Son envie de nager lui a finalement donné le mal de mer. Une Franco-mauricienne allègue avoir été refoulée de la plage de Pointe-aux-Canonniers par un propriétaire de maison. Une réalité pour plusieurs Mauriciens qui ont réagi sur Facebook après la diffusion de l'incident. Existe-t-il des plages privées ? Qu'est-ce qui est permis et interdit ?
C'est le (dés)amour à la plage. Le week-end dernier, une Francomauricienne, qui venait de s'installer sur la plage à Pointe-aux-Canonniers avant d'aller nager, a été chassée par le propriétaire d'une maison à proximité de la mer. Selon les médias ayant diffusé la vidéo, ce dernier aurait mentionné que cette partie de la plage était la sienne et qu'elle n'avait pas le droit de s'y trouver. Ce à quoi la Franco-mauricienne a répondu en exigeant un document stipulant que la plage lui appartenait, mais en vain. Cette scène a suscité l'indignation des internautes. Plusieurs ont témoigné de refoulements similaires des plages publiques par des propriétaires immobiliers. "Certains restent figés dans l'ère coloniale et post-coloniale... ", soutient l'un deux. Des "bullies" sévissent bel et bien à l'égard de citoyens venus faire une sortie à la plage, témoigne une internaute, en particulier dans le Nord. Certains n'hésitent pas à lâcher leurs chiens sur les usagers de la plage, poursuit un autre internaute.
"Nous vivons à Pointe-auxCanonniers et allons à la plage souvent. Il y a une dizaine de jours, nous avons vécu une même situation avec un propriétaire de bungalow qui pratique la pêche régulièrement. Au début, il nous a dit que nous n'avions pas le droit de nous trouver là. Quand je me suis mise à l'eau avec mes enfants, il nous a dit que nous effrayons les poissons. En d'autres mots, il voulait dire que nous étions là pour le déranger", confie une mère de famille. Malheureusement, les propos désobligeants furent suivis d'autres gestes. Elle dit que le propriétaire a commencé à jeter du sable sur leurs affaires, clamant qu'il avait le droit de les incommoder à son tour. C'était alors la goutte d'eau qui a fait déborder le vase, comme dans le cas de la Francomauricienne.
Existe-t-il des plages privées à Maurice ? Les autorités répondent par la négative. Lindsay Morvan, directeur de la Tourism Authority (TA), confirme l'existence de deux catégories. D'abord, les plages publiques gérées par la Beach Authority pour l'entretien et les paramètres de sécurité. Puis, d'autres qui ne tombent pas sous cette égide, c'est-à-dire des plages situées devant des campements ou d'autres lieux qui ne sont pas entretenus par les autorités. Qu'est-ce qui est permis ou interdit sur les plages ? "Normalement, à dix mètres du watermark, le public peut accéder à la mer sans problème. Selon les procédures, il est autorisé de circuler mais pas de pique-niquer sur ces plages car c'est un droit de passage", déclare-t-il. Au niveau de la TA, le contrôle est exercé au niveau de ceux ayant des permis d'opérer dans les lagons et sur les plages publiques ou celles devant les hôtels, à l'exemple des marchands de plage et plaisanciers, entre autres.
En général, poursuit Lindsay Morvan, un propriétaire de campement n'a pas le droit d'empêcher quelqu'un de circuler sur le sable. Que se passe-t-il en cas de refoulement d'une plage ? Une plainte à la police s'impose, explique Lindsay Morvan, et une autre au ministère des Terres et du logement car cette instance alloue le bail et possède une copie du contrat du propriétaire de campement qui connaît les limites qu'il doit respecter. "Hélas, certains abusent de la situation. D'ailleurs, de plus en plus d'hôtels sont plus compréhensifs et agissent pour ne pas avoir de problèmes au niveau des accès. Par contre, certains propriétaires ont fait des excès et bloqué l'accès en installant des murs. C'est déplorable. À propos de la vidéo de la Franco-mauricienne, c'est inconcevable et inacceptable. Que ce soit une plage publique ou autre, une plainte peut être déposée", confie le directeur de la TA.
Sur le plan légal, Krish Valaydon, avocat, affirme que deux lois sont à considérer dans ce cas. Mais principalement, il y a le Code civil, notamment l'article 538 qui stipule : "Les chemins, routes et rues à la charge de la nation, les fleuves et rivières navigables ou flottables, les rivages, lais et relais de la mer, les ports, les havres, les rades et généralement toutes les portions du territoire national qui ne sont pas susceptibles d'être une propriété privée, sont considérés comme des dépendances du domaine public." Parallèlement, il cite l'article 4 de la législation relative au Pas Géométrique Act, qui dit la même chose sur les annexes aux pas géométriques qui est inaliénable et où l'on peut marcher à marée basse. "C'est un arrêté fait en 1807 par le général Decaen sous l'administration française, à des fins de défense contre l'armée britannique, approuvée en 1895 sous le nom actuel de Pas Géométriques Act 2. Cette loi est toujours applicable et définit la partie qui peut éventuellement être louée, être donnée à bail à un individu par l'État mais qui reste toujours du domaine public et ne peut pas être vendue. C'est un bien inaliénable. Mais le gouvernement peut louer un segment à un individu ou une société, et celui qui détient un bail a tous les droits sur cette portion de terrain qu'il loue au le gouvernement", explique-t-il.
Sans entrer dans un débat technique, indique-t-il, nous pouvons nous restreindre à la définition de la plage qui est accessible au public et qui se trouve dans le Code civil. Il y a déjà eu divers jugements sur la question dont le cas de l'Ocean Blue Company Ltd et son bail sur l'îlot Gabriel où le juge a bien fait ressortir qu'aucune partie de ladite plage, low-water et high-water mark, n'a été louée au défendeur, conformément à son contrat avec l'État. Cette partie de la plage qui se trouve donc entre les low-water and high-water marks n'appartient pas au bailleur et elle est donc libre d'accès au public.
Que prévoit la loi si un individu chasse un autre de la plage ? Puisque la liberté de mouvement et de circulation dans des lieux publics est un droit fondamental, quelqu'un qui interdirait cette liberté à un autre individu commet un délit d'obstruction, déclare l'homme de loi. Comme susmentionné, le locataire du bail détient les droits sur la portion du Pas Géométrique qu'il a reçue de l'État avec un certain nombre de conditions rattachées. Quant aux constructions et aménagements qu'il peut y faire, cette partie n'est pas accessible au public. Mais la portion de la plage entre les deux niveaux de la mer précités n'appartient pas au locataire du bail, conclut-il.
En chiffres :
126 plages publiques à Maurice Selon le site de la Beach Authority, 126 plages sont décrétées publiques à Maurice. Pour le nord, on en compte 36 ; le sud, 42 ; l'ouest, 28 et l'est, 20. À Rodrigues, on en compte une douzaine.