Tunisie: Réformes structurelles | Fatma Marrakchi, professeure d'économie à la Faculté des Sciences Economiques et de Gestion de Tunis - "Les réformes préconisées par le FMI doivent être nos réformes à nous"

15 Février 2023

Pour l'économiste Fatma Marrakchi, la stabilisation de la dette passe inévitablement par le réaménagement du budget de l'Etat. Mais pour couper le mal à la racine, la Tunisie doit se positionner sur une trajectoire de croissance et de création de richesses.

Intervenant lors de la conférence-débat qui a été organisée, récemment, par l'association tunisienne pour la Formation, l'Art et la Culture (FAC) en partenariat avec le département de Finance-Comptabilité de l'Essec de Tunis, sous le thème "Loi de finances 2023 : Retombées économiques et sociales", la professeure d'économie, Fatma Marrakchi, est revenue sur les dérapages budgétaires qui ont conduit au surendettement de l'Etat.

Pour l'économiste, le réaménagement du budget est, aujourd'hui, une solution impérative pour stabiliser la dette et réduire le déficit budgétaire de l'Etat. " Je pense que chaque Tunisien doit être conscient, aujourd'hui, du fait que les réformes qui sont préconisées par le FMI doivent être nos réformes à nous. On doit être conscient que ce sont des réformes qu'on doit faire impérativement, sinon on ne pourra pas s'en sortir", a-t-elle asséné.

Un mode d'allocation qui nourrit le gaspillage

Pour mettre l'accent sur la nécessité de la réforme budgétaire, la professeure a pointé le mode d'allocation des ressources qui pose problème en Tunisie. En effet, sachant que sur chaque dinar de recettes fiscales collectées, 0,560 dinar va aux salaires et 0,425 dinar va aux interventions, il est clair que l'allocation des ressources budgétaires est loin d'être optimale et nécessite un nouveau mode de répartition. " La masse salariale a enflé au cours des dernières années, et nous ne créons pas assez de richesses pour diluer cette masse salariale", fait-elle remarquer. Pareil pour le poste des interventions (qui comporte entre autres les transferts aux familles nécessiteuses, les aides aux entreprises publiques, les transferts pour les importations du blé, de l'énergie mais aussi pour la compensation) qui a connu une hausse inhabituelle en Tunisie, au cours de la dernière décennie, accentuant, de ce fait, le gaspillage et la surconsommation des produits subventionnés. L'application de la vérité des prix s'avère dans ce contexte indispensable pour maîtriser ce gaspillage qui nuit aux équilibres budgétaires. " On ne peut pas fonctionner comme ça, on ne peut pas mettre nos impôts là où il ne faut pas. Je pense que tous les Tunisiens doivent être d'accord sur cette solution , et que les entreprises publiques doivent subir une réforme au niveau de la gouvernance interne. On peut la réussir comme on a fait avec les banques publiques", a-t-elle enchaîné.

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Un schéma qui a conduit au surendettement

Selon l'économiste, l'identifiant unique peut, en ce sens, être non seulement un outil efficace de ciblage des subventions (qui seront distribuées sous forme de transferts monétaires directs) mais aussi un outil de traçabilité qui permet d'intégrer l'économie informelle. "Il faut qu'il y ait un programme qui aide à la constitution de cet identifiant citoyen. Cela crée de la transparence et de la traçabilité" a-t-elle indiqué.

D'après Marrakchi, les retards prolongés dans la mise en œuvre des réformes budgétaires ont accentué les lacunes du budget de l'Etat qui ont fait leur apparition, depuis plusieurs années, et qui puisent leur origine dans ce solde primaire négatif. Pour combler ce déficit primaire, l'Etat a souvent recouru à l'endettement, ce qui a conduit, dans la durée, à l'accumulation de la dette. " On ne peut pas être dans une position normale, si on a un solde primaire négatif. Ce qui est notre cas depuis des années et qui veut dire qu'on est obligé d'emprunter pour pouvoir financer les salaires et les interventions de l'Etat...

Les besoins de financement sont de plus en plus importants et ne cessent de croître d'année en année", a-t-elle précisé. La professeure a, par ailleurs, ajouté qu'au cours des trois dernières années, la structure de la dette a connu un changement, avec l'apparition de la tendance haussière de l'endettement intérieur qui s'explique par le retard accusé dans la conclusion d'un accord avec le FMI, qui compromet l'accès de la Tunisie aux financements extérieurs.

Les solutions préconisées : application de la vérité des prix, transition énergétique ...

Plusieurs échéances vont ponctuer l'année 2023, mais le plus problématique selon l'économiste c'est le paiement des dettes en devises. " En plus des remboursements locaux en BTA, aujourd'hui nous émettons des BTC pour rembourser des BTA. Ce n'est pas le schéma de financement idéal mais c'est le cas. On finance le moyen terme avec du court terme. C'est problématique mais le problème se pose plus pour les crédits en devise que pour les emprunts en monnaie locale", a -t-elle détaillé. Marrakchi a affirmé qu'avec la dégradation de la note de quatre banques tunisiennes et le remboursement programmé des prêts syndiqués en devise (qui assèchent les liquidités en devises au niveau des banques), la marge de manœuvre est quasi réduite: La Tunisie n'a pas d'autres choix que de recourir au FMI.

"Le montant du prêt n'est pas important, ce qui est important c'est de mener ces réformes pour pouvoir assainir cette situation budgétaire qui est devenue intenable", a-t-elle expliqué. S'agissant des solutions préconisées, l'économiste a souligné qu'il est d'abord nécessaire de réduire les dépenses de l'Etat en procédant à une réallocation des ressources budgétaires. Ensuite, pour alléger la pression sur les réserves en devises, Marrakchi a souligné l'importance d'accélérer la transition énergétique pour réduire l'importation de l'énergie (le déficit énergétique est aux alentours de 40%) et d'appliquer la vérité des prix. "Si on fait cette réforme, nos importations en blé dur vont drastiquement diminuer, et on peut même atteindre l'autosuffisance en matière de blé dur", fait-elle remarquer. Pour l'économiste, le péché originel ne réside pas dans la question problématique du déficit mais plutôt dans l'incapacité du pays à créer la richesse.

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