Madagascar: Commerce équitable - Un combat de longue haleine

Officiellement, Madagascar développe le commerce équitable depuis une quinzaine d'années. Selon ses promoteurs, ce type de commerce continue de progresser sur l'île mais le chemin est encore long pour l'imposer comme pratique dominante. Raison pour laquelle les organisations impliquées dans le développement du commerce équitable dans le pays parlent de combat de longue haleine.

Selon la définition communément admise au niveau international, le commerce équitable est un partenariat commercial fondé sur le dialogue, la transparence et le respect, dont l'objectif est de parvenir à une plus grande équité dans le commerce mondial. Il contribue au développement durable en offrant de meilleures conditions commerciales et en garantissant les droits des producteurs et des travailleurs marginalisés, tout particulièrement au Sud de la planète.

Les organisations du commerce équitable soutenues par les consommateurs s'engagent activement à accompagner les producteurs, à sensibiliser l'opinion et à mener campagne en faveur de changements dans les règles et pratiques du commerce international conventionnel. À savoir que cette définition, faisant l'objet de consensus, fut élaborée en 2001 par diverses organisations qui reconnaissent que la consommation responsable et la justice dans l'échange constituent les fondements du commerce équitable.

L'objectif, selon ses promoteurs, est de chercher à favoriser une nouvelle forme d'échange. Manifestement, bon nombre de pays en développement sont défavorisés dans les échanges. Et ce commerce dit équitable tend à insuffler un nouveau souffle pour ces pays en mettant l'emphase sur la justice dans l'échange, par le biais de la juste rémunération dans l'achat de leurs produits. Cette justice dans l'échange est appuyée par des mouvements d'activiste en matière de consommation que l'on nomme les consommateurs engagés. De plus aussi ce commerce met en avant la vertu du "circuit court" qui est à même de pouvoir favoriser un prix juste. Indubitablement, plus le circuit est long, moins sera le prix payé aux producteurs. Ce constat réside dans le fait que la plupart du temps les producteurs n'ont pas de relations directes avec les importateurs d'où le recours aux différents intermédiaires qui en profitent.

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Notons que dès qu'il est question de commerce équitable, il vient tout de suite à l'esprit les intervenants qui sont en général au nombre de trois, à savoir les agriculteurs et les producteurs du Sud, les acteurs en charge de la promotion du commerce équitable, notamment les sociétés importatrices, les associations d'appui et les organismes labellisateurs et, enfin, les consommateurs.

15 ans de commerce équitable à Madagascar

Le commerce équitable a été lancé de manière officielle à Madagascar en 2007 si les premières actions s'arrimant à ce mouvement ont été identifiées dès les années 1990. Mais c'est seulement en 2011 que l'arrêté ministériel stipulant sa reconnaissance a été publié. Les acheteurs étrangers occupent la première place dans le commerce équitable sur la Grande Ile. La difficulté des acteurs locaux à appréhender les idées de ce type de commerce constitue un frein à son développement local. Cette situation a été observée lors de la mise en vigueur des textes y afférents.

Actuellement, deux secteurs d'activités, à savoir l'agriculture et l'artisanat, sont surtout concernés par le commerce équitable. Les principaux clients viennent de l'Europe et de l'Amérique. En ce qui concerne le marché local, il existe une entrée encore timide des clients nationaux. Le concept commence cependant à être connu. Selon l'Association nationale du commerce équitable et solidaire de Madagascar (Ancesm), pour sensibiliser davantage la clientèle, une boutique du commerce équitable a été ouverte à Antananarivo, dans le quartier d'Ankorondrano. Tous les membres de l'Ancesm dans les régions peuvent y vendre leurs produits.

On sait en outre qu'une commission commerciale est en place pour assurer la qualité et la traçabilité des produits. La création de cette boutique, outre le site web, entre dans le domaine d'intervention de l'association qui est l'appui à la commercialisation. "Le commerce équitable et solidaire assure les débouchés des produits alimentaires naturels et biologiques des coopératives partenaires. Différents points de vente ont aussi été mis en place, dont un à Ambatolampy", a-t-on aussi expliqué avant de noter qu'il faut encore des années avant que le commerce équitable joue un rôle majeur dans l'économie.

Sur la Grande île, les organisations qui promeuvent le commerce équitable rappellent souvent que le point de départ a été la Conférence du Cnuced à Genève en 1964, qui a sorti le célèbre slogan " Traid not aid " (du commerce, pas de l'aide). Le souci, souligne-t-on, consiste à mieux insérer les producteurs défavorisés dans le commerce international et à promouvoir un développement insufflé par les mécanismes locaux. En d'autres termes, l'enjeu est de trouver des moyens de développement par les atouts des pays défavorisés, dont Madagascar, et à mieux prendre conscience que les aides ne sont pas vraiment des dispositifs adéquats pour leur faire sortir de leur état de dénuement.

Quand on parle d'aide, il est question des aides au développement dont les acteurs du commerce équitable contestent son bienfait. "On sait que les producteurs qui se sont affiliés dans les coopérations qui sont en relation avec les acteurs du commerce équitable sont bien structurés et bien plus efficaces, et arrivent à mieux vendre leurs produits à des prix qui permettent de couvrir leurs coûts de production, leur permettent de vivre dignement", soutiennent ces acteurs qui ajoutent que le "CÉ" offre une possibilité pour les producteurs démunis de s'atteler à leur propre développement par le truchement de la vente de leurs produits.

Pour l'association Tanjona, qui opère dans la région Vakinankaratra, les producteurs seront, à terme, le maitre d'œuvre de leur propre développement et pourront ainsi s'affranchir des aides extérieures qui sont d'une part le plus souvent à caractère caritatif et, d'une autre part, constituent des éléments d'assujettissement... Du côté du gouvernement, on soutient aussi que l'équitabilité dans le commerce ne peut qu'être bénéfique pour le pays. Edgard Razanfindravahy, ministre de l'Industrialisation, du Commerce et de la Consommation, lors d'une rencontre récente avec l'ambassadrice de l'Union européenne à Madagascar, Isabelle Delattre Burger, a déclaré que les autorités de la Grande île souhaitent que le commerce équitable soit une réalité, notamment dans les filières comme la vanille.

Des réseaux de coopératives et des labels

Plusieurs plateformes et différentes coopératives se sont rapprochées ces dernières années pour constituer des réseaux de commerce équitable. Mais l'initiative la plus connue est certainement le Réseau des coopératives du commerce équitable (RCCE) qui rassemble les coopératives et les acteurs du commerce équitable dans les régions Atsinanana et Analanjirofo, sur la Côte Est de Madagascar. Actuellement, près de 1 700 membres sont répartis dans cinq coopératives intervenants dans la valorisation de produits tels que les épices, le sucre complet, les fruits, les huiles essentielles et l'artisanat.

C'est en 2018 que le RCCE a été formalisé avec 5 coopératives membres : Fanohana, Mitsinjo, Kovapammina, Paaco & Union des coopératives Magneva Atsignanagna. L'année suivante, il va bénéficier du lancement du projet AgriCoop, mis en place par VSF (Agronomes & Vétérinaires Sans Frontières) et soutenu par l'Agence Française du Développement, la Scop Ethiquable et la coopération décentralisée entre les Régions Atsinanana et Normandie. En 2021, le RCCE met en ligne son site web. "Le RCCE participe largement au développement du commerce équitable de la côte Est de Madagascar. Il contribue également à la mise en relation des membres avec les partenaires publics et privés. Le réseau facilite ainsi le développement économique et l'ouverture vers de nouveaux projets de développement", soutient le réseau.

Promouvoir le commerce équitable et le savoir-faire des producteurs sur la côte orientale de Madagascar, mutualiser les compétences en termes de gestion, de gouvernance et de savoir-faire entre les coopératives et renforcer les capacités des producteurs membres grâce à la commercialisation de leurs produits équitables et biologiques sont les principales activités de ce réseau qui participe aussi aux actions sociales villageoises comme la réhabilitation ou la construction de routes, écoles, cantines scolaires, infrastructures sportives, etc...

Actuellement, le RCCE peut miser sur trois labels internationaux. Le premier est l'Agriculture Biologique Ecocert Organic Standard (EOS). Ce dernier répond aux critères européens, interdisant toute utilisation de pesticide ou d'engrais chimique de synthèse sur les produits certifiés. Ce label est un gage de qualité pour les consommateurs avec comme organisme certificateur Ecocert. Le second label est Fairtrade Labelling Organizations (FLO). Ce label, mondialement reconnu avec comme organisme certificateur Flocert, est la garantie d'un meilleur prix, de conditions de travail décentes et d'accords équitables dans les relations avec les entreprises partenaires. Aujourd'hui, ce label concerne plus de 1,7 millions d'agriculteurs et de travailleurs dans 28 pays du monde. Il y a, enfin, Symbole des Producteurs Paysans (SPP). Cette certification internationale de commerce équitable valorise les produits équitables issus de l'agriculture paysanne et a pour organisme certificateur Tero.

Artisanat

A booster via le commerce équitable

Malgré la richesse des savoir-faire et une grande diversité de l'artisanat malgache, les produits artisanaux en provenance de Madagascar sont encore peu présents dans les circuits du commerce équitable, ils sont toutefois présents dans les circuits conventionnels en Europe (marchés, boutiques). La PFCE (Plate Forme pour le Commerce Équitable), principal réseau de commerce équitable en France, a constaté la faible pénétration de l'artisanat malgache dans le commerce équitable et a souhaité en connaître les raisons.

La PFCE soutient que l'artisanat est un secteur économique prépondérant qui constitue l'un des principaux leviers du développement économique et social de Madagascar. D'où son initiative de réaliser, il y a plusieurs années, une étude sectorielle dont les trois principaux objectifs sont de fournir un état des lieux des acteurs de l'artisanat intervenant dans le commerce équitable à Madagascar, d'analyser les freins et leviers pour le développement du commerce équitable à Madagascar et d'élaborer des recommandations pour le développement du commerce équitable à Madagascar.

Grâce à ce travail, les acteurs du commerce équitable peuvent maintenant développer des actions spécifiques à Madagascar. L'étude a été conduite dans plusieurs régions de Madagascar où les principaux acteurs ont été identifiés (associations, coopératives, entreprises, ONG), de nombreux entretiens ont été menés sur l'île et en France. Les recueils et collectes d'informations ont été réalisés durant quatre mois et les restitutions ont été organisées à Madagascar et à Paris.

On estime que les transactions en commerce équitable de l'artisanat ne dépassent pas encore les 500 000 euros par an, ce qui est très faible par rapport à l'exportation de l'artisanat estimée à plus de 10 millions d'euros. Le commerce équitable de l'artisanat implique environ 3 500 artisans dans tout Madagascar dont 70% de femmes. Ce chiffre représente seulement 0,17 % de l'ensemble des artisans. Les ateliers artisanaux associés au commerce équitable se trouvent concentrés sur les régions situées au centre et à l'est de l'île. Les fibres et matières végétales, le textile et l'habillement, les corne et cuir, la soie, le bois et dérivés, le travail du métal et les matières recyclés sont les filières les plus exploitées.

Pour faire émerger l'artisanat malgache à travers le commerce équitable, la PLCE soutient qu'il est nécessaire de lever les blocages, à savoir la difficulté d'accès au marché et au financement, le manque de formation, la faiblesse du marketing, l'insuffisance de moyens (outillage, fonds de roulement), le design peu créatif et l'exploitation irrationnelle des matières premières issues des ressources naturelles.

VERBATIM

Faly Rasamimanana, opérateur économique dans les filières exportatrices

"Pour que Madagascar puisse jouer un rôle de premier plan dans le domaine du commerce équitable, une approche inclusive s'impose pour renforcer le dialogue public-privé avec la participation des bailleurs de fonds et les autres entités concernées dans l'élaboration des projets de développement des filières, entre autres. Il faut mettre en place des mesures d'accompagnement pour éviter les mauvaises pratiques culturales et environnementales. C'est ainsi, par exemple, que nous travaillons à la mise en place d'un Territoire Agricole Durable via l'application du référentiel appelé Sustainable Madagascar".

Jean Bellarmin Lava, président du Réseau des coopératives et du commerce équitable (RCCE)

" L'objectif est d'améliorer la qualité de production et améliorer les revenus des agriculteurs. Il y a aussi l'idée de transformer localement les produits agricoles afin de leur donner plus de valeur ajoutée, améliorer les conditions de vie des agriculteurs et créer de l'emploi. Différentes actions sont menées dans ce cadre comme la création d'une l'unité de transformation, de conditionnement et de stockage d'épices et de fruits, sise à Analamalotra, commune rurale d'Antetezam-baro ".

Le commerce équitable en chiffres

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