Il compte plus de 30 ans dans la force policière. L'ASP Ashik Jagai s'est rendu en Inde pour un atelier de travail sur la lutte contre le trafic de drogue. Depuis, thèses et hypothèses fleurissent sur les réseaux sociaux, concernant le "véritable motif" de ce voyage...
Est-ce de la poudre aux yeux ? Qu'est donc allé faire en Inde celui que certains de ses collègues surnomment Iron Man ? Le patron de la Special Striking Team (SST) s'est rendu dans la Grande péninsule le 5 février. Depuis, les allégations, les suppositions et autres assertions fusent sur les réseaux sociaux. "Eski enn formasion polisyér en Inde pran trwa zour ou trwa mwa", s'interroge un Facebookeur.
Une dame vivant à l'étranger a même fait un live sur Facebook à ce propos mercredi soir, dénonçant des plans "machiavéliques" et sous-entendant que l'assistant surintendant de police (ASP) Ashik Jagai (photo) s'est rendu au pays de Modi pour "fabriquer des preuves" incriminantes contre Bruneau Laurette, l'associant à Franklin, le "marsan malprop"...
D'où tiennent-ils ses "informations" ? Ont-elles quelque fondement ? L'activiste Ivann Bibi, qui demande dans un post, "eski ena complot "Narco State" pour fabrik évidans kont BL tel ki bann foto montaz", affirme qu'il n'y a pas de fumée sans feu. "The rabbit hole is very deep... Il y a plusieurs personnes qui m'ont appelé pour me le dire. Certaines ont des sources fiables au sein même des Casernes. L'affaire Laurette a tout d'un complot. Il y a eu des complots même contre moi ; j'ai d'ailleurs porté plainte contre un surintendant de police mais il n'y a pas eu d'enquête jusqu'ici... La façon dont opère la police, les méthodes employées, n'inspirent aucune confiance... "
"Truquages"
Ashik Jagai a-t-il donc fait appel à un ou des Misié Moustas indiens, des pros de la technologie et de l'informatique, pour effectuer des montages photos, "truquer" des vidéos, qui pourraient nuire à Bruneau Laurette, comme l'affirment des internautes ? Pourquoi un policier de sa trempe, qui compte 33 ans de service, qui a été responsable de la brigade anti-drogue de l'Ouest, qui a filé un coup de main à la flying squad de la douane, qui n'hésite pas - tel Jason Statham dans un film d'action - à sauter de sa moto pour mettre la main au collet d'un suspect, a-t-il donc eu besoin d'un "refresher course" contre le trafic de drogue ? Il n'en est rien affirme l'inspecteur Shiva Coothen, responsable de la cellule de communication de la police. "Jagai s'est rendu en Inde pour un atelier de travail de cinq jours lié au trafficking and smuggling of narcotics. Des policiers se rendent souvent à l'étranger pour des cours ou des workshops ; je suis moi-même allé à Mombasa récemment. Il ne faut croire tout ce qu'on raconte sur les réseaux sociaux, voyons." Pourquoi le commissaire de police Anil Kumar Dip s'est-il lui aussi rendu en Inde ? "Il est allé prendre livraison de l'hélicoptère", fait valoir l'inspecteur Coothen. Le Dhruv Mk-III, au coût de Rs 1,1 milliard, a en effet été livré par la Hindustan Aeronautics Ltd le 10 février.
S'il a bien repris l'avion pour retourner à Maurice, le boss de la SST n'a cependant pas répondu à notre appel. D'autres collègues qui ont essayé de le contacter avant, pour d'autres articles, affirment qu'en guise de réponse ils ont eu droit à des "je ne parle pas à l'express". Cependant, dans un entretien publié le 15 février, accordé à nos confrères du Défi, l'homme de 53 ans, qui a aidé à coffrer Siddick Islam, Sada Curpen, Cindy Legallant ou encore Navind Kistnah pour ne citer qu'eux, déclare qu'il est victime "d'un complot", alors que son nom a été associé à celui de Franklin dans des vidéos. "Péna okenn faver nounn fer li kan nou pé trap li, komié case nounn fer kont li... "
Si la SST ou l'Anti-Drug and Smuggling Unit (ADSU) n'a pas pu expédier Franklin au cachot, c'est parce que les perquisitions se sont révélées "infructueuses", confie-t-il dans l'interview en question. Qu'en est-il de la fois où il a interpellé Franklin dans une voiture avec Rs 525 000 en sa possession ? Comment avait-il écopé d'une simple amende pour non affichage de vignette ? La question ne lui a pas été posée. Toutefois, dans une précédente déclaration, Ashik Jagai avait insisté sur le fait qu'il n'était jamais intervenu pour faire libérer Franklin.
Par ailleurs, celui dont le nom est gravé sur sa gourde - comme nous avions pu le voir alors qu'il se rendait aux Casernes le 12 septembre 2022 - a porté plainte pour diffamation de son équipe et lui. Cela, alors que des publications sur les réseaux sociaux faisaient une nouvelle fois état de sa "proximité" avec Franklin. Le 20 septembre, celui qui a inspiré le tube Polico Crapo de 666 Armada - et qui est à l'origine de l'arrestation du chanteur du groupe, Raquel Jolicoeur, mais aussi de l'avocat Akil Bissessur et de Bruneau Laurette donc - a porté plainte pour breach of ICTA après qu'un faux profil a usurpé son identité sur TikTok.
"Preuves fabriquées"
Ashik Jagai, 53 ans, affirme aussi dans son entretien accordé au Défi que les auteurs de ces publications - qui n'ont aucune preuve - font tout pour ternir son image et celle de la SST. "Ce sont des fabulations. Les institutions enquêtent. Attendons les conclusions (... ) Ces gens savent qu'ils ont affaire à une équipe de policiers expérimentés et chevronnés. Nous avons plus de temps pour nos opérations. Les hors-la-loi nous craignent. À l'époque, on parlait de hit list (... )"
Son nom figurait également sur la hit list en question et il est aussi l'avocat de l'activiste, qui a passé plus de trois mois en prison depuis son arrestation le 4 novembre. La thèse qu'avancent les internautes sur des "preuves fabriquées" contre Bruneau Laurette est-elle plausible ? "Je refuse de croire à toutes ces hypothèses, sans preuve", lance Shakeel Mohamed. "C'est dangereux de faire ce genre d'amalgame et c'est une chose que je n'apprécie pas. Ce serait vraiment apporter de l'eau au moulin de ceux qui emploient tous des méthodes qui bafouent la démocratie. Je refuse de croire en une telle chose... "
Quid du fait que jusqu'ici, après les graines de chia et les armes factices, la police - à travers le surintendant Krishna Rajaram - n'a pu produire de vidéo de l'arrestation du Bruneau Laurette ? "Oui, il n'y a rien pour l'instant. Mais cela ne veut pas dire que quelqu'un ira fabriquer des preuves... "
Bruneau Laurette recouvrera-t-il la liberté conditionnelle le 20 février ? "Ce serait un manque de respect de ma part de commenter la décision de la magistrate, qui est en suspens", affirme l'homme de loi. Si de nouvelles preuves - vraies ou fausses - dont des photos et des vidéos sont produites par la suite, est-ce qu'il pourrait de nouveau être arrêté ? "Non. Par contre, s'il est libéré sous caution, ce qui est plausible, c'est que le bureau du Directeur des poursuites publiques fasse appel de la décision de la magistrate. Mon client restera alors en prison jusqu'à ce que la Cour suprême fasse part de sa décision."
Il est bon de préciser que Bruneau Laurette et son fils Ryan réclamaient Rs 20 millions à l'ASP Ashik Jagai pour "faute lourde" dans le sillage de leur arrestation, mais l'affaire a été rayée en cour hier (voir hors-texte).
L'Independent Police Complaints Commission, elle, enquête toujours sur les allégations faites par l'activiste contre le patron de la SST lors d'une manifestation le 29 octobre 2022 quand il avait promis d'autres "révélations" contre ce dernier. "Demann misié Jagai ki linn al fer éna 15 zour dan Rivière-Noire ? Eski ena 40 kg ladrog kinn rantré laba", avait alors balancé Bruneau Laurette. Moins d'une semaine plus tard, soit le 4 novembre, il se faisait arrêter, la SST disant avoir découvert plus de 40 kilos de haschich dans le coffre de sa voiture.
Réclamations de rs 20 m à Jagai et Narainen : La plainte de Bruneau Laurette rayée
La plainte en réclamations de Rs 20 M logée par Bruneau Laurette et son fils Luca Ryan Laurette contre l'ASP Ashik Jagai de la "Special Striking Team" et la WPI Narainen de la "Major Crime Investigation Team" (MCIT) pour faute lourde alléguée a été "struck out" par la Cour suprême lundi en l'absence des hommes de loi et du représentant de l'activiste, vu qu'il est en prison. Cette plainte avait été déposée après leur arrestation le 4 novembre 2022 et la "découverte" de haschisch d'une valeur de Rs 200 millions à son domicile de Petit-Verger, St-Pierre. Les deux plaignants affirmaient avoir été privés de leur droit d'accès à leurs avocats, Me Sanjeev Teeluckdharry et Akil Bissessur. "Le 4 novembre, les services de Me Teeluckdharry avaient été retenus pour nous représenter, mais à son arrivée aux Line Barracks, on lui aurait refusé l'accès et l'ASP Jagai lui avait déconseillé d'avoir accès à ses deux clients, soutenant qu'il aurait besoin de lui pour une déposition, sans lui en fournir la nature, ni la raison du conflit d'intérêts allégué. Notre avocat s'est retrouvé dans le flou et de ce fait, nous avons été privés d'accès à un avocat de notre choix", soutenaient le père et le fils Laurette.