Entre traitement "raciste", absence de compensation et déplacement forcé, le rapport de Human Rights Watch, lancé hier, conclut que le Royaume-Uni et les États-Unis sont coupables de crime contre l'humanité à l'égard des Chagossiens.
Le rapport de Human Rights Watch (HRW) affirme que "c'est la première fois que l'on voit des preuves de l'implication des États-Unis et du Royaume-Uni dans un crime contre l'humanité". Quelles sont ces preuves ?
Le rapport de HRW établit que les gouvernements des États-Unis et du Royaume-Uni ont traité les Chagossiens comme un peuple sans droits. Les deux gouvernements ont estimé qu'ils pouvaient évacuer le peuple chagossien sans aucune consultation et sans compensation, simplement pour installer une base militaire à Diego Garcia.
Les Chagossiens ont reçu des compensations financières - même insuffisantes - ultérieurement...
Quand il y a des déplacements définitifs, forcés, sans consultation, sans compensation, on considère que cela équivaut à un crime contre l'humanité.
HRW établit une comparaison frappante entre ce qu'ont vécu les Chagossiens et les Rohingyas persécutés en Birmanie...
Il y a eu crime contre l'humanité, incluant la déportation, des persécutions à caractère raciste et le crime qui continue: les Chagossiens réclament toujours le droit de retour dans l'archipel.
Expliquez-nous la méthodologie du rapport...
En tout, 57 Chagossiens ont été interrogés, à Maurice, aux Seychelles et au Royaume-Uni. Nous avons échangé avec le Chagos Refugee Group, Chagossian Voices et d'autres groupements. Il y a eu des réunions avec des autorités aux États-Unis, au Royaume-Uni, des avocats, des diplomates, des observateurs, sur tout ce qui s'est passé dans l'archipel des Chagos dans les années 1960-70. Il y a aussi un travail de recherches dans les archives, sur les documents secrets rendus publics. Ce travail s'est échelonné de novembre 2021 à septembre 2022. En amont, les faits dénoncés ainsi que les recommandations ont été envoyés aux gouvernements concernés, à Maurice, au Royaume-Uni et aux États-Unis.
Avant le lancement du rapport hier, ces gouvernements étaient-ils au courant des conclusions de Human Rights Watch?
Ils étaient largement au courant parce que l'on donne aux autorités concernées l'opportunité de répondre de manière substantielle. Le rapport final contient, en annexe, les réponses des trois gouvernements.
Les autorités ont-elles été ouvertes à vos demandes ?
Cela dépend. Du côté mauricien, il y a toujours eu de l'ouverture. Du côté des ÉtatsUnis et du Royaume-Uni, il y a aussi eu de l'ouverture, avec d'énormes divergences concernant comment HRW caractérise les abus commis contre le peuple chagossien. Le Royaume-Uni et les États-Unis soutiennent des thèses divergentes même si dans le cas du Royaume-Uni, il y a eu une espèce de reconnaissance que les abus commis étaient inacceptables. Il reste beaucoup de travail à accomplir du côté du Royaume-Uni pour s'assurer que ces types d'abus et crimes ne soient pas répétés. Et s'assurer que le retour des Chagossiens soit permanent et immédiat dans toutes les îles de l'archipel des Chagos. Nous recommandons une compensation financière appropriée pour des gens qui ont eu des vies brisées, il y a déjà 50 ans. Le Royaume-Uni a largement essayé d'échapper à ses responsabilités. Du côté des États-Unis, ils gardent une position beaucoup plus muette...
... Comme d'habitude, les Américains disent: "Ce n'est pas nous, c'est les Anglais ?"
... Ils disent qu'en tant que pays souverain, c'est au Royaume-Uni de répondre et d'apporter les solutions.
Le Royaume-Uni a-t-il pris des engagements auprès de HRW?
Dans les recommandations, nous appelons le gouvernement du Royaume-Uni à accorder des réparations complètes, effectives et sans conditions au peuple chagossien. Il faut qu'il y ait le droit de retour immédiat et sans conditions, y compris sur Diego Garcia.
Maurice a répété qu'elle souhaite que la base militaire américaine reste sur Diego Garcia. Cela signifie implicitement un obstacle au retour sur cette île en particulier?
Pour HRW, qu'il y ait une base militaire ou pas, ce n'est pas le sujet. Une base militaire n'empêche pas le retour des Chagossiens. Il y a des bases militaires britanniques et américaines dans plein d'autres endroits, qui sont en voisinage immédiat avec d'autres peuples. Il n'y a aucune raison légale pour ne pas permettre le retour des Chagossiens sur l'île de Diego Garcia.
Nous demandons aussi que le Royaume-Uni assure la réhabilitation des îles pour que les Chagossiens puissent retourner y vivre de manière permanente. Cette réhabilitation doit tenir en compte qu'avant, ils avaient une vie tout à fait digne et prospère ; donc il faut restituer des conditions adéquates pour leur permettre de continuer à y vivre.
Quels sont les moyens à disposition pour s'assurer que ses recommandations soient appliquées ? Une partie des recommandations, c'est de traduire en justice les individus responsables des crimes contre l'humanité à l'égard des Chagossiens. Cela peut se faire dans des tribunaux nationaux mais aussi par le biais d'une saisine de la Cour pénale internationale. Nous recommandons que le Parlement anglais entame des enquêtes approfondies sur ce qui s'est passé aux Chagos. Que des mesures soit prises par le parlement anglais, étant donné que la plupart des décisions pour la création du British Indian Ocean Territory ont été prises par des ordres en conseil du Privy Council, qui ne sont pas passés par le Parlement anglais.
En outre, nous recommandons que le Congrès soit saisi pour faire la lumière sur les abus et crimes commis par les États-Unis sur la déportation et la négation du droit de retour aux Chagossiens.
Traduire en justice les responsables, ce sont donc les décideurs politiques ?
Quand il s'agit de crime contre l'humanité, il n'y a pas de prescription. Dans le cas de la négation du droit de retour, il y a des gens qui sont responsables actuellement de la continuité de ces crimes.
Face aux appels répétés des Chagossiens pour participer aux négociations en cours entre Maurice et le Royaume-Uni, des voix ont affirmé que cela se passait d'État à État...
Les négociations in fine seront probablement signées par les deux gouvernements parce qu'il s'agit de questions de souveraineté, mais cela n'empêche pas que le peuple chagossien soit au centre de ces négociations parce que c'est lui le peuple autochtone.
Les actions judiciaires prennent du temps. Alors que cette année marque les 50 ans de la fin de la déportation des Chagossiens, quelle est la recommandation la plus rapide à appliquer ?
C'est d'avoir la décence politique de la part du Royaume-Uni d'octroyer le droit de retour immédiat aux Chagossiens. La même chose du côté des États-Unis. On n'a pas besoin des tribunaux ; c'est simplement une question de volonté politique.
Quelle est la prochaine étape après la publication du rapport ?
Notre travail ne s'arrête pas là. Il y a toute une partie de plaidoyers pour maintenir la pression sur les gouvernements. Nous allons continuer de surveiller à distance les négociations entre le Royaume-Uni et Maurice pour nous assurer que le peuple chagossien soit bien consulté. Et travailler sur d'autres opportunités par le biais des Nations unies, de l'Union africaine, de la Cour pénale internationale. Ce plaidoyer va continuer jusqu'au moment - que nous espérons pas trop lointain - où le peuple chagossien sera de retour dans les îles, Diego Garcia incluse.
Crime contre l'humanité. Que recommande HRW?
"C'est là que le cauchemar a commencé." Titre du rapport de HRW, lancé hier, concernant le "déplacement forcé des Chagossiens par le Royaume-Uni et les États-Unis et persistance des crimes coloniaux". Ce rapport conclut que "le déplacement forcé des Chagossiens et les violations qui persistent à leur encontre aujourd'hui constituent des crimes contre l'humanité commis par une puissance coloniale contre un peuple autochtone (... ) Cette domination coloniale a été bâtie sur un racisme systématique ainsi que sur la discrimination des Chagossiens pour des motifs ethniques et raciaux". Après un constat détaillé de toute la question chagossienne depuis les années 1960, HRW émet une série de recommandations aux gouvernements mauricien, britannique, américain et indien.
Recommandations pour Maurice
HRW demande que l'État répète publiquement son soutien au droit de retour des Chagossiens, peu importe leur nationalité ; lqu'il exprime publiquement son soutien à des mesures de réparations des préjudices subis par les Chagossiens, de la part des gouvernements du Royaume-Uni et des États-Unis ; et qu'il demande publiquement que les individus responsables de crimes contre l'humanité commis contre le peuple chagossien soient tenus de rendre des comptes.
Recommandations aux Britanniques
Parmi les recommandations:
Des excuses "complètes et sans réserves" du roi Charles III au peuple chagossien pour les crimes et abus commis par le Royaume-Uni, avec la garantie d'une "pleine réparation" des préjudices subis et que de telles "exactions" ne se reproduiront pas ; et fournir une compensation à tous les Chagossiens "où qu'ils se trouvent dans le monde, pour les préjudices subis depuis 1965".
Recommandations aux Américains
Parmi les recommandations:
En plus des excuses et des réparations, qu'ils "lèvent immédiatement toutes les restrictions légales qui subsistent et encouragent publiquement les Chagossiens à travailler à la base militaire de Diego Garcia et leur permettre de faire venir leur famille pour y vivre".