Dakar abrite, du 28 février au 2 mars, le " Grand rendez-vous 2023 pour la prévention de l'extrémisme violent (Pev) en Afrique de l'Ouest et du centre ". Cette conférence est organisée par le Bureau des Nations unies pour l'Afrique de l'Ouest et le Sahel, le Centre des Hautes études de défense et de sécurité du Sénégal et la Suisse. Dans cet entretien, l'ambassadeur de Suisse au Sénégal, Andrea Semadeni, en mesure les enjeux et produit, plus globalement, une réflexion sur l'extrémisme violent.
Le " Grand Rendez-vous 2023 pour la prévention de l'extrémisme violent (Pev) en Afrique de l'Ouest et centrale " se tient du 28 février au 2 mars 2023 à Dakar. Quelles sont vos attentes ?
Cette conférence est organisée conjointement entre le Bureau des Nations unies pour l'Afrique de l'Ouest et le Sahel (Unowas), le Centre des Hautes études de défense et de sécurité (Cheds) du Sénégal et la Suisse. Sept ans après le lancement du Plan d'action du Secrétaire général des Nations unies pour la prévention de l'extrémisme violent, la violence armée en Afrique de l'Ouest, au Sahel et en Afrique centrale n'a pas diminué, et la situation est même devenue plus complexe.
Face à cette réalité, les initiateurs de cette conférence ont pour objectif principal de renforcer la voie de la prévention comme alternative porteuse de changements durables, en agissant sur les causes profondes de la violence. L'idée est de faire un état des lieux des efforts de prévention dans la région, en partageant les expériences, les bonnes et moins bonnes pratiques. Cette plateforme permettra d'identifier les besoins et de faire des recommandations aux décideurs.
Nous attendons la participation de plus d'une centaine de personnalités de haut niveau, en provenance d'une vingtaine de pays de la région et des principales organisations régionales.
Pour la Suisse, cette initiative s'inscrit dans notre engagement international en faveur de la paix et de la sécurité et dans les priorités que mon pays s'est données en rejoignant en début d'année, et pour deux ans, le Conseil de Sécurité des Nations unies. Ces priorités sont la construction de la paix, la protection de la population civile dans les conflits armés, ou encore la sécurité climatique. Notre aspiration est d'être " un plus pour la paix " auprès de nos partenaires.
Pourquoi le choix de Dakar ?
Le choix de Dakar est paru évident pour les initiateurs, et ceci pour plusieurs raisons. D'abord, parce que le Sénégal a montré un engagement fort au niveau international dans ce domaine, notamment lors de sa présidence de l'Union africaine. Il est un acteur incontournable aujourd'hui dans la région pour porter le message de paix, de prévention de la violence et des conflits. De plus, la Suisse entretient un partenariat de longue date sur ces questions avec le Cheds, une structure rattachée à la Présidence de la République. Depuis 2017, nous coorganisons à Dakar un cycle de séminaires régionaux sur le rôle des Forces de défense et de sécurité dans la prévention de la violence.
Et n'oublions pas que les Nations unies ont installé à Dakar l'un de leurs deux bureaux régionaux sur le continent africain, l'Unowas. Ce dernier est d'ailleurs un partenaire important pour la Suisse depuis de longues années, et le sera particulièrement pendant ces deux années au Conseil de Sécurité.
La Suisse a adopté en 2016 un Plan d'action de politique étrangère pour la prévention de l'extrémisme violent, et lancé la même année le programme Pev que mène la Division Paix et Droits de l'homme du Dfae. Pouvez-vous nous faire le bilan de ces initiatives et celles de vos partenaires ?
Aujourd'hui, le constat de plus en plus partagé est que les nombreux efforts fournis dans les réponses militaires et sécuritaires face à l'extrémisme violent et aux conflits n'ont pas pu apporter de réponse durable. Alors que l'action préventive, elle, aborde les causes profondes, et vise à modifier les conditions d'ordre politique, social, économique et culturel qui favorisent l'apparition et le développement de cette violence. L'engagement de la Suisse auprès de ses partenaires, en particulier sur le continent africain, depuis 2016, vise précisément à encourager des politiques de prévention.
De nombreuses rencontres ont eu lieu dans toute l'Afrique de l'Ouest et du Centre, proposant des espaces d'échange et de dialogue sur l'approche de prévention. Elles ont rassemblé plus de 2000 personnalités d'horizons professionnels divers, et des tables rondes publiques qui ont eu lieu à New York, Genève et Dakar.
Cette dynamique a permis d'enrichir mutuellement les politiques publiques et les pratiques. Par exemple, pour le Cheds, le partenariat a permis, conformément au concept de défense et de sécurité du Sénégal, d'oeuvrer à l'implication effective des Forces de défense et de sécurité dans la prévention de l'extrémisme violent.
Sept ans après le lancement du Plan d'action du Secrétaire général des Nations unies pour la prévention de l'extrémisme violent, la violence armée persiste en Afrique de l'Ouest, au Sahel et en Afrique centrale. Quelles en sont les raisons ?
C'est justement une des questions principales que nous allons débattre pendant ces trois jours. La prévention, c'est accepter que la violence naît au sein de nos sociétés, qu'il faut comprendre pourquoi et agir sur ce pourquoi. Les pays de la région traversent aujourd'hui des crises multidimensionnelles. Les changements climatiques aggravent davantage la situation des populations locales. Les États ont du mal à assurer une couverture suffisante des services sociaux de base ; ce qui peut engendrer des frustrations et un sentiment d'exclusion.
Les aspirations et revendications légitimes des populations, en particulier de la jeunesse, doivent trouver les espaces politiques pour s'exprimer pacifiquement. Il faut donc travailler à des sociétés inclusives, en cultivant la tolérance, le respect de la diversité et les principes de l'état de droit et multiplier les opportunités économiques.
La question de la gouvernance en Afrique est-elle assez prise en compte dans l'analyse de l'extrémisme violent ?
Cette thématique fera également partie intégrante des débats. C'est pourquoi la Suisse continue à soutenir de manière constructive les efforts de réforme des États, dans différentes parties du monde, mais aussi en Afrique de l'Ouest et au Sahel. La Suisse y est, en effet, présente depuis des décennies à travers ses différents outils de politique étrangère : politique bilatérale, coopération au développement et aide humanitaire, politique de paix, coopération économique. Nous y avons cinq ambassades et autant de bureaux de coopération. Elle travaille sur des questions essentielles comme la décentralisation, le renforcement des institutions, la paix ou encore la formation professionnelle.
Par ailleurs, pour approfondir et consolider son engagement pour la paix, la Suisse s'est dotée depuis le mois de novembre dernier d'une envoyée spéciale pour le Sahel.
Pour revenir sur le point spécifique de la gouvernance, nous pensons que l'État de droit, le respect de la Constitution et la démocratie sont des piliers essentiels de la paix, la stabilité et le développement des pays. Au-delà de son engagement auprès de certains États, la Suisse soutient aussi la région dans ses efforts, notamment auprès de l'Union africaine ou de l'Unowas.
Les acteurs communautaires sont-ils assez impliqués dans la lutte contre ce fléau ?
Tous les acteurs doivent être impliqués. C'est pourquoi la Suisse travaille également en étroite collaboration avec la société civile et les communautés. L'accent est mis sur les femmes et les jeunes. Ils ne sont pas seulement victimes ou auteurs de l'extrémisme violent. Ils sont des partenaires importants dans la prévention.
Pour ma part, j'ai eu l'occasion d'accompagner le Cheds à Kédougou, en décembre dernier, pour des travaux avec les Forces de défense et de sécurité. Nous y avons visité une mine artisanale et avons largement échangé avec les acteurs locaux. Il en est ressorti l'importance de veiller à une approche de dialogue pour établir des réponses intégrées et inclusives.
Quel lien peut-on établir entre la violence et la pauvreté ?
Il n'y a pas de lien direct entre la violence et la pauvreté. Il y a plusieurs facteurs qui poussent à la violence dont notamment l'exclusion qui peut être économique, sociale ou politique, le manque d'opportunités, la négligence, le manque d'accès aux services sociaux de base et parfois aussi des facteurs religieux. Face à la violence extrême, il ne s'agit pas d'assurer la sécurité, mais de construire au sein des sociétés une sécurité humaine répondant aux besoins d'appartenance et de paix.
Afin de prendre en compte la globalité de la problématique et pouvoir apporter une réponse la plus adéquate possible, la Suisse travaille sur ce triptyque : " promotion de la paix, coopération au développement et aide humanitaire ".
Les réponses sont-elles adaptées au contexte africain et à l'évolution des " promoteurs " de l'extrémisme violent ?
Les problèmes sont avant tout locaux, même si des dimensions transversales, voire globales, s'invitent également au débat. De ce fait, les solutions sont avant tout endogènes et doivent être spécifiques aux réalités des populations et aux différents contextes. Et pour bien comprendre les problèmes et trouver des réponses adaptées, il faut le dialogue. C'est là notre modeste contribution auprès de nos partenaires de la région. Nous les encourageons et les accompagnons dans cette voie du dialogue. C'est en effet une conviction bien helvétique, qu'il y a toujours des solutions pour ceux qui veulent écouter et se parler. L'engagement en faveur de la prévention de l'extrémisme violent est l'une des composantes des relations variées et étroites entre la Suisse et le Sénégal et avec les pays de la région. Notre souhait est d'être un partenaire solidaire pour soutenir les États africains face à ces défis. À part les défis, nous voyons évidemment aussi plein d'opportunités, des aspects positifs et innovateurs et " l'Afrique des solutions ".