Exhumés en mai 2015 pour des besoins d'enquêtes judiciaires, les restes du président Thomas Sankara et de ses 12 compagnons d'infortune, tous assassinés le 15 octobre 1987 à la faveur du coup d'Etat qui porta Blaise Compaoré au pouvoir, seront inhumés aujourd'hui 23 février 2023. Des obsèques censées permettre à l'icône de la Révolution d'août 1983 et à ses fidèles compagnons, de trouver le repos éternel et à leurs familles respectives, de faire dignement le deuil de leurs morts.
Ce d'autant que leur exhumation a permis au procès de connaître des avancées significatives pour aboutir au verdict que l'on sait : la condamnation, par contumace à la prison à vie de l'ancien président Blaise Compaoré exilé en Côte d'Ivoire depuis l'insurrection populaire d'octobre 2014. La même peine a été prononcée à l'encontre de son ancien chef de la sécurité, Hyacinthe Kafando, en fuite, et le Général Gilbert Diendéré qui était son chef de la sécurité rapprochée au moment des faits et qui était présent au procès.
L'entente est loin d'être parfaite entre les familles des victimes et les autorités de la transition
Si ce verdict a été globalement accueilli comme un soulagement pour les familles des victimes, elles n'attendaient pas moins de pouvoir faire dignement le deuil de leurs disparus aujourd'hui portés en martyrs par tout une Nation engagée à leur rendre un hommage appuyé. C'est ce qui justifie sans doute le fait que le gouvernement de la transition s'est mis au-devant des choses pour organiser les obsèques des illustres disparus qui, du cimetière de Dagnoën où ils avaient été enterrés nuitamment et à la sauvette 36 ans plus tôt, seront portés à la lumière et conduits à leur dernière demeure au Mémorial Thomas Sankara, au sein du Conseil de l'Entente. Un nom dont la seule évocation fait enrager les parents de certaines victimes.
Pour eux, ce n'est pas le lieu indiqué pour être la dernière demeure de leurs proches qui y ont été assassinés. Est de ceux-là, la famille de Thomas Sankara qui l'a fait publiquement savoir et a même récemment lancé un appel solennel au chef de l'Etat, le Capitaine Ibrahim Traoré, à user de ses prérogatives pour " faire suspendre cette réinhumation au Conseil de l'Entente ", sous peine de se désolidariser de l'événement. Et elle n'est pas seule puisque d'autres voix discordantes de familles de victimes, se sont élevées pour exprimer d'autres frustrations.
C'est le cas de la famille de Paulin Bamouni qui semble aller de consternation en consternation, en n'ayant pas la possibilité d'apporter une petite touche intime à cette cérémonie à haute portée affective et symbolique, à défaut d'obtenir les restes de leur proche pour organiser ses funérailles selon leurs traditions respectives. C'est dire si au sujet de ces obsèques des martyrs du 15 octobre 1987, l'entente est loin d'être parfaite entre les familles des victimes et les autorités de la transition. Et cela est bien dommage.
En l'absence des familles des victimes, c'est une cérémonie qui aura un goût d'inachevé
D'autant qu'en cette période charnière de son histoire où le peuple burkinabè cherche à se réconcilier avec lui-même, ce sont des obsèques qui devraient réunir plutôt que de diviser. Et l'on est d'autant plus fondé à le croire qu'à l'analyse, que ce soit le gouvernement ou les familles des victimes, personne n'est opposé à cet hommage national aux illustres disparus. Mais tout porte à croire que les incompréhensions portent plutôt sur des détails qui ont évidemment toute leur importance, mais qui ne paraissent pas insurmontables pour peu que les uns et les autres se donnent le temps et les moyens d'une concertation approfondie.
A moins qu'il n'y ait des non-dits où d'autres explications qui font de la cérémonie de ce 23 février, un impératif, on ne voit pas ce qui empêchait le gouvernement et les familles des victimes d'accorder leurs violons pour accomplir les rites de l'ensevelissement des restes des suppliciés du 15 octobre, dans une symphonie achevée. Toujours est-il qu'en l'absence des familles des victimes, c'est une cérémonie qui aura un goût d'inachevé.
Thomas Sankara ne mérite pas ça ! Surtout pas au moment où l'histoire est en train de le réhabiliter au-delà des frontières de son propre pays. Et, si de son vivant, il s'est toujours battu pour le bonheur de son peuple dans la cohésion sociale, ce n'est certainement pas dans la mort qu'il serait heureux de le voir divisé. En tout état de cause, il ne reste plus qu'à souhaiter que Dieu, dans son infinie miséricorde, accorde à nos martyrs le repos éternel au-delà des mésententes entre les humains.