Apprendre à lire et écrire est indispensable pour devenir un citoyen actif de la société. Ces deux aptitudes sont essentielles pour postuler un emploi, comprendre un document administratif, une brochure, une affiche... bref, elles ouvrent les portes de l'avenir à chaque enfant de la République... c'est son droit fondamental à l'éducation. Jusqu'à quand allons-nous nous voiler la face devant cette majorité d'enfants qui quittent l'école sans savoir lire, écrire et compter ?
Depuis un quart de siècle, l'éducation patauge dans ses réformes et contre-réformes au gré du gouvernement du jour, qui balaie tout sur son passage et installe "sa" propre réforme, mettant en péril l'avenir d'enfants, d'adolescents, aujourd'hui devenus adultes, sans repères et condamnés soit à une vie médiocre soit à sombrer dans les fléaux qui gangrènent notre société. L'éducation primaire a toujours été gratuite et, malgré une compétition saine en fin de cycle pour une bourse secondaire d'État, tous les enfants en sortaient sachant lire, écrire et compter. Les parents qui le pouvaient envoyaient leur enfant au collège payant - grand ou petit - et les familles moins aisées étaient aidées par des bourses internes au mérite ou par des mécènes. Ceux qui quittaient l'école apprenaient un métier et à gagner leur vie. Le nombre d'illettrés était infime.
Tout cela changera avec la promesse faite à la veille des élections de décembre 1976. La scolarité secondaire gratuite, partie peut-être d'un bon sentiment qui prônait l'égalité des chances, a eu, au fil des années, des répercussions irrémédiables sur les enfants. Les parents, heureux de cette loterie, qui est vite devenue cadeau empoisonné, ont perdu la liberté de choisir l'école et le contrôle sur l'éducation de leur enfant. Ceux qui avait les moyens ont alors choisi l'école privée payante.
Par ailleurs, l'État, devenu commis payeur et maître tout-puissant, décidait tout sans consultation, construisait des collèges d'État et réformait à tour de bras sans tenir compte des répercussions à long terme. Les collèges privés - de différents niveaux mais offrant tous une éducation de qualité - devenus des satellites de l'État dépendant de ses fonds - perdaient peu à peu leur autonomie pédagogique et le contrôle sur leurs personnels enseignant et non-enseignant devenus fonctionnaires syndiqués soucieux de leurs droits plus que de leur vocation à former les adultes de demain.
Mais le drame se produisit au primaire où une course féroce pour un collège d'élite commença avec la tricherie pour obtenir une école primaire d'élite ; un marché de leçons particulières vit le jour avec les dérives qu'on connaît. Les quartiers défavorisés furent carrément exclus du système. Une lutte inéluctable pour le "survival of the fittest" ; résultat, plus de 50 % des enfants de la République n'ont pas un minimum de 5 crédits au SC et doivent s'arrêter sans compter ceux rejetés au PSAC et au NCE. "Et pourtant nous feignons de ne pas comprendre l'injustice éducative qui s'étale devant nos yeux et nous faisons éclater des pétards pour 49 jeunes alors que la majorité de ceux du même âge, faute de moyens, sont poussés à un destin sombre. Pour chaque lauréat, 300 ratés !", écrit Kris Valaydon dans l'express du 15 fev 2023)*
Qui sont les coupables ?
Tout le drame vient de l'école primaire où l'enfant acquiert les bases de la connaissance par l'apprentissage de la lecture et de l'écriture. "Un élève qui ne sait ni déchiffrer, ni décoder un texte ne peut pas lire et n'aura pas envie de lire." Le secondaire peut-il rattraper les retards et renforcer les apprentissages ? La lecture occupe-t-elle une place de choix dans son cursus ? Il existe bien une "library period" par semaine pour chaque classe, où l'élève emprunte deux livres (anglais et français). Des magazines sont disponibles, souligne une bibliothécaire scolaire. Mais on remarque vite les adolescents qui aiment lire par leur choix avisé de livres ; la question alors : "Qui les guide dans cet exercice ? Que fait le prof de langues ?"
La lecture procure de nombreux bienfaits pour le corps et l'esprit. Elle stimule le cerveau et l'empêche de perdre ses capacités. Elle améliore l'attention, la concentration et la capacité de mémorisation à court terme, les connaissances et enrichit le vocabulaire qui améliore ainsi la rédaction. Elle développe aussi les capacités d'analyse. Enfin, elle diminue le stress, permet la détente et amène une paix intérieure. Tout cela est beau mais il faut encore savoir lire...
Les jeunes aujourd'hui préfère des moyens demandant moins d'efforts. Le constat est général : les élèves ne lisent plus et cela impacte leur niveau de langue et leur sens critique. Des jeunes interrogés diront : "Je n'aime pas lire" ; "Je n'ai pas envie de lire. Je préfère aller sur Facebook ou WhatsApp". Ces témoignages n'expliquent pas la crise de la lecture. La lecture classique d'un texte imprimé n'est plus à la mode chez les jeunes qui préfèrent la "lecture numérique" plus facile sur ordinateur, smartphone ou tablette...
Les parents qui lisent sont un bon exemple pour leurs enfants. Comment le peuvent-ils s'ils sont eux-mêmes scotchés à leur portable ou à la télé ? En général, les parents éduqués accompagnent l'apprentissage de la lecture de leurs enfants, sachant que c'est la base même de l'éducation et de la réussite. Mais il y a bien des enfants de familles aisées qui détestent la lecture et les études... L'argent ne fait pas toujours tout.
Quid des parents illettrés ? Leurs enfants sont-ils voués à l'échec ? Pas forcément ! Un bon parent veut un avenir meilleur pour son enfant et lui donne les moyens pour se battre dans la "jungle" scolaire - discipline, encadrement, goût de l'effort et du travail bien fait. Certains apprennent même à lire avec leurs enfants et suivent leurs études de près. Mais d'autres, plongés dans une lutte pour leur propre survie, compte sur l'école pour tirer leurs enfants du gouffre.
Comment donc réduire les inégalités sociales à l'école ? Comment fournir à l'enfant les outils indispensables qui lui permettront d'espérer un avenir meilleur ? Avant d'éveiller le goût de la lecture chez l'enfant, il faut encore lui apprendre les bases : lire, écrire et compter. L'école de la République est-elle en mesure aujourd'hui de jouer ce rôle crucial pour ses enfants, pour l'économie et le pays ?
Il a 73 ans, elle en a 41 ; il écrit en français et anglais, elle écrit en kreol morisien. Ils nous parlent de la lecture, de l'écriture et des enfants...
Francesca Ducasse, enseignante de kreol morisien (KM) dans les écoles primaires catholiques. Elle écrit pour ses élèves mais aussi des poèmes, textes pour dénoncer et faire réfléchir avec humour sur les réseaux sociaux (Facebook)
Est-ce difficile d'écrire pour des enfants en 2023 ?
Pas vraiment car j'écris pour mes élèves sur les thèmes au programme. Mais les choses bougent très vite ; il faut rester à la page, choisir les bons thèmes et personnages si on veut les captiver.
On a l'impression que les enfants lisent de moins en moins. Est-ce une réalité ? Et les Mauriciens en général ?
C'est mon constat aussi. La plupart lisent juste pour les leçons et les devoirs. Il n'y a plus de lecture plaisir ; on ne donne plus, on ne reçoit plus de livres à Noël ou pour un anniversaire ; on ne lit pas le journal à la maison, etc. Cela entraîne une baisse de culture générale, un manque d'imagination et de créativité chez les enfants, chez les ados et même chez les adultes.
Quelles lectures faites-vous ?
Je lis les journaux, des articles et livres sur divers sujets comme l'écologie, la culture et l'éducation mais aussi les auteurs mauriciens et quelquefois des romans à l'eau de rose. Mais parfois la paresse prend le dessus.
Le numérique (smartphone) a-til tué le livre et la lecture ?
Dans un sens, il y a contribué parce que ses multiples facettes et gadgets sont plus attirants. Entre un smartphone et un livre, le choix est vite fait. Mais utilisé de manière intelligente, le numérique peut être un support efficace pour faire aimer la lecture. Heureusement qu'il y aura toujours des passionnés qui continueront à lire et à faire lire malgré le numérique.
L'ambition de (re)donner le goût de la lecture est-elle réalisable ?
Oui, mais pas qu'à travers l'école. Il faudrait une campagne nationale qui englobe différents partenaires de divers domaines (éducation, culture, technologie...). Il faudrait toucher les familles, les écoles par des projets communautaires. Cela parait utopique mais si l'on se donne les moyens, on peut y arriver.
Pourquoi écrire en kreol ? Comment peut-il inciter à la lecture en anglais et français ?
J'ai commencé à écrire quand je suis devenu prof. C'était comme une évidence. Dans ma langue maternelle, je me sens plus à l'aise, vivante et vraie ; pour me battre contre les injustices ou crier mes peines, mes joies et mes espoirs. Comprendre, découvrir et aimer sa langue est une ouverture sur soi, sur son identité, son passé, son présent et son futur. Cela permet de s'ouvrir aux autres langues, de les comprendre et de s'enrichir de leurs similarités et leurs différences.
Quid de "Martine" pour lequel vous êtes surtout connue ?
Martine, c'est la satire. J'adapte les titres pour critiquer la société, les faits d'actualité... Mes réalisations de Martine sont un exutoire. Je prends vraiment plaisir à les créer pour faire passer des messages avec humour. J'aimerais pouvoir faire de vrais bouquins avec des histoires.
Un message spécial ?
La lecture enrichit l'âme et l'esprit. Je dirais aux parents de lire avec leurs enfants, de créer et partager des moments de lecture en famille.
Daniel Labonne, écrivain, dramaturge et chercheur, a récemment publié deux ouvrages, un conte pour enfants, "Tipti rencontre le Père Noël" et un poème en anglais et français "L'ange de Sao Paulo". https://www.dhlabonne.com
Est-ce difficile d'écrire pour des enfants en 2023 ?
Les enfants sont hyper-sollicités en 2023. Au point de trouver peu de temps d'être simplement des enfants. La machinerie commerciale cible les enfants de plus en plus jeunes pour en faire des consommateurs. Le monde a confondu communication avec information. Communication humaine... le téléphone portable a envahi les petites mains de nos enfants. Entre les études, le jeu vital, la télévision et le portable, le livre a de la peine à s'imposer...
Dans l'imagination collective, il semble que les enfants lisent de moins en moins. Est-ce une réalité ?
D'abord, les parents doivent donner le bon exemple. Le plaisir de lire commence au berceau. Ensuite, l'école doit encourager la lecture générale, hors des études. La technologie exerce une influence puissante qui rend le gadget puis séduisant que le livre. En France, les médiathèques et l'industrie du livre veillent à ce que les enfants lisent.
Et les Mauriciens en général ?
À chaque visite à Maurice, je constate des maisons de plus en plus élégantes et spacieuses. Dans les villes et les villages. Mais combien de maisons comptent une bibliothèque ? Quel est le budget familial réservé à l'acquisition de livres de lecture ?
L'ambition de (re)donner goût à la lecture est-elle réalisable ?
Le livre reste le seul ami qui ne trompe pas. Dans un monde abrutissant, le silence de la lecture est devenu le nouvel oxygène. Le vocabulaire et l'imagination se nourrissent de la lecture. La lecture véhicule des idées. Pour résoudre les défis de demain, les enfants d'aujourd'hui doivent se défendre contre la bêtise et les mensonges. La lecture n'est pas ambition : elle est vitale.
Dans "Tipti", vous abordez quand même des thèmes complexes : l'identité, la délicate histoire mixte du pays, entre autres. Pourquoi ce choix de thèmes ?
Tipti est un enfant d'ici. L'environnement, la famille, la cour d'école et la rue sont les premiers à apprendre à l'enfant qui il est. Et ce qu'il n'est pas ! La différence ne fait jamais peur à l'enfant. Quel livre de classe enseigne à l'enfant le rôle de la canne à sucre dans l'histoire et la personnalité du Mauricien ? Tipti est un conte qui vient combler cette lacune.
En 2023, les enfants croient-ils toujours au Père Noël ?
C'est au Père Noel de croire aux enfants. Là réside le défi de l'écrivain. Puisque la société de consommation accélère la croissance de l'enfant pour en faire un client et la technologie réduit l'enfant à un numéro.
Pourquoi le choix du français et de l'anglais pour un livre bilingue, et pas le kreol, surtout que cette langue est désormais enseignée au collège ?
Mon dernier livre est "un conte pour enfants de tous les âges". L'ange de Sao Paulo est écrit en français et en anglais. C'est de la poésie agrémentée de belles images. Le contexte est brésilien et le prétexte est le football. Il faudrait ajouter "enfants de tous les pays".