Tunisie: Abbès Mohsen, expert et président honoraire de l'Amicale des gouverneurs - "Le développement régional nécessite une action plus directe de l'Etat"

19 Février 2023

Pour l'expert et président honoraire de l'Amicale des gouverneurs, Abbès Mohsen, les défis de développement régional sont tributaires de cette équation complexe qui implique une plus grande présence de l'Etat dans les zones intérieures sans hypothéquer, en contrepartie, la santé des comptes publics.

Intervenant lors de la session d'ouverture de la rencontre-débat, organisée vendredi 17 février à Tunis, par le Forum de l'Académie politique en partenariat avec l'organisation allemande, Konrad Adenauer Stiftung, sur le thème "Investissement public et développement régional : rôle de l'Etat", l'expert et président honoraire de l'Amicale des gouverneurs, Abbès Mohsen, a dressé un état des lieux de l'évolution des politiques de développement régional en Tunisie depuis l'Indépendance.

Les trois âges du développement régional

Il a affirmé, en somme, que la situation, selon laquelle les régions côtières seraient plus développées que les zones intérieures, n'est pas systématique, même si elle est répandue dans plusieurs pays du monde. "Cela est vrai pour tout le Maghreb, les pays de la rive sud, une grande partie de l'Amérique du Nord et pour certains pays d'Asie. Mais cette situation n'est pas systématique. La Bretagne en France, bien que littorale, a été longtemps une région sous-développée, ainsi que la Basilicate, la région napolitaine en Italie, et l'île de Sicile en Italie. En sens inverse, les régions intérieures de l'Allemagne ne souffrent pas de retard. Il en va ainsi, pour la Bavière, la Westphalie, qui sont des zones favorisées, développées, prospères, de même d'ailleurs que, la Lombardie en Italie ", a-t-il précisé, dans ce contexte. Il a ajouté, en ce sens, que le développement ou la pauvreté tiennent moins à la situation marine ou non qu'à l'hospitalité ou l'hostilité de la nature.

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Pour Mohsen, trois époques majeures ont marqué les politiques de développement en Tunisie. La première période s'est étalée de 1960 aux débuts des années 1970 et a été marquée par une forte volonté de développement initiée et réalisée par la puissance publique. L'intervenant souligne, à cet égard, que ce "premier âge", s'est caractérisé par un fort investissement public. Evoquant les exemples de l'usine de cellulose à Kasserine, mais aussi les zones industrielles de Menzel Bourguiba, Sfax, Bizerte, Gabès... , Mohsen a expliqué que le support théorique, qui a sous-tendu cette politique de développement, était la création de pôles de développement et d'industries dites "industrialisantes". "Cette politique fut abandonnée après avoir ruiné les comptes publics", fait-il savoir.

Parfois, contre le libéralisme !

La deuxième époque, ou comme l'a appelé Mohsen le deuxième âge des politiques de développement en Tunisie, a commencé avec le quatrième plan de développement 1972-1976. Les pouvoirs publics ont, alors, changé de cap en réduisant le rôle de l'Etat dans l'investissement direct et en encourageant l'initiative privée. "Des lois furent adoptées pour encourager les industries manufacturières qui sont généralement de tailles plus modestes que les grosses industries des années 60 ainsi que les industries destinées à l'exportation, en même temps que l'industrie nationale était protégée par la règle de la compensation", a-t-il indiqué. Pour Mohsen, le "troisième âge" de développement régional a coïncidé avec la mondialisation de l'économie et l'association de la Tunisie avec l'Union européenne en juillet 1995 et a été marqué par l'aggravation des déséquilibres des zones intérieures. Il a ajouté que le développement des zones intérieures commande une action plus directe de l'Etat qui sera, certes, en contradiction avec des théories prévalentes du libéralisme. Selon l'intervenant, il s'agit de démarche coûteuse, voire ruineuse. "Comme l'a montré l'Italie lors des transferts des unités de production automobile Alfa Romeo, dans une zone considérée jusque-là comme marginalisée et que cette marque célèbre d'automobile n'a pas survécu et fut absorbée par son plus grand concurrent", a-t-il précisé.

Il a, par ailleurs, souligné que "la difficulté de la responsabilité politique résidera, donc, dans les prochaines années, à définir le rôle de l'Etat vers une plus grande présence dans ces zones sans hypothéquer la santé des comptes publics. C'est une équation bien complexe à laquelle nous sommes appelés à réfléchir".

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