap depuis 1806, et à Maurice, l'année suivante, " fera en sorte que la mesure soit effective " (René-Louis Ader, Mise au point sur les origines de Tuléar jusqu'en 1897, Bulletin de Madagascar, janvier 1969). D'où la politique de Sir Robert
T. Farquhar avec Radama Ier et une surveillance maritime sévère dans la première moitié du siècle. En théorie, La Réunion suit l'exemple anglais. En 1835, l'esclavage sera supprimé à Maurice, en 1848 à La Réunion.
À partir de la seconde moitié du XIXe siècle, on assiste à une pénétration progressive de traitants réunionnais et de quelques Mauriciens. Le premier, un certain Desmorels, se serait installé vers les années 1820, témoigne le père de la Vaissière, mais son homologue, Engelvin, ne le signale que vers 1845. Vers 1840, un Réunionnais fait du commerce à Androka... " De toutes les façons et avec des fortunes diverses, le nombre des traitants va croître : ils étaient huit répartis entre Saint-Augustín et Tuléar en 1870 (Grandidier, Ethnographie), une quarantaine vers 1885. Il s'agit, en majorité, de Réunionnais établis à leur compte ou représentant des maisons de leur ile. "
Pourtant, tous ces traitants ne sont pas des saints, mais ils connaissent aussi bien des tracas. Mis à part les vols et les menus larcins quotidiens, deux choses les préoccupent surtout. D'abord, les redevances sont " imprévisibles et en augmentations", ensuite " leur sécurité ". En 1861, un certain Dumoulin, représentant depuis 1850 la Maison Rontaunay, est tué près d'Androka. En 1882, c'est le prospecteur américain, Emerson, et son guide, le Français ou Mauricien Théodore Parent, qui sont tués près de la baie de Saint-Augustin, tandis qu'un second Américain parvient à s'enfuir.
Cette hostilité de la population envers les traitants semble avoir une triple origine, explique l'auteur de l'étude. La première est l'incident de 1835. Le navire de commerce réunionnais Le Voltigeur, qui prend à son bord à Tolagnaro, une petite troupe merina de trois officiers et cinquante hommes, vient jeter l'ancre, au début de l'année, dans la baie de Saint-Augustin.
Les chefs locaux, dont le " Prince William ", fils du roi de Toliara, Marintoetra, sont invités à diner à bord. Saisis et liés, ils sont faits prisonniers, tandis que le navire lève l'ancre. " Débarqués à Fort-Dauphin puis transférés à Tananarive, ils y seront mis à mort." " On peut concevoir alors la méfiance, pour ne pas dire plus, que les navires de commerce réunionnais inspiraient. "
La deuxième origine est la personnalité même de ces traitants, à commencer par leur dureté envers la population. C'est ainsi que, parmi les traitants de Toliara réfugiés à Nosy-Ve, un commerçant suisse ne traite une affaire que revolver au poing. Un autre, un Anglais, las des multiples larcins, impose à ses huit domestiques une ordalie au fer rouge. Un dernier, un Réunionnais, fait couper un doigt à celui de ses serviteurs accusé de vol. Quand il n'y a plus de doigt dans une main, l'homme est jeté en haute mer.
Entre eux, ces traitants semblent bien s'entendre dans les premiers temps, à tel point qu'ils reçoivent l'appellation ambigüe de " Frères de la côte ". Cependant, d'après l'officier de marine de Jedina, les deux chefs de factorerie installés à Toliara en 1874, Rosiers et Raoulx, qui sont peut-être les seuls Européens permanents dans la ville, ne se parlent jamais, emportés par leur rivalité commerciale.
L'honnêteté dans les affaires n'est d'ailleurs jamais très grande. Selon le colonel du Vergé, " sur cette côte, les stations de commerce sont assez prospères, quoique l'échange avec les naturels s'y fasse de façon scandaleuse : les traitants mêlent du sable noir à leur poudre, livrent des fusils à pierre ayant le canon fendu, des hameçons en étain et jusqu'à leur refiler de la fausse monnaie ".