Afrique: Présidentielle au Nigeria - Le plus dur reste à faire

Lagos, Nigeria ( photo d'archive).
26 Février 2023
analyse

Les Nigérians ont été appelés aux urnes, le 25 février dernier, pour choisir le successeur de Muhammadu Buhari qui achève son deuxième et dernier mandat à la tête du pays le plus peuplé du continent et grand comme trois fois et demie le Burkina Faso. C'est une élection présidentielle aux enjeux multiples, qui risque de connaître, pour la première fois depuis le retour du Nigéria à la vie démocratique en 1999, un second tour à l'issue du dépouillement des bulletins par les agents électoraux qui travaillent d'arrache-pied dans les 176 606 bureaux de vote, pour rendre les résultats disponibles avant la fin de cette semaine.

Dix-huit candidats étaient sur la ligne de départ, mais c'est, en réalité, un duel qui se profile à l'horizon, entre le candidat du parti au pouvoir, Bola Tinubu, un Yorouba du Sud et de confession musulmane, et le richissime homme d'affaires à la réputation sulfureuse et éternel candidat à la présidence de la République, Atiku Abubacar, lui aussi musulman mais originaire du Nord du pays.

Mais cette année, l'affiche est pour le moins atypique, puisqu'en plus de ces deux routards de la politique, il y a un troisième candidat qui fait figure de challenger ou d'outsider : Peter Obi, qui a joué à fond la carte de l'homme du peuple et porte-voix d'une jeunesse déçue et désillusionnée par les politiciens de carrière qui n'ont pas pu jusqu'ici endiguer le chômage qui touche particulièrement cette frange importante de la population, avec un taux record de 20%.

On espère qu'on n'ira pas au-delà de la saga judiciaire post-électorale dont le pays est familier

Il est difficile de dire a priori qui des trois va remplacer le très austère et lymphatique Muhammadu Buhari, mais il n'y a pas de doute que le vainqueur héritera d'un pays avec une myriade de problèmes, quand on sait que l'économie nigériane est aujourd'hui en berne et que le Nord et le Centre du pays sont ravagés par des bandes criminelles et autres djihadistes irréductibles, qu'il connait une agitation séparatiste dans le Sud-Est, sans oublier le fait qu'il pointe parmi les Etats les plus corrompus au monde, avec une inflation galopante et un appauvrissement généralisé de la population.

Autant de défis à relever, qui pourraient faire dire que le plus dur reste à venir pour celui qui sera élu à la tête de ce gigantesque pays qui demeure, malgré tout, une locomotive économique et militaire pour cette région tourmentée d'Afrique de l'Ouest. Pour réussir sa mission, le futur président devra forcément être consensuel ; ce qui n'est malheureusement pas gagné d'avance quand on sait que dès hier, des candidats ont demandé l'annulation du scrutin, l'introduction, pour la première fois, de la biométrie dans les opérations de vote n'ayant pas pu dissiper les craintes de truquage et de fraudes massives qui ont souvent entaché la crédibilité des résultats électoraux au Nigéria. On espère qu'on n'ira pas au-delà de la saga judiciaire post-électorale dont le pays est familier, et qu'on n'assistera pas aux violences meurtrières qui avaient fait des dizaines de morts lors des précédents scrutins.

L'enjeu peut tuer le jeu démocratique en cristallisant toutes les passions

Toutefois, le potentiel inflammable reste bien réel dans ce pays, et même si les différents candidats ont promis de respecter le verdict des urnes, il ne faut pas totalement écarter le risque d'embrasement après la proclamation des résultats, au regard des tensions perceptibles dans plusieurs régions et autour de certains bureaux de vote. Si la contestation des résultats fait partie de l'ADN des hommes politiques au Nigéria, elle peut rapidement déboucher sur des débordements sanglants, surtout si le suspense est gardé plusieurs jours après les votes. Malheureusement, on semble s'acheminer vers ce scénario ; des milliers d'électeurs ayant continué à voter encore hier dimanche, dans des circonscriptions où des bureaux de vote n'ont pas pu ouvrir à temps ou pas du tout samedi, jour du scrutin, en raison des problèmes techniques et logistiques, si ce n'est tout simplement à cause de la pluie diluvienne qui est tombée dans la région de Lagos, notamment.

En tout état de cause, il appartient aux candidats en lice d'appeler leurs militants au calme, même s'il faut reconnaitre qu'avec le choix concomitant d'un président de la République et de 469 représentants parlementaires, l'enjeu peut tuer le jeu démocratique en cristallisant toutes les passions et toutes les attentions des 93, 5 millions d'électeurs potentiels. En vieux briscards de l'arène politique, Atiku Abubacar, Bola Tinubu et le troisième larron, Peter Obi, savent que leurs propos, faits et gestes, sont actuellement scrutés à la loupe et pas seulement par leurs compatriotes, d'autant qu'une instabilité ou un désordre politique au Nigéria, aura fatalement des répercussions sur d'autres pays, notamment ceux de la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest), dont il est le leader incontesté sur tous les plans. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle toutes les capitales de la sous-région suivent de près le déroulement de ces élections générales.

Beaucoup d'Africains du Sahel en l'occurrence, rêvent de voir le Nigéria retrouver la plénitude de ses moyens économiques et militaires à travers cette présidentielle afin que ce géant de l'Afrique de l'Ouest les aide, pourquoi pas, à sortir du bourbier dans lequel presque tous sont pris au piège, avec la prolifération des groupes terroristes dans leur espace. Le rêve est permis, même s'il faut se rendre à l'évidence que le contexte n'est plus le même, et que les Nigérians doivent eux-mêmes se débarrasser de la vermine avant d'aller à la rescousse des autres, connaissant très bien l'adage de nos grands-parents de l'Afrique ancestrale, selon lequel " charité bien ordonnée commence par soi-même ".

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