Sénégal: Alioune Pouye, Maire de Sébikotane - "Le pôle urbain, une opportunité et une menace pour notre commune"

16 Février 2023
interview

L'actuel maire de Sébikotane, dans le département de Rufisque, Alioune Pouye, est un homme de terrain. Cet ingénieur en génie civil qui est passé par plusieurs entreprises de renom avant d'embrasser la politique veut changer le visage de sa commune. L'édile de 39 ans, seul maire du parti Pastef-les Patriotes dans le département de Rufisque, compte s'attaquer aux chantiers qui ont pour noms maîtrise du foncier, élargissement de la carte sanitaire et scolaire, mais aussi faire en sorte que sa commune dispose d'un réceptif hôtelier. Seulement, Alioune Pouye ne mâche pas ses mots quand il s'agit de parler du pôle urbain de Diamniadio. Selon lui, cet espace est à la fois une opportunité et une menace pour sa circonscription.

Dans quel état avez-vous trouvé la mairie ?

J'ai trouvé des choses positives et d'autres qui ne l'étaient pas. Mais tout compte fait, l'institution était debout, avec des services fonctionnels et du personnel sur qui je pouvais compter pour continuer le travail. J'ai trouvé aussi une commune qui, dans certains domaines, avait enclenché une certaine dynamique, notamment dans le cas des projets financés par le Pacasen, donc éligible. Et cela indique qu'un travail avait été fait car les critères d'éligibilité au Pacasen (Cmo) sont sélectifs de telle sorte que si une commune ne fait pas le travail correctement, elle risque de n'être plus éligible. Cela nous a permis de démarrer des projets structurants comme un poste de santé à Yeba. En dehors de ces points positifs, j'ai trouvé des choses qui sont peut-être à l'origine de mon élection. Il s'agit principalement du foncier qui constitue un sérieux problème au niveau de la commune.

Aujourd'hui, il y a beaucoup de réclamations qui nous parviennent sur ce sujet. Parce qu'il y a eu beaucoup de séries d'affectations, de réaffectations qui se sont succédé à tel enseigne que sur pas mal de lotissements effectués ici, il y a beaucoup de litiges que nous peinons à trancher. Toujours en matière de foncier, il n'y avait pas une véritable politique d'aménagement de la commune. Sébikotane ne s'est pas préparé à abriter des infrastructures comme un centre de santé. Aujourd'hui, beaucoup de quartiers ont besoin d'écoles, mais ils ne disposent pas d'espace pour cela. Pour moi, c'est un manque de vision pour une commune comme la nôtre qui est dans une position stratégique. Sébikotane est dans la région de Dakar, à l'intersection de l'autoroute à péage et du Ter.

C'est aussi une commune qui se trouve au centre des trois pôles, à savoir celui urbain de Diamniadio, celui du Lac rose et le Pôle urbain de Daga Kholpa. Nous sommes aussi à quelques encablures de l'Aéroport international Blaise Diagne de Diass, et à proximité des nouveaux ports (Bargny Sendou, Ndayane). Nous abritons aussi une zone industrielle dans notre périmètre communal. Tous ces facteurs font que nous sommes une collectivité territoriale très prisée. Il y a une forte demande en matière d'habitat. Pour une commune comme celle-là, il faut avoir une bonne vision et une bonne politique d'aménagement du territoire.

Est-ce que vous comptez mettre à profit cette position géographique de la commune ?

Effectivement ! En tant que nouveau maire, nous essayons de saisir cette opportunité pour en tirer le maximum de profit. Aussi bien en termes d'aménagement à usage d'habitation, avec des lotissements viabilisés. L'innovation majeure que nous apportons, c'est que les assiettes seront viabilisées. Nous allons mettre de l'eau, de l'électricité et les voies d'accès dans les nouveaux projets de lotissements.

Vous avez pour le moment combien de projets de ce genre ?

Pour le moment, nous en avons deux qui sont à un stade très avancé. Mais il y a d'autres aussi en perspective. En dehors de cela, il y a la forêt classée qui a bénéficié d'un déclassement partiel de 75 ha dont la commune n'avait pas bénéficié. Tous les 75 ha étaient attribués à des sociétés. Entre-temps, nous avons fait une requête auprès des autorités, notamment au Président de la République qui a déclassé à notre profit une assiette de 35 ha. C'est certes un pas, mais compte tenu des urgences de la commune, on aurait souhaité disposer de beaucoup plus. Parce que nous avons des besoins pour construire un centre de santé, un stade et des écoles.

Est-ce que vous avez sécurisé ce qui vient d'être déclassé ?

Oui, nous sommes en train de le sécuriser. Il y a certes quelques installations irrégulières, mais nous avons mis en place une brigade qui circule pour contrôler les occupations foncières au niveau de la commune. Parfois, nous faisons aussi appel à la Dscos, pour nous aider dans la gestion de l'occupation. Il faut dire aussi que nous sommes très sollicités par les industriels qui veulent s'installer à la sortie de Dakar. Nous avons également un projet pour la mise en place d'un réceptif hôtelier dans la commune.

Des personnes avaient bénéficié de titres dans la forêt classée avant même son déclassement. Est-ce que ces individus peuvent espérer un dédommagement ?

Effectivement, la forêt classée fait l'objet d'occupations qu'on peut qualifier d'irrégulières. Mais il faut remonter dans le passé pour comprendre les choses. Parce que bien avant les indépendances, vers les années 1950, une bonne partie de cette forêt classée était exploitée, soit à usage agricole ou à un autre usage par les habitants de Yéba et de Keur Mousseu. Ensuite, la forêt a été classée, mais les populations ont continué à l'exploiter. Mais il y avait un problème de délimitation. La forêt n'a jamais été délimitée. On ne sait pas où elle commence et où elle s'arrête.

Beaucoup de gens n'ont jamais pensé qu'ils étaient dans la forêt parce qu'on ne leur a jamais opposé un document. Et du jour au lendemain, on vient leur dire que vous êtes dans la forêt classée. Et jusqu'à présent, nous ne connaissons pas la délimitation. Maintenant, il y a eu des déclassements et ce qui était attribué aux industriels, sous la supervision du Préfet, on va procéder à l'évaluation des impenses et indemniser les occupants. Pour ce qui relève de l'assiette qui a été déclassée au profit de la commune, des discussions seront engagées avec les occupants. Ceux qui peuvent être régularisés le seront.

Est-ce que le Pôle urbain est aujourd'hui une opportunité ou une menace pour votre commune ?

Au moment où nous parlons, nous n'avons pas vu les avantages ou opportunités du Pôle urbain. Il est vrai que nous avons initié un dialogue avec les responsables du Pôle. Mais il n'y a pas encore d'actions du Pôle urbain de Diamniadio dans la commune de Sébikotane. Pour nous, le Pôle constitue à la fois une opportunité et une menace. Opportunité si on prend en compte les politiques d'accompagnement d'infrastructures pour ne pas que demain, Sébikotane soit une banlieue au milieu de Diamniadio ou de Daga Khopa. Donc si l'Etat développe les pôles et qu'il laisse en rade les communes environnantes, on risque d'avoir des quartiers flottants autour de ces pôles.

C'est dans ce sens que nous demandons à l'Etat de penser aux communes qui entourent le pôle urbain de Diamniadio. Le pôle ne saurait être viable si les communes périphériques ne sont pas prises en compte dans les politiques d'investissements en matière d'infrastructures et d'équipements. Avec le pôle, notre territoire est menacé. Nous n'avons plus cette possibilité d'extension. Aujourd'hui, une bonne partie de la commune de Sébikotane se trouve dans la commune de Diamniadio. Nous avons donc ce problème de limites territoriales avec Diamniadio, Keur Mousseu et parfois même Diass et Bambilor. Nous voulons que ces anomalies liées au découpage soient rectifiées.

Votre quartier, Yéba, faisait face, comme d'autres, au manque d'eau. Est-ce qu'aujourd'hui, ce problème est résolu ?

Le phénomène ne touche pas tous les quartiers. Il faut rappeler que du fait de la position stratégique de Sébikotane, nous avons un taux d'urbanisation très élevé. Parce qu'en dehors de la croissance naturelle de la population, beaucoup de gens qui n'ont pas la possibilité d'habiter à Dakar ou Diamniadio viennent s'implanter à Sébikotane. L'urbanisation se passe donc à une vitesse élevée. Ce qui accroît les besoins en eau, en électricité et en équipements. Des quartiers traditionnels disposaient de l'eau, mais du fait de l'accroissement de la population, il y a des extensions à Yeba Extension, Sebi Gare, Sébi Tanghor. Mais, nous avons des problèmes d'eau. La Sones a été saisie de la question. Aujourd'hui, nous pouvons espérer que ce problème sera bientôt réglé.

Compte tenu de tous ces problèmes soulevés, quelles sont les priorités dans les prochaines années ?

Nous avons des priorités qui sont liées aux enjeux. L'une réside dans la maîtrise du foncier. À cet effet, nous allons élaborer des plans d'aménagement pour pouvoir abriter des infrastructures. La santé reste aussi une priorité, parce que nous avons une population de plus de 40 000 habitants. C'est la plus forte population dans le district sanitaire de Diamniadio qui polarise Diamniadio, Yène et Sébikotane. Aujourd'hui, la taille de la population milite en faveur d'un centre de santé en lieu et place d'un poste de santé. L'un de nos grands projets, c'est d'implanter un centre de santé à Sébikotane avant la fin de notre mandat.

Je dois préciser que nous sommes en train de construire deux postes de santé, l'un à Yéba sur fonds propres et l'autre en partenariat avec une entreprise de la place. Tous ces équipements combinés à un centre de santé vont améliorer la carte sanitaire de la commune. En matière d'éducation, nous voulons construire une nouvelle école au quartier Carrière. Mais chaque année, nous voulons renforcer les salles de classe pour que les effectifs soient ramenés à des proportions raisonnables. En matière de voirie, nous avons un projet de pavage des rues. Ce programme va démarrer cette année afin d'améliorer la mobilité au sein de la commune. La jeunesse de Sébikotane attend la construction d'un stade et nous comptons, dans les cinq prochaines années, le construire. Mais nous allons démarrer cette construction par étape.

Vous êtes un maire du parti Pastef Les Patriotes. Est-ce que votre formation est bien implantée à Sébikotane ?

Le Pastef est bien implanté à Sébikotane. Pour preuve, aux élections présidentielles de 2019, Pastef était classé 2ème à Sébikotane et avait les meilleurs résultats du département de Rufisque en termes de pourcentage. Aux élections municipales de 2022, Pastef a gagné largement la commune, à travers la coalition Yewwi Askan Wi. Celle-ci avait gagné six centres de vote sur les huit que compte la commune. Le Conseil départemental de Rufisque a basculé en faveur de Yewwi Askan Wi grâce à l'écart très énorme que Yewwi a eu à Sébikotane. Si vous annulez les résultats de Sébikotane, la coalition Bby allait gagner le Conseil départemental.

Qu'est-ce qu'on peut en déduire alors, Pastef vit à Rufisque grâce à Sébikotane...

En tout cas, je suis le seul maire de Pastef dans le département de Rufisque. C'est vrai que Yewwi a gagné quatre communes, mais Pastef n'a que Sébikotane comme commune à Rufisque. Aux élections départementales, on avait un écart de 1114 voix à Sébikotane alors que l'écart autour du département, c'était autour de 1200 voix, donc si on annule les résultats de Sébikotane, la balance se penche en faveur de Bby. Sébikotane est le terroir de Sonko. Il a passé une bonne partie de son enfance ici à Sébikotane. Il a fait une partie de ses études primaires ici à Sébikotane. Et quand on se rencontre, il a l'habitude de dire que Alioune Pouye est mon maire.

Aujourd'hui, votre leader fait face à deux procès. Est-ce que vous ne craignez pas qu'il soit condamné ?

Nous sommes confiants et nous pensons qu'il sera de la course en 2024 et qu'il remportera les élections.

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