Un mois après la rentrée scolaire, plusieurs écoles souffrent d'un manque d'enseignants. Ce constat est fait par les parents et les éducateurs. Pour la chimie comme la biologie point de cours, faute d'enseignants dans un collège public. Dans un autre établissement similaire, un seul enseignant assure les cours de "General Paper". Une situation perceptible dans d'autres institutions publiques et privées. Pourquoi ? Quelles solutions ?
Depuis le début de cette année, plusieurs parents se plaignent du manque de professeurs. C'est justement le cas d'Azmaal* dont la fille est en Grade 8 au collège Renganaden Seeneevassen SSS, à Port-Louis. Depuis la rentrée du 11 janvier, elle se retrouve sans professeur de biologie et de chimie. Ce parent explique que le collège a déjà fait des requêtes au ministère de l'Éducation, qui demeurent sans réponse.
"On nous dit qu'il faut de la patience car il n'y a pas de professeurs disponibles dans ces matières actuellement." Autre casse-tête rencontré par le parent : trouver des professeurs particuliers pour donner des cours à sa fille. "Je suis encore à la recherche de ces professeurs et le temps presse. D'autant que les examens du premier trimestre sont prévus d'ici la fin de ce mois-ci."
Autre collège de la capitale, mais même problème. Cette fois-ci, c'est un enseignant en General Paper (GP) qui fait défaut. "Ma fille prendra part aux examens du Higher School Certificate (HSC) à la fin de 2023 et elle se retrouve sans enseignant. Pourtant, l'année dernière, il y avait quelqu'un pour enseigner cette matière", avance Ajay*. Par conséquent, sa fille prend des leçons particulières pour pallier ce manque. "Ce n'est pas pareil. Mais, par défaut, il n'y a pas d'autres options."
Quid de l'importance d'un professeur en classe ? La question a été adressée à Podano Surajsingh, lauréat de la cuvée 2022 au Sookdeo Bissoondoyal State College. "La présence d'un professeur en classe est extrêmement importante. Il ne faut pas oublier que nous sommes au collège cinq jours par semaine. Et avoir une constance dans nos études est primordial", affirme-t-il.
Pour lui, le professeur, qui répète certaines matières ou certains cours permet aux élèves de mieux les assimiler. "Un professeur en classe s'avère indispensable pour aller loin dans les études, et même devenir lauréat. Car le travail est divisé ; une partie pour le collégien, une partie pour le professeur." Pendant ses années d'apprentissage, Podano Surajsingh n'a pas eu à faire face à ce manque d'enseignants. "Même si le professeur n'était pas présent, un remplaçant prenait la suite. Et il partageait ses connaissances", ajoute-t-il.
Hélas, d'autres élèves n'ont pas eu cette chance et se retrouvent sans enseignants. Pourquoi ? "C'est une mauvaise planification des autorités éducatives", affirme Soondress Sawmynaden, ancien recteur du collège Maurice Curé et ancien président de l'Association des recteurs et recteurs-adjoints des collèges d'État. Quelles en sont les raisons ? Pour lui, un bon nombre d'enseignants partent à la retraite. Aussi, dit-il, il fallait prendre des dispositions pour les remplacer lors de ces départs. Il ajoute que c'est la Public Service Commission qui pourvoit ces postes, mais que cette entité se charge du recrutement dans toute la fonction publique et ne peut s'atteler exclusivement à l'éducation. En prévision du nombre de départs à la retraite, il réitère le besoin d'une planification dans le recrutement en amont. Il estime qu'environ 10 % des collèges d'État seraient en manque d'enseignants.
Un pédagogue du secteur public va plus loin, estimant que la plupart de ces établissements publics font face à ce problème. "Dans presque chaque établissement, il manque entre quatre et cinq éducateurs. Sur une soixantaine de collèges d'État, cela équivaut à une pénurie d'environ 300 enseignants Ce chiffre varie selon les établissements et les matières", confie-t-il. Selon lui, dans le Nord, il manque des enseignants en anglais et en français. Dans le centre, c'est pour les sciences qu'il faut des effectifs. En général, poursuit-il, la pénurie s'étend aux matières techniques et pratiques comme le Design et le Food and Nutrition. Pour le Kreol Morisien, il évoque seulement une dizaine d'enseignants.
Au sujet des raisons de cette pénurie, il revient sur la planification inadéquate des autorités ainsi que la non-fidélisation des supply teachers, qui s'en vont dès l'obtention d'un poste permanent. Puis, soutient-il, dans le public comme dans le privé, on a du mal à trouver des éducateurs remplaçants à la retraite, depuis que les nouvelles dispositions de la loi exigent le Postgraduate Certificate in Education (PGCE), une qualification qu'une bonne partie des enseignants n'a pas, d'après le pédagogue.
Outre le secondaire, le cycle primaire se voit également confronté à cette pénurie, évoque Gilberte Chung, directrice du Service diocésain de l'éducation catholique. "2023 est une année particulière. Pour le personnel enseignant, il y a désormais ce critère de PGCE dans les établissements privés. C'est là que nous avons eu quelques difficultés car les personnes approchées avaient leur licence mais pas de PGCE. Pour la majorité déjà en service, ils feront leur PGCE après. Deuxièmement, il y a des transferts d'éducateurs vers d'autres établissements, ce qui implique un shift de la pénurie", déclare-t-elle.
Au niveau des collèges d'État, elle dit être au courant "qu'il y a pas mal de supply teachers" et confirme le non-remplacement des enseignants qui "sont partis". "C'est le ministère de l'Éducation qui donne l'accord sur le nombre d'éducateurs à recruter. Certainement, il y a un manque de planification des autorités. Normalement, au niveau des collèges privés, nous connaissons le nombre de postes vacants que nous aurons et prévoyons cela en lançant des appels à candidatures. Dans les collèges d'État, cela se passe au niveau de la fonction publique. Il faut planifier en fonction des besoins et du nombre à recruter. Au secondaire, ce n'est pas un problème si les effectifs disposent déjà des qualifications requises. Par contre, au primaire, c'est plus compliqué. Il faut les recruter, les envoyer effectuer leur Bachelor in Education avant leur mise en fonction en établissement scolaire. Cela nécessite trois ans d'attente", poursuit notre interlocutrice. Revenant sur les supply teachers, elle soutient que cette "solution n'offre pas de stabilité" aux élèves, surtout les tout-petits, qui se retrouvent avec des éducateurs différents sur un court laps de temps.
Quelles solutions à ce problème ? Il fallait prévoir des supply teachers au début de l'année, souligne Soondress Sawmynaden. Maintenant, certains d'entre eux, qui se voient octroyer des postes permanents, ne s'y rendent pas. D'ailleurs, rétorque-t-il, ce recours n'est que temporaire et ne devrait se pérenniser pour combler le manque d'enseignants. A-t-on suffisamment de supply teachers ? Il répond par l'affirmative mais s'interroge si au final, ces derniers accepteront les postes attribués.
Pour remédier à la pénurie d'enseignants, il mentionne des arrangements au niveau de l'école en répartissant les éducateurs disponibles sur divers cours. Hélas, certains élèves perdront quelques classes mais "c'est mieux pour ne pas pénaliser tout le monde". Cependant, ceci sera une stratégie temporaire jusqu'à l'assainissement de la situation. Pour le pédagogue du secteur public, il faut définitivement planifier ces ressources en décembre et recruter des éducateurs au lieu de contractuels tels que les supply teachers.
Gilberte Chung, elle, est d'avis que la planification s'impose au niveau des recrutements sur trois à dix ans en termes de ressources humaines, matières et qualifications. Les autorités sont à même de pouvoir faire cela, conclut-elle.
(*) prénom modifié
Shiv Luchoomun, directeur de la PSEA : "Il faut que les collèges s'organisent mieux"
Selon la Private Secondary Education Authority (PSEA), certains facteurs contribuent à ce manque d'enseignants. Mais tout problème a une solution. Pour Shiv Luchoomun, le directeur de cette instance, il faut que les collèges s'organisent mieux, surtout en ce qui concerne l'annonce émise pour le recrutement d'un professeur. "Il faut la publier dans un journal reconnu." Il confie avoir eu un cas où le responsable d'un collège recherchait des enseignants. Quand il lui a demandé s'il avait publié un communiqué dans les journaux, ce dernier lui a répondu qu'il a posté une demande sur Facebook. "Il faut publier les avis dans les journaux, comme le fait le ministère de l'Éducation. Et il faut aussi être spécifique dans la requête. Quand je l'ai croisé quelque temps après, il avait pu avoir un enseignant pour le poste qu'il recherchait suivant nos consignes."
Répondant aux questions récurrentes sur des collèges qui manquent d'enseignants, il dit ne pas avoir vu plusieurs adverts dans les journaux qui le spécifient. Est-ce que certaines personnes grossissent ce manque à travers les journaux et réseaux sociaux ? "Peut-être que l'on grossit ces cas." Pour lui, il y a un manque de planification dans cette affaire. Il s'explique : "Alors qu'on est à l'aube d'une rentrée scolaire, vous ne pouvez advertise. En novembre et décembre, pourquoi ne pas le faire ? Il faut avoir un proper planning. Vous savez qu'un professeur part à la retraite et un autre sera en vacances. On ne peut pas laisser les enfants sans assistance."
Concernant les nombreux problèmes soulevés suite au manque de PGCE, Shiv Luchoomun reconnaît que la PSEA étudie au cas par cas. "Le PGCE est présent dans le rapport du PRB depuis 2008. Tous ceux qui veulent embrasser une carrière dans l'enseignement se doivent d'avoir ce diplôme. Néanmoins, comme nous ne voulons pas pénaliser les enfants, nous acceptons les requêtes faites par les responsables pour les enseignants qui vont bientôt terminer leur PGCE. Nous avons deux cas où les enseignants suivent déjà ces cours et devraient obtenir leur diplôme incessamment." Ainsi, la PSEA les prend sur une base temporaire jusqu'à l'obtention de leur diplôme où ils auront leur contrat permanent.
En chiffres
En 2021, 9 003 enseignants étaient en service dans les collèges, indique Statistics Mauritius, soit 4 159 dans le secteur public et 4 844 dans le privé. En primaire, on comptait 5 597 enseignants dont 3 639 au sein des établissements de l'État et 1 958 dans le secteur privé