Univers de Raphaël Ndiaye et de sa génération
D'abord un vaste regard sur l'univers intellectuel où a vécu Raphaël Ndiaye. Il y était sensible.
Ils nous agacent et nous énervent franchement tous ces chercheurs bavards et médiocres, ces universitaires volubiles " bedonnants de diplômes " inefficaces, selon l'expression de L. S. Senghor, accrochés à leur ego comme l'abeille à sa ruche ; ils malmènent avec désinvolture notre patrimoine culturel, matériel et immatériel.
Que dire de ces créateurs à la plume fâcheusement fertile qui, une petite médaille étrangère, complaisante, accrochée à leur œuvre haillonneuse, se prennent pour des génies... ? Qui ose soutenir que " le vieux nègre et la médaille " est enfin mort sur le continent africain ? Ce vieil homme de Ferdinand Oyono, complexé à souhait, né avant la honte, comme disent nos amis gabonais, est encore vivant comme vous et moi ; c'était, peut-être, vous et moi au temps des colonies : se laisser coloniser, c'est véritablement vendre son âme au diable, parce qu'on se comporte nécessairement en sous-homme devant d'autres hommes même au chaud " soleil de l'Indépendance "! Honni soit qui pense à la souveraineté de son pays pourtant dit " indépendant " ! Raphaël n'était pas à la recherche d'une médaille, même pas étrangère. Quand il me parlait du patrimoine poétique de son ethnie, sa voix prenait une autre tournure, un autre accent ; craignant des sanglots, je le dévisageais : pas de larmes, mais c'était tout comme... et moi de soupirer profondément ...
Que penser de ces historiens qui, au nom d'une prétendue science, narrent notre histoire, devant nos enfants, dans une indifférence totale, comme l'auraient fait des robots, des êtres sans âme, sans racine ? les Maîtres de ces historiens leur disent avec mépris et arrogance, sur leurs propres terres: " Pas de vision, pas d'interprétation personnlles ! Faites de l'histoire, faites de la science ! ", ils auraient dû ajouter : " ... Rien de l'auteur lui-même quand il s'agit de raconter l'histoire africaine " qu'ils considèrent spéciale ! Eux, anciens colonisés, farouchement pris sous tutelle, sont " médaillés " en agissant ainsi en robots.
Je reconnais que tout récemment, un jeune et brillant historien sénégalais, Mamadou Mané, dit Leyfou, m'a consolé en me faisant connaître le grand effort qu'est en train d'accomplir la nouvelle génération d'historiens décomplxés. Excellente nouvelle pour l'Afrique ! Je demeure néanmoins convaincu que la race de Jean Philippe Omotunde, le grand et admirable disciple de Cheikh Anta Diop, qui vient de nous quitter, agonise de nos jours sur le continent.
Notre conception de la " science historique "
Notre conception de la " science historique " nous a fait beaucoup de tort parce qu'elle a livré des personnages de dimension exceptionnelle comme Almamy Samori Touré, Cheikh Omar al Foutiyou Tall et bien d'autres figures mythiques de nos pays dont les défaites sont célébrées dans les cours de nos propres historiens dans nos écoles et nos amphithéâtres, devant nos propres enfants, mais toujours tues les lâches trahisons qui avaient occasionné ces fâcheuses défaites, oui, livrés à la merci et à la cupidité des intellectuels-vampires d'Afrique et d'un autre continent dans l'intérêt exclusif de leur propre épanouissement et de celui des peuples d'Occident. Raphaël était à la recherche de nos valeurs authentiques auxquelles il s'accrochait sincèrement, sans arrière-pensée. Devant l'Autre, il était sans complexe. Il croyait en lui-même, en ce qu'il réalisait ; il respectait et adorait les valeurs de ce qu'on peut appeler la civilisation africaine qui, à ses yeux, est loin d'être un mirage, un leurre, mais une réalité palpitante de vie. Foi ardente dans la culture, dans notre histoire comme son aîné du même canton, Léopold Sédar Senghor. Qu'ils reposent en paix ! Que le Seigneur répande sa miséricorde sur eux !
Malgré le témoignage de Mamadou Mané, évoqué ci-dessus, il nous faut un vaste débat sur la " science historique " en Afrique, débat déjà courageusement et objectivement ouvert par le très regretté historien burkinabé, Joseph Ki-Zerbo. Pourtant l'histoire de France n'est pas seulement l'affaire des historiens professionnels, mais aussi l'affaire des grands écrivains français et des chercheurs inépendants ; il y a bien Waterloo des historiens, mais aussi celui du poète Victor Hugo, bien loin des préoccupations scientifiques. Les deux Waterloo sont enseignés à l'école aux mêmes adolescents ; mais je pense que celui qui a la force de capter davantage l'attention des enfants, de susciter une émotion bienfaitrice et celui qui a fini par être une source intarissable d'inspiration durant toute la vie des adolescents, c'est certainement le Waterloo inoubliable de Hugo.
Ce Waterloo, sans prétention " scientifique ", est certainement le Waterloo utile, utile pour les jours à venir des jeunes citoyens, utile pour la construction du pays. L'Alboury Ndiaye de Cheikh Ndao est indubitablement l'Albouri utile pour la formation de nos enfants, pour les préparer à la vie active ; celui-là est certainement le vrai et non pas celui de nos historiems. Il en est ainsi de " El Hadj Omar " de Gérard Chenet bien différent d'El Hadj Omar des récits coloniaux qui ont volonairement tu l'ignominieuse trahison du Général érudit pour minutieusement s'apesantir sur la victoire de l'envahisseur et sur la défaite du noble fils du pays, celui qui demeurera un des plus grands stratèges de l'histoire de la Colonisation. Raphaël Ndiaye était un chercheur d'une grande sensibilité, une sensibilité qu'il n'a jamais cherché à étouffer au nom d'une science douteuse. Il était à la fois pour le rêve et pour l'action, les deux piliers inébranlables de la construction de notre monde.
Il faut comprendre alors l'importance exceptionnelle qu'il a accorée au patrimoine culturel de son canton et la manière digne et efficace avec laquelle il a traité ce patrimoine millénaire. Son œuvre poétique et les résultats de ses recherches doivent être transmis à nos enfants dans nos écoles et dans nos universités. On devine pourquoi Raphaël ne s'était pas contenté de révéler le lourd poids des chants-poèmes champêtres et de " La parole chez les Seereer " dans la formation de l'homme, en tant que chercheur, mais il a composé lui-même, en tant qu'écrivain, des poèmes sur les grands artistes que sont les lutteurs sérères que le président-poète a immortalisés dans ses poémes, ces " atlètes" qui " promènent leur jeunesse " dans les arènes, / " Parés comme des fiancés... ".
Pour bien contempler et goûter les belles images du président-poète et pour saisir le sens profond que nos compatriotes sérères attribuent à ce sport national qu'est la lutte, il faut lire, même hâtivement, le long et beau poème de Raphaël sur le " Lutteur de légende " (éd. L'Harmattan-Sénégal, 2020) ; à la lecture de ce poème, vous admirerez la rencontre combien harmonieuse de l'anthropologie et de la littérature ; c'est à la fois une œuvre poétique de haute facture et une " œuvre scintifique " pour nous rassurer et combler notre attente d'anciens colonisés. Raphaël qui ne faisait rien sans motif valable avait eu ainsi l'audace de demander une préface à son long poème à Dominique Chevé, professeur d'anthropologie du corps à l'université de Marseille, et à Alioune Sarr, président du comité national de gestion de la lutte ; tout Raphaël est là, dans ce choix apparemment, mais faussement hybride : alliance de l'efficacité et du rêve.
Nous retrouvons la même préoccupation du chercheur et du poète dans la rédaction de sa thèse de doctorat : " La parole chez les Seereer / Anthropologie et langage " (éd. L'Harmattan-Sénégal, 2020). Le sous-titre dit tout sur l'intention de l'auteur : il s'agit sans ambiguité de l'anthropologie et de la littérature, de l'action et du rêve, ou plus prosaïquement, du concret et de l'abstrait ou, comme dit son voisin L. S. Senghor, de " La poésie de l'action ". Raphaël savait que toute belle action contient une forte dose de poésie. Quand Napoléon Bonaparte dit : " Soldats, je suis content de vous ! ", c'était bien à une action concrète, mais aussi à un poème qu'il rendait hommage, comme chaque fois que j'aperçois le pont de Farafegné en Gambie, ou celui de Marsassoum, c'est à un poème que je souris, non pas à un amas de métaux, à une construction froidement métallique, oui, un poème que je contemple avec respect... C'est dire que Raphaël était un inellectuel généreux, calme, serein, mais d'une redoutable efficacité quand le défaut pincipal de l'intellectuel ou du cadre francophone réside dans l'absence de toute efficacité dans l'action. Tout se passe souvent chez nous comme si l'école française émasculait son homme. On parle, on parle... , et l'on noie l'action dans une volubilité insoutenable. Et Raphaël agissait sans tambour ni trompette, car il avait une conscience aiguë du poids des mots. Pour vous en convaincre, je vous invite à lire ou relire son poème " Lutteur de légende " (éd. L'Harmattan-Sénégal, 2020).
C'était comme par hasard que je m'étais trouvé, au cours d'une rencontre, assis à côté d'un homme qui semblait me connaître et que je ne connaissais pas. Quelques mots murmurés timidement sur la littérature traditionnelle sérère, surtout la poésie champêtre, m'avaient ébloui. Rendez-vous fut aussitôt pris pour nous rencontrer chez lui...
Sa guitare traduisait merveilleusement les divers rythmes saccadés des vers sérères
Raphaël Ndiaye me rejoignit sur la terrasse avec une guitare, le sourire aux lèvres, sourire qui me fit savoir qu'il tenait à me surprendre. Il se mit à jouer... Quelle mélodie étrange... ! il clama des poèmes en sérère, qu'il me rendra plus tard en français. Comme la guitare traduisait merveilleusement les divers rythmes saccadés des vers sèréres ! En écoutant attentivement ces poèmes champêtres de son ethnie, de par leurs rythmes, de par l'harmonie qui s'en dégage, de par la voix chantante de Raphaël, il me semblait entendre les crissements bruissants et hargneux des houes dans le ventre de la terre. Je commençais à me rendre compte que je venais de connaître un des grands chercheurs dans ce vaste et délicat domaine de la littérature traditionnelle d'Afrique... L'image de Titinga Frédéric Pacéré, poète, historien, du Burkina Faso et d'Alioune Diop, le Socrate infatigable de l'Afrique, ne me quitta plus et je pensais aux œuvres de Cheikh Anta Diop et du grand et respectable historien du siècle dernier, lui aussi du Burkina : Joseph Ki-Zerbo (Histoire de l'Afrique noire, d'hier à demain, éd. Hatier, 1978, 731p.). Je pensais à Senghor de Joal " l'Ombreuse " ... Je pensais à tous ces hommes et femmes qui ont consacré leur vie à la quête et à l'illustration de nos valeurs de civilisation et à vouloir labourer un chantier encore mal défriché, eux qui n'avaient jamais pensé aux funérailles nationales en dépit de l'éclatant apport à notre existence. Je pensais aux téméraires Afroaméricains qui étaient parmi les premiers nègres à ouvrir ce chantier broussailleux et épineux.
Je parlais un jour de la valeur des trouvailles littéraires de Raphaël avec un tel enthousiasme que le président-poète me toisa et finit par me dire en souriant : " C'est toi qui aurais dû écrire... , l'ouvrage de... " (il me cita un ouvrage déjà célèbre et un auteur pour lequel j'avais beaucoup d'admiration). Je ne vois toujours pas de rapport significatif entre ce que je disais de Raphaël au président-poète et l'ouvrage que celui-ci avait cité. Avant de vous dire pourquoi j'ai vivement regretté que la thèse de doctorat de Raphaël fût soutenue seulement après la disparition de notre président-poète, jetons d'abord un coup d'œil très bref sur ce que fut, dans le domaine littéraire, l'œuvre de ce chercheur moderne de la pittoresque et tendre Petite Côte.
Œuvre de ce chercheur moderne de la pittoresque et tendre Petite Côte dans le patrimoine national
On parle actuellement beaucoup des langues nationales sans tenir compte de certaines réalités sans lesquelles il sera difficile de les imposer. D'abord les honorables défenseurs, que nous admirons, doivent respecter notre parcours culturel. Il existe de grandes œuvres en langues nationales, surtout en poésie ; de mêmequ'il est absurde d'enseigner le français sans l'œuvre des grands écrivains français ou d'enseigner l'anglais sans Shakespeare et Milton, de même il est niais de vouloir enseigner nos langues sans les grandes œuvres qui existent déjà, parfois depuis des siècles ; l'école coloniale les a ignorées, même combattues : il existe une respectable création littéraire dans toutes les langues appartenant à des communautés islamisées au sénégal (Wolof, Peul/Toucouleur, Manding, Soninkés, etc.). Chez les Mandings, feu Karamoko Sito Koto Dabo et bien d'autres comme Cheikh El Hadj sidiya diaby de Taslima sont franchement de grands " gentlemen ", des princes dans la création poétique au même titre que les grands génies de la littérature française, surtout ceux des XVIIe et XIXe siècles. L'admirable savant, Cheikh Anta Diop avait donné quelques grands noms dans la littérature traditionnelle wolof, en caractérisant brièvement chaque auteur sans entrer dans le détail (" Nation nègre et culture, éd. Présence africaine, 1979, 907pages) ". Il est intéressant de noter qu'un des plus grands poètes en langue mandingue est un Toucouleur : Mouhamadou Foutiyou. Sitocoto Dabo est incontestablement un grand génie comme Mouhamadou Foutiyou ; ces deux poètes se distinguent surtout par une grande maîtrise de la langue, des orfèvres de la syntaxe, donc du style. Ils ont un style qui leur est propre.
J'ai toujours soutenu, depuis l'adolescence, que ces poètes en langues nationales sont nettement meilleurs que nos poètes francophones, exception faite du groupe Senghor-Césaire-Damas... et de l'école des jeunes et brillants poètes du Congo-Brazaville. Les œuvres de ces poètes en langues nationales sont écrites : les créateurs se servent de l'alphabet arabe pour transcrire leurs poèmes. Ces œuvres, à ma connaissance, ne sont pas collectées, même pas recencées et on prétend introduire dans nos écoles l'enseignement de nos langues ! Nos universtés ont là un grand rôle à jouer et aussi l'IFAN qui a déjà beaucoup fait pour la sauvegarde de nos valeurs culturelles et des chercheurs indépendants. Quand j'étais Directeur général de la Culture à l'Agence de Coopération Culturelle et Technique à Paris, on avait fait créer une ligne budgétaire pour la collecte de ces oeurvres en langues nationales, mais malgré tous les efforts déployés, aucun pays (même pas le mien), aucun chercheur n'ont sollicité ce budget. A la prochaine Conférence générale, cette ligne budgétaire non sollicitée a été soumise au profit d'autres activités. Sans nous y attarder, parlons d'autres prouesses de nos producteurs arabophones.
La langue arabe classique est certainement parmi les langues les plus abstraites, donc une langue apte à produire des images d'une beauté et d'une complexité surprenantes. On connaît la beauté éclatante de l'écriture coranique dont les images, les sonorités rivalisent avec les mots : l'émotion religieuse ne vient plus du fond du texte, c'est-à-dire du sens des mots, mais de la forme, de l'alliance des mots . une sorte de sainte alliance - et de la diversité des sonorités : on est ébranlé non par ce qu'on a compris, mais par ce qu'on a entendu ! Or toutes les grandes œuvres arabes sont traduites ou sont susceptibles d'être traduites par nos érudits arabophones, qui maîtrisent merveilleusement les deux langues : la langue maternelle et l'arabe classique. D'où l'extraordinaire enrichissement de la langue maternelle par une langue polie, durant des siècles, par l'écriture.
Au fait, dans nos écoles coraniques, que nous traitons souvent avec mépris, la langue maternelle et la langue arabe sont toutes deux des langues d'enseignement : l'une n'existe pas sans l'autre ; un échange constant entre les deux langues qui deviennent des " langues-sœurs " ou des langues jumelles : c'est pourquoi l'apprenant a souvent une maîtrise inattendue des deux langues. Difficile de parler d'acculturation chez l'arabophone qui a reçu son éducation non pas dans les écoles dites " modernes " des pays arabes, mais dans nos " daara ", nos écoles coraniques traditionnelles. De cette rencontre des deux langues, une langue littéraire de la langue maternelle a vu le jour. Pour s'en convaincre, je vous invite à assister aux cérémonies de traduction du Coran dans une des langues citées, qui cherchent toujours à rendre dans la langue africaine la complexité du message, mais aussi et surtout à restituer l'énorme dose de poésie que véhiculent les mots et les images coraniques. La réussite de l'opération est spectaculaire ; l'impressionnante poésie contenue dans le texte arabe est franchement rendue dans la langue maternelle. Il serait souhaitable pour les besoins de la cause, que ces textes, produits de la traduction de certaines grandes œuvres arabes, soient recueillis et édités en langues nationales. Un tel exercice me paraît plus utile que celui qui consiste à faire composer par les enseignants eux-mêmes des textes à soumettre aux apprenants.
Formés à l'école occidentale, il nous est difficile de rendre les principales œuvres françaises par exemple dans nos langues maternelles. Alors que les arabophones sénégalais sont capables de traduire n'importe quelle œuvre arabe, même le difficile et sacré Coran, dans leur langue maternelle. Ce qui donne pleinement raison au visionnaire Jean Dard (ouverture de la première école française sur le continent à Saint-Louis en 1817, mort en 1833 à Saint-Louis), premier instituteur français en Afrique au sud du Sahara, auteur du premier dictionnaire français-wolof. Tous nos grands érudits arabophones sont sortis des " daara " dont l'enseignement est donné dans les deux langues : langue arabe classique et langue maternelle. Les " daara " ont donné raison à Jean Dard qu'il faut célébrer : ils ont créé des génies dont Cheikh El Hadj Omar al Foutiyou, Cheikh Ahmadou Bamba, El Hadj Malick Sy, Cheikh Ibrahima Niasse et bien d'autres, qu'Allah répande sa miséricorde sur eux !
Vous me direz que tout cela ne concerne que quelques communautés fortement islamisées. Et les communautés chrétiennes (Raphaël y appartient) et les communautés animistes du pays ?
Dans toutes nos langues, il existe non seulement des œuvres littéraires, surtout en poésie, mais une langue littéraire toute différente de la langue courante, la langue utilitaire pour ainsi dire, celle qu'on emploie tous les jours ; les œuvres sont créées généralement par des griots ou par d'autres personnes, surtout par les femmes : des berceuses, des chants-poèmes, comme les nomme L. S. Senghor, des poèmes d'amour créés par des jeunes filles pour agrémenter leurs danses au clair de lune, ou des chants-poèmes champêtres qu'on trouve chez toutes les ethnies sur toute l'étendue du Sénégal. En général, tout effort physique de longue haleine est soutenue par des œuvres poétiques créées pour la circonstance. Le forgeron comme le laboureur ont leurs répertoires de chans-poèmes. Chez les Mandings la Case de l'homme connaît des répertoires d'une haute facture. A ma connaissance, ces chants-poèmes ne sont pas collectés, même pas recensés. Il y a eu des tentatives comme celles de la critique littéraire feue Lilyan Kesteloot, certainement celles des chercheurs de l'IFAN et de la direction des Archives culturelles de notre Ministère de la Culture et aussi et surtout celles de Raphaël Ndiaye, qui fut, du reste, directeur des Archives culturelles pendant de nombreuses années.
Si le départ de Raphaël Ndiaye nous a fortement ébranlés après le départ de tant d'autres grands hommes et de grandes dames en 2022, dans cette horrible ère de la pandémie du siècle, c'est que la disparition de ce compatriote a créé un grand vide difficile à combler sur un chantier où les ouvriers se font de plus en plus rares. Ici toute absence fait peur. Il faut que Raphaël revienne ! Comment faire revenir un créateur comme lui ? On peut aisément et utilement le faire revenir en inscrivant ses œuvres dans nos programmes scolaires et universitaires pour qu'il renaisse " une seconde fois immergé dans un monde nouveau ", selon ses propres termes dans son long poème. En apprenant sa disparition prématurée, je me suis surpris à psalmodier douloureusement ces beaux vers du poète Senghor, adressés alors à Aimé Césaire, qui semblait avoir déserté, par son silence, le monde de la création poétique, de la reconstruction du monde, car, nous dit ce génie martiniquais, " l'homme de culture doit être un inventeur d'âmes ". Et Senghor de le harceler et de le séduire :
" Mon ami, mon ami - Ô tu reviendras !/
Je t'attendrai (... ),/
Tu reviendras au festin des prémices/
Quand fume sur les toits la douceur du soir au soleil déclive/
Et que promènent les atlètes leur jeunesse/
Parés comme des fiancés, il sied que tu arrives "
Plaise au Ciel que Raphaël revienne, reste avec nous : il sera au rendez-vous parce que ses oeuvres seront en bonne place dans nos programmes scolaires, universitaires, dans nos bibliothèques publiques et privées et qu'il continuera à dialoguer avec les générations futures, et comme le prophétise le Guinéen William Sassine, l'enfant terrible du roman africain : le dialogue ininterrompu avec les générations à venir par la magie de l'écriture, " C'est ça l'immortalité " !
Paix à l'âme de Raphaël Ndiaye !
Paix et paix à ceux et celles qui ont pieusement aimé leur pays !
" La voix d'un peuple entier les berce en leur tombeau " . (V.Hugo)