L'atmosphère est pesante à Rivière-Noire. Les jours d'après à l'issue de l'arrestation par l'Independent Commission against Corruption (ICAC) de Jean Hubert Celerine, alias Franklin, et de Jean Désiré Décidé, alias Nono, pour blanchiment d'argent allégué, ressemblent étrangement à des tournures de séries Netflix sur la mafia et les cartels de drogue colombiens et mexicains. Dans l'entourage de ces deux protagonistes, c'est la loi du silence.
Il est 11 heures et Ti Mimi Grill est déjà ouvert pour accueillir ses premiers clients. Le commerce offre une variété de burgers, wraps et kebabs. Bien que les shutters soient fermés et juste la porte d'entrée ouverte, l'on indique que c'est business as usual au fast-food. Les commerces avoisinants soulignent que c'est surtout dans la soirée que le fast-food a plus de clients. "Dan la zourne, in pé trankil, shutters la habitye ferme mem sa, asoir li gayn pli boukou klian", disent-ils. Cependant, les employés sont, eux, appréhensifs et prudents quant à qui ils parlent. Impossible d'obtenir des informations sur la personne qui assure la gestion du commerce de Franklin en son absence.
"Boukou business"
D'ailleurs, jeudi, ils ont reçu la visite des officiers de l'ICAC qui ont fait une descente. Plusieurs documents ainsi que la caisse ont été saisis. Quel est son chiffre d'affaires ? À combien s'élèvent ses dépenses et ses revenus ? En fait, les enquêteurs veulent déterminer si le fast-food est utilisé pour blanchir l'argent de la drogue. Pourtant, le commerce n'a pas fermé ses portes. De même, l'on apprend que les autres commerces de Jean Hubert Celerine, notamment celui de location de voitures, seraient toujours opérationnels. Mais où se trouvent-ils ? Personne n'est en mesure de nous l'indiquer. Pourtant, Franklin est connu de tous et surtout des jeunes de la localité. "Noun tande li ena boukou business me nou pa kone ki kote. Ou bizin sey rod rode", dit un marchand de légumes non loin de Ti Mimi Grill. Car les prête-noms de Franklin, il y en aurait plusieurs.
"Zanfan sité"
Nono a, lui, été arrêté mardi par l'ICAC. Il est soupçonné d'être un proche de Franklin. Le suspect s'était rendu à Madagascar l'année dernière, avec son épouse. Il avait en sa possession Rs 600 000 en devises étrangères, dont il n'a pu expliquer la provenance. Selon les enquêteurs de l'ICAC, Nono avait l'intention d'utiliser cet argent pour acheter de la drogue dans la Grande île. Nono est un élément capital dans toute l'affaire Franklin. Condamné par contumace par un tribunal réunionnais en même temps que ce dernier, il n'avait pas donné signe de vie depuis 2021. Nono était le skipper qui aurait, selon la justice réunionnaise, transporté la drogue en plusieurs occasions entre La Réunion et Maurice, alors que Jean Hubert Celerine en était le commanditaire. Les deux ont ainsi écopé de sept ans de prison.
Jean Désiré Décidé est issu de La Gaulette, là où sa famille aurait toujours vécu. Selon nos informations, Nono ne vivrait plus à La Gaulette mais dans un luxueux bungalow à Morcellement Carlos à Tamarin. Or, tant à La Gaulette qu'à Tamarin, Nono est un personnage inconnu. Des personnes habitant Morcellement Carlos, que nous avons interrogées, disent ne pas le connaître. "Non nou pa kone kisanla sa, la famille Décidé ? Nono ? Ou sir dan Rivière-Noire mem sa", lancent quelques pécheurs sur la côte. Pourtant, Nono est officiellement un skipper. Ce refus de reconnaître ou de parler de Jean Désiré Décidé est troublant et soulève bien des interrogations.
Franklin et Nono sont connus de tous mais en même temps tout ce qui les entoure reste un mystère entier. Même au bureau de poste de Rivière-Noire, on dit ne pas savoir où habite la famille Décidé. Beaucoup de bungalows se trouvant à Morcellement Carlos sont des propriétés en location dont les locataires, eux, semblent ne pas connaître le nom des propriétaires. Un maçon à Morcellement Carlos maintient, lui, que Nono "se enn zanfan site". "Non li pena lakaz isi li. Zot pe dir enn ta zafer lor li. Mo kone moi tou letan lin rest dan site", dit-il. "Dan site parti ki kote li reste", lui demande-t-on. Après une longue pause : "Mo pa kone", répondra-t-il avant de s'en aller.