Burkina Faso: Jacques Prosper Bazié - L'intellectuel qui nous manque tant

Le 30 décembre 2014 s'éteignait l'écrivain burkinabè Jacques Prosper Bazié, à l'âge de 59 ans. Presque une décennie après la disparition de cet illustre intellectuel qui se hissait au-dessus des camps, le Burkina traverse une crise sécuritaire qui remet en cause son existence. Devant l'éclipse de certains intellectuels et politiques qui se sont disqualifiés par leur attitude partisane, la voix de cet homme aurait pu fédérer autour de l'idée de nation. Il faut regretter qu'il ne soit plus là.

Il y a toujours eu en Afrique et au Burkina Faso en particulier, deux types d'intellectuels. Il y a d'un côté, ceux qui, sous le prétexte de l'authenticité et de la défense de la culture africaine, se font le porte-parole de leur communauté ; ils sont les plus nombreux. D'un autre côté, il y a une minorité qui s'affranchit du corset communautariste pour porter un projet qui excède le clan et la tribu pour embrasser la nation, le continent ou le monde. Pendant longtemps, au Burkina, on a écouté les premiers avant de se rendre compte qu'ils ferment l'horizon et bouchent l'avenir car ils élargissent les lignes de fractures au lieu de les combler.

L'insécurité et notre incapacité à en venir à bout depuis sept ans a profondément affecté le vivre-ensemble avec pour corollaire le repli identitaire, la stigmatisation communautaire, la violence surtout la disqualification des intellectuels et des leaders d'opinion traditionnels au profit d'une espèce de mercenaires du numérique qui manipulent l'opinion et se vendent au plus offrant. Il s'agit de petites frappes, de courtisanes et de prosélytes de l'islam politique.

Pourquoi Jacques Prosper Bazié aurait été d'un grand secours en ces moments troubles ? Il était un écrivain pluridisciplinaire, poète, romancier, essayiste et dramaturge. Mais, il était surtout un intellectuel curieux de toutes les cultures du Burkina et amoureux de l'histoire nationale. Sa bibliographie est un bouquet fait des fleurs de toutes les cultures nationales et une cartographie amoureuse des localités du pays. En effet, à partir des titres de ses ouvrages, on se balade aux quatre coins du Burkina. La dérive des Bozos, titre inspiré par une pirogue de pêcheurs sous le pont du fleuve Mouhoun, Agonies de Gorom-Gorom, (dernière grande cité du Sahel) Crachin de Rissiam (Rissiam est un village perché sur les collines à quelques encablures de Kongoussi), l'Epave d'Absouya (dans le Plateau central), Croquis de Panguin (quartier du Moogh Naaba).

Gourounsi ayant grandi à Koulouba, à côté de Zangooetin, un quartier cosmopolite de la capitale où cohabitaient les Bambara du Mali, les Zarma du Niger, les Yorouba du Nigeria avec toutes les communautés du pays, il s'est intéressé à l'histoire de l'Afrique et à celle de son pays. Dans Amoro, le Muruti de Noumoundara il évoque la communauté des Tiéfo et chante la résistance de Tiéfo Amoro face à Samory Touré. D'abord, à travers une pièce de théâtre, ensuite un récit et avant sa mort, il écrivait un scénario en vue de réaliser un film sur la résistance de Noumoundara. Ce décentrement par rapport à l'ethnie, ce tropisme pour les faits historiques qui peuvent construire un récit national lui donnait une autorité pour parler à nos concitoyens. Face aux fleurs de la jeunesse qui tombent au combat, il aurait trouvé les mots pour nous remettre debout. N'écrivait-il pas dans Amoro que les nations sont supérieures à leurs malheurs dont elles se relèvent en puisant aux sources toniques de leur personnalité ".

Son ouvrage ultime est un essai sur Nazi Boni, premier romancier burkinabè et grand homme politique décédé précocement. A lire Nazi Boni, le Moïse du Bwamu paru en 2014, on comprend qu'il y a dans cette entreprise, l'envie de rendre justice à un homme politique que l'on a accusé d'avoir voulu la partition du pays mais qui fut en réalité un partisan du fédéralisme et du panafricanisme. A l'heure où certains rêvent d'une fédération avec le Mali et la Guinée, il aurait bien pu leur parler de l'histoire du fédéralisme au Burkina de 1940 à 1960 et comment cela échoua à cause des feudataires du Mogho, de l'Eglise et surtout de l'inconstance de Maurice Yaméogo. Comme quoi l'histoire se répète toujours deux fois, la première fois comme tragédie et la seconde comme farce. Comme le suggérait Karl Marx.

Jacques Prosper Bazié, c'était avant tout une langue riche, un vocabulaire foisonnant et un humour fin. Dans un pays où la nuance n'existe presque plus, où l'esprit peine à se déployer parce que les mots qui constituent ses ailes se sont raréfiées de sorte qu'il ne reste plus que les cris de haine et les borborygmes de la rue partisane, Jacques Prosper Bazié aurait pu leur dire que la maitrise de la langue et une grande culture sont essentielles à la réflexion, que le mot doit être plus vaste que la chose, que l'encre du savant est autant nécessaire que le sang des martyrs pour triompher du terrorisme .

Un poète est un homme de paix, écrivait Pablo Neruda. Jacques Prosper Bazié était avant tout un immense poète comme le soulignait dans un hommage, l'écrivain et critique d'art Sid-Lamine Salouka. Et un poète contribue à attirer la colombe de la paix sur le toit de sa case grâce aux roucoulements des mots qu'il sème dans sa demeure.

S'il arrivait un jour qu'un djinn demande à un Burkinabè de formuler trois vœux pour son pays, il serait bien inspiré de demander le retour de Jacques Prosper Bazié parmi les siens.

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