Afrique: Éclairage - La voie de l'honnêteté

15 Février 2023

AU moment où les richesses matérielles de Jean Hubert Celerine, qui se conjuguent en plusieurs millions de roupies, sont exposées au grand public et ses activités liées de près ou de loin au business de la drogue et autres, font l'objet d'enquêtes de l'ICAC et de la Financial Intelligence Unit, il y a, dans un faubourg de Beau-Bassin, à Résidence Barkly, un jeune qui fait la fierté de son quartier, région socialement défavorisée et trop souvent perçue comme un repaire de drogués et de prostituées.

Angelo Mars, lauréat de la filière économie du collège Royal de Curepipe (RCC), a fait sauter les verrous, comme d'autres d'ailleurs dans le passé, montrant que l'appartenance à une famille modeste et habitant une région stigmatisée par le poids des préjugés ne constitue aucunement un obstacle pour aspirer à l'excellence. Il l'a prouvé dans la simplicité, loin de l'influence d'une jeunesse en proie aux fléaux sociaux qui ravagent ce quartier et détruisent l'effort créatif de nombreux adolescents, comme dans d'autres endroits à risque.

Entre Franklin, connu aujourd'hui comme le roi de l'Ouest, dont la fortune fait tiquer plus d'un, en attendant que les différentes enquêtes en cours scellent son sort, et Angelo Mars, le contraste est saisissant. Il montre que l'espoir est permis. Comme Girish Coomar Greedharry, lauréat de la filière scientifique au RCC, et Podano Surajsingh, du collège Sookdeo Bissoondoyal, venant aussi de familles modestes, pour ne citer que ces deuxlà, montrent que face à la fatalité de la naissance et la force de l'argent, il y a aussi la volonté de réussir pour s'affranchir des préjugés, grimper lentement l'échelle sociale et s'ériger comme modèle pour d'autres jeunes qui aujourd'hui n'ont visiblement pas de repères.

S'il faut célébrer leurs exploits construits sur les sacrifices des uns et l'honnêteté des autres, on ne peut en dire autant de ceux qui ont choisi la voie facile pour se faire un nom et amasser des fortunes. Qu'on ne se voile pas la face, la mafia de la drogue gangrène notre société ; ces nombreux trafiquants, dont certains croupissent dans nos prisons, qui opèrent souvent au vu et au su des autorités avec un réseau de dealers répartis aux quatre coins du pays. Aujourd'hui, la ramification de la drogue a pris des proportions alarmantes dans le pays, où elle est susceptible de fragiliser une partie de la jeunesse et d'enlever aux opérateurs des bras pour soutenir la croissance dans certaines activités économiques. Comme cela a été le cas en Afrique, avec l'épidémie d'Ebola et le Sida il y a quelques années.

Le business des stupéfiants explose, malgré le combat des autorités pour "casser les reins" des trafiquants. Pourquoi ? Est-ce la perception qu'il existe des connivences entre certains trafiquants et des VVIP, comme des dirigeants politiques de l'opposition tentent d'insinuer dans le sillage de l'affaire Franklin ? Ou est-ce la perception populaire que certaines institutions clés chargées de mener la vie dure aux marchands de la mort ont perdu toute crédibilité ?

Les saisies de drogue évaluées à Rs 13,7 milliards depuis 2015, révélées par le Premier ministre, Pravind Jugnauth, au début du mois, sont révélatrices de la taille de ce fléau. Sur la base de ce chiffre, un simple calcul montre qu'en moyenne, presque Rs 1,8 milliard de drogue est officiellement saisie chaque année. Encore qu'on ne connaît pas la valeur de stupéfiants qui échappent au filet des enquêteurs de l'ADSU et à la vigilance des douaniers. Ce qui pourrait être le double ou le triple de celle saisie. L'observateur averti de la société qu'est Amédée Darga s'interroge, à juste titre, dans une interview de presse, la semaine dernière, qu'avec des saisies de Rs 13,7 milliards, les professionnels estiment qu'il a fallu au moins Rs 500 millions pour financer l'importation. Il demande "qui a financé et par quelle voie a circulé l'argent" et pourquoi l'Integrity Reporting Services Agency (IRSA) ne s'intéresse pas aux cas d'unexplained wealth ? Des questions pertinentes auxquelles les autorités doivent répondre !

Économie clandestine

L'ex-juge Paul Lam Shang Leen, qui a présidé la commission d'enquête sur la drogue, avait, dans son rapport rendu public en juillet 2018, étalé au grand jour l'ampleur de ce trafic avec des chiffres qui donnaient le tournis. Aujourd'hui, selon les spécialistes, le marché de la drogue tournerait autour de Rs 20 milliards, presque 9 % à 10 % du Produit intérieur brut (PIB) de Maurice.

Un marché étroitement lié à l'économie clandestine, qui est une source d'inquiétude pour les stakeholders, entraînant dans son sillage un dysfonctionnement du système financier et un manque à gagner conséquent pour le fisc. Car aujourd'hui, la taille du marché de l'économie parallèle équivaut à un tiers du PIB (Rs 475 milliards), soit plus de Rs 150 milliards, selon des études.

Ceux qui opèrent et font fructifier cette économie sont connus de tous et opèrent au nez et à la barbe des autorités. Dans cette galerie de personnages hétéroclites, il n'y a pas que les barons de drogue et les petits dealers, mais aussi des préparateurs et revendeurs de synthétique, des chauffeurs de taxis marrons, des enseignants ayant érigé les leçons particulières au rang d'industrie, des opérateurs de paris clandestins, des promoteurs de Ponzi Schemes, des propriétaires d'ateliers mécaniques ou encore des opérateurs de transport illégaux, pour ne citer que ceux-là.

Certains font la différence entre une activité légalement reconnue - mais opérant dans l'illégalité - comme les marchands ambulants et celle qui est carrément illicite et criminelle comme le trafic de drogue. Ils entendent que les marchands de quatre saisons offrent une certaine résilience à l'économie du pays et y ajoutent du dynamisme, dans un climat d'affaires marqué par le ralentissement économique avec l'effet de la guerre russo-ukrainienne et une baisse de consommation en raison d'une inflation galopante. Ceux-ci rappellent que la consommation est tirée dans une grande mesure par les opérateurs de cette économie parallèle

. "Loin de faire l'apologie de cette pratique, on ne peut en même temps pas les mettre dans le même panier que les marchands de la mort. Ces derniers sont en train d'écorner l'image de Maurice de par leurs activités, avec des risques énormes pour la réputation du pays. Sans compter les conséquences sociales avec la recrudescence de vols et d'agressions en tout genre par des jeunes pour se payer une dose." Analyse d'un observateur économique, certes ouverte au débat alors que la voie de l'honnêteté, même parsemée d'embûches, ne peut être contournée au gré des circonstances. Comme dirait le poète américain, Robert Frost :

"Two roads diverged in a wood, and I - I took the one less traveled by, And that has made all the difference."

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