Ile Maurice: Bénéfices des conglomérats - Entre étonnement et incompréhension

22 Février 2023

Faut-il s'étonner des résultats financiers des principaux conglomérats du pays présentés ces derniers jours aux autorités boursières et, par ricochet, à leurs actionnaires ?

Le commun des mortels dira certainement "oui", alors que les spécialistes et autres experts financiers tentent de comprendre la rationalité derrière des bénéfices exceptionnels engrangés. Cela, dans un environnement macro-économique toujours marqué par l'incertitude à l'échelle mondiale qui découle de la crise du Covid et de l'inflation provenant de l'impact de la guerre russo-ukrainienne.

Qu'il s'agisse des groupes Ciel, IBL, ENL ou autres liés à ces conglomérats, ce qui saute aux yeux, c'est le niveau de profitabilité. Qu'ils renouent avec la profitabilité après presque deux ans de pertes est une chose et tant mieux pour ce rebond technique. Mais qu'ils doublent ou triplent leurs bénéfices dans certains cas peut interpeller, allant jusqu'à susciter des interrogations, voire des réflexions. Sans doute, il ne faut pas voir dans cette démarche d'autre arrière-pensée que celle de comprendre et décrypter la performance des entreprises classées parmi les meilleures du pays, selon le Top 100 Companies.

C'est le cas du groupe Ciel, qui a doublé ses bénéfices nets pour le premier semestre clos au 31 décembre 2022, soit Rs 2 milliards, ce qui, du coup, lui permet d'être le groupe le plus profitable comparé aux autres durant cette période financière. Avec un chiffre d'affaires de Rs 18 milliards, deux pôles d'activités ont principalement boosté ses bénéfices : l'hôtellerie et le textile, particulièrement ses opérations en Inde, qui ont contribué à plus de 59 % à ses revenus. Mais il y a mieux, selon l'analyse dressée par la direction du groupe, indiquant que le chiffre d'affaires du pôle hôtelier durant ce semestre a augmenté de plus de 100 % pour atteindre Rs 4,1 milliards. De plus, la forte demande et les gains en efficacité opérationnelle continuent de profiter à ce pôle restructuré, qui lui permet d'améliorer ses marges.

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Avec un bénéfice après impôts s'élevant à Rs 701 millions, le pôle a ainsi multiplié par six ses résultats financiers par rapport au premier semestre pré-Covid, qui affichait un bénéfice de Rs 99 millions au 31décembre 2019. Du coup, la direction estime que sur la base de cette bonne performance financière semestrielle, le pôle s'est remis, nous dit-on, des séquelles de la pandémie et se trouve sur la voie d'un solide redressement. Ce qui fait dire à son CEO, Jean-Pierre Dalais, qui doit passer le relais à Guillaume Dalais, cette année, que "le groupe récolte les fruits de sa stratégie à long terme et se veut en bonne voie pour améliorer sensiblement ses résultats cette année". Tout en bénéficiant, dit-il, de sa solide implantation dans des zones géographiques en fort développement.

Pour l'analyste financier Imrith Ramtohul, la bonne performance des principaux conglomérats est à mettre au compte de leurs opérations hôtelières. Ce qui est totalement compréhensible, vu que les frontières du pays n'ont été rouvertes qu'en octobre 2021. "Il faut comprendre que, contrairement à 2020 et 2021, il n'y a pas eu de confinements l'année dernière. En conséquence, tous les segments d'activités ont opéré normalement. Ce qui a dû certainement impacter leur chiffre d'affaires, voire leur profitabilité."

Plus spécifiquement, il précise que les bénéfices provenant du secteur hospitalité ont contribué jusqu'à 33 % des bénéfices nets du groupe.

Performance pré-covid

Autre performance distinguée, celle du groupe ENL qui a vu ses bénéfices nets augmenter de 180 % pour la même période. De Rs 336 millions en décembre 2021, les profits après impôts ont grimpé à Rs 947 millions ; et, comme le groupe Ciel, le pôle hôtelier aura été la locomotive de cette performance, réalisant à lui seul Rs 689 millions, soit 73 % de la totalité des profits engrangés par le groupe. "Fort de l'amélioration continue de son efficience et de son attractivité, le pôle hôtelier d'ENL a tiré parti de la reprise du tourisme après la pandémie. Nous avons atteint, voire dépassé, notre niveau de performance d'avant la pandémie de Covid", souligne le CEO du groupe, Hector Espitalier-Noël. Il soutient que la rigueur couplée à la discipline dans la conduite des affaires du groupe porte déjà ses fruits. Sans pour autant réduire l'apport du segment commerce et industrie d'ENL qui a amélioré son chiffre d'affaires de 30 % au cours des six premiers mois de l'exercice financier et a quasiment doublé son profit comparé à la même période en 2021, Axess et Decathlon ayant été les principaux porteurs de cette performance, selon l'analyse des experts du groupe.

La même tendance est observée chez le conglomérat IBL, qui joue à fond la carte de la régionalisation, avec le récent deal en Afrique de l'Est, où il a racheté 40 % des actions de Naivas International (Mauritius) Ltd, nouvelle société détenant 100 % des actions de Naivas Ltd, une chaîne de supermarchés leader au Kenya. IBL souhaite s'ouvrir sur l'Afrique de l'Est pour y devenir un nouveau relais de croissance. Avec des revenus de Rs 27 milliards réalisés pour les six mois clos au 31 décembre 2022, contre Rs 16,5 milliards pour la même période en décembre 2021, le pôle du commerce et de la grande distribution y a contribué à hauteur de 61 %. Idem pour les profits après impôts de Rs 995 millions engrangés par le même pôle et représentant 50 % des profits opérationnels, alors que celui de l'hôtellerie y a contribué à hauteur de 34 % (Rs 679 millions).

Il va sans dire que Winners/Brand Activr propulse le cluster commerce/grande distribution d'IBL, y apportant près de 61 % des revenus semestriels à l'issue de ces résultats financiers et plus de 80 % des profits opérationnels. La direction du groupe espère que le nouvel hypermarché Winners à Tribeca, de 7 000 pieds carrés, opérationnel à la fin de l'année dernière, influera positivement sur les résultats du troisième trimestre et accessoirement sur l'ensemble de l'année financière 2022-23. Tout compte fait, le pôle hôtelier et accessoirement le commerce ont principalement aidé à doper les bénéfices semestriels des principaux conglomérats du pays à l'issue de cette reporting season.

Cependant, si l'économiste Eric Ng estime que ces résultats financiers reflètent la croissance de 7,8 % l'année dernière avec la reprise de l'exportation, il soutient que le prochain semestre risque d'être difficile pour les entreprises. Cela, en raison des effets de la crise inflationniste qui risquent de perdurer ainsi que le coût de l'endettement des corporates qui sera appelé à prendre l'ascenseur avec la tendance haussière des taux d'intérêt. D'ailleurs, le groupe IBL prévoit que cette problématique des taux d'intérêt impactera ses prochains résultats financiers et que les risques d'autres augmentations avec la hausse du key rate ne peuvent aucunement être occultés.

Pour autant, John Chung, managing partner chez KPMG, estime que le phénomène de "revenge tourism" est susceptible de prolonger la performance de l'industrie touristique et que, de l'avis des experts, les effets économiques du Covid n'ont pas été aussi longs et profonds.

Autres facteurs

Mais au-delà des facteurs conjoncturels, force est de constater que la bonne performance du segment hôtelier est à mettre au compte d'un taux de change favorable avec une roupie largement dépréciée depuis décembre 2019, soit avant l'explosion de la pandémie. "Le dollar et l'euro se sont appréciés de 20 % et 15 % respectivement sur les trois dernières années. Ce qui peut expliquer dans une certaine mesure la hausse du chiffre d'affaires, voire de la profitabilité de ce secteur", analyse Imrith Ramtohul. Sameer Sharma, banquier exerçant aux États-Unis, ajoute ironiquement que "large corporate profits bloated by a currency which is killing others is not a fair system".

Faut-il voir dans les bénéfices engrangés par ces conglomérats la main invisible de la Mauritius Investment Corporation ? Celle-ci a accordé des dizaines de milliards de roupies de prêts, assortis au début à des taux fixes, à des groupes hôteliers qui devraient bénéficier de la hausse des taux d'intérêt avec l'augmentation du key repo rate. Celui-ci a augmenté à cinq reprises en 2022, passant de 2 % à 4,5 %, alors qu'en décembre 2019, il était de 3,5 %.

Quoi qu'il en soit, l'avenir nous dira si ces bénéfices pourront tenir l'épreuve du temps avec les risques d'une nouvelle récession qui se profilent.

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