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DÉCLARATION N°4 du 25 février 2023
Rapport d'audit du Fonds de riposte et de solidarité covid-19, gestion 2020 : des Organisations de la société civile dénoncent la complaisance de l'Assemblée nationale à l'égard du gouvernement et demandent au chef de l'État de prendre ses responsabilités constitutionnelles
1. Le mardi 21 février 2023 s'est tenue à l'Assemblée nationale du Togo, une curieuse session extraordinaire au cours de laquelle une quinzaine de ministres ont tenté d'expliquer et de justifier les dépenses effectuées dans leurs domaines respectifs, suite au rapport d'audit du Fonds de riposte et de solidarité covid-19 (FRSC), gestion 2020 publié par la Cour des comptes. Camouflée derrière un prétexte tiré de l'examen des projets de loi restés en instance avant l'intersession, notamment un projet de loi sur le nucléaire qui n'a finalement pas été débattu, elle n'a eu que pour réel objectif de faire avaliser, par les " élus du peuple ", les énormes irrégularités constatées par la Cour des comptes dans son rapport, afin de faire ranger ce dernier dans les placards et de cristalliser l'impunité des présumés auteurs.
2. Car, à la lecture des textes, on s'aperçoit aisément qu'en fait de contrôle de l'action du gouvernement par l'Assemblée nationale, il n'en était véritablement pas un, et d'ailleurs, le discours d'ouverture très laudatif de la présidente de l'Assemblée nationale en disait long, qui a salué " l'ingéniosité, l'engagement, le sens de responsabilité, le respect et la protection de la vie humaine et particulièrement la vie du citoyen togolais, le sens de l'anticipation dont a fait preuve le gouvernement pendant la période de crise sous la houlette d'un Grand Leader, Son Excellence Monsieur Faure Essozimna Gnassingbé, Président de la République, qui sait agir non seulement en temps de paix mais également en tant de crise ".
3. En effet, la Constitution donne à l'Assemblée nationale non seulement le pouvoir de voter des lois, mais aussi celui de contrôler l'action du gouvernement. Ce contrôle s'exerce à travers les instruments mis à la disposition des députés par la Constitution et le règlement intérieur à savoir la communication du gouvernement, les questions orales et écrites, les questions d'actualité, les interpellations, la constitution de commission d'enquête et de contrôle, la question de confiance, la motion de censure, le contrôle budgétaire et le rôle d'information des commissions.
4. L'article 116 du règlement intérieur de l'Assemblé nationale qui définit les conditions et modalités d'inscription à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, reprend les dispositions de l'article 96 de la Constitution du 14 octobre 1992 qui énoncent que " les membres du gouvernement ont accès à l'Assemblée nationale et à ses commissions. Ils peuvent être entendus sur leur demande. Ils sont également entendus sur interpellation par l'Assemblée nationale et sur des questions écrites ou orales qui leur sont adressées. Leurs déclarations peuvent faire l'objet d'un débat ". Mais si le gouvernement peut être entendu sur sa demande, cette démarche doit se faire dans le strict respect des textes régissant l'organisation et le fonctionnement de l'Assemblée nationale, seul organe qui devrait incarner la souveraineté du peuple.
5. L'article 82 de la Constitution togolaise du 14 octobre 1992, repris dans son entièreté par l'article 95 du règlement intérieur de l'Assemblée nationale affirme le principe que " L'Assemblée nationale a la maîtrise de son ordre du jour. Elle en informe le Gouvernement. L'inscription, par priorité, à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, d'un projet ou d'une proposition de loi ou d'une déclaration de politique générale, est de droit si le Gouvernement en fait la demande ". On voit bien que cette disposition qui déroge au principe de la maîtrise de son ordre du jour par l'Assemblée nationale, et qui permet au gouvernement de forcer quelque peu l'agenda de la Représentation nationale, exclut elle les communications du gouvernement et les questions d'actualités.
6. En outre, l'article 88 du règlement intérieur de l'Assemblé nationale consacre le recours de droit à la procédure d'urgence en cas de discussion législative, concernant seulement les projets de loi, les propositions de loi et les propositions de résolution, en ces termes : " La discussion immédiate d'un projet de loi, d'une proposition de loi ou d'une proposition de résolution est de droit lorsqu'elle est demandée par la commission saisie au fond " ; ce qui exclut également de cette procédure d'urgence les communications du gouvernement.
7. Enfin, l'article 55 de la Constitution du 14 octobre 1992 conclut que " L'Assemblée nationale se réunit de plein droit en deux sessions ordinaires par an. La première session s'ouvre le premier mardi de mars. La seconde session s'ouvre le premier mardi de septembre. Chacune des sessions dure quatre mois. L'Assemblée nationale est convoquée en session extraordinaire par son président, sur un ordre du jour déterminé, à la demande du Président de la République ou de la majorité absolue des députés. Les députés se séparent aussitôt l'ordre du jour épuisé ".
8. À défaut de la réunion de l'une des conditions posées à l'article 55 susvisé, l'on est en droit de se demander par quelle alchimie cette session extraordinaire a pu exister et quelle était l'urgence de son ordre du jour ? Où était d'ailleurs l'urgence dans la mesure où dans son communiqué rendu public le jeudi, 9 février 2023, le gouvernement togolais s'était déjà réjoui de ce que ce rapport considérait que les dépenses relatives aux mesures barrières, de riposte ou sanitaires étaient conformes, régulières et sincères, et avait précipitamment fait connaître à l'opinion nationale et internationale qu'il en prenait acte.
S'agit-il enfin d'une supercherie du gouvernement consistant à prendre de court l'Assemblée nationale, à profiter des vacances parlementaires, et donc de l'absence de certains députés, pour se soustraire des contraintes des procédures de questions orales, écrites et des interpellations prévues aux articles 117, 123, 125 et suivants du règlement intérieur de l'Assemblée nationale ?
9. En tout état de cause, si cette curiosité togolaise laisse libre cours à maintes interrogations, nos Organisations déplorent, dénoncent et condamnent cette connivence, cette largesse et cette complaisance de la Représentation nationale à l'égard de l'Exécutif dont elle a pour mission constitutionnelle de contrôler les actions et d'en limiter les abus.
10. Sauf à adopter une loi d'amnistie, l'Assemblée nationale n'a nullement compétence à innocenter et décharger des personnes mises en cause par une institution autonome, à vocation juridictionnelle, composée de juristes de haut niveau, des inspecteurs de finances, du trésor et des Impôts, des économistes-gestionnaires et des experts comptables.
11. Cette complicité de la Représentation nationale, et particulièrement de son bureau, est constitutive d'une légèreté blâmable et périlleuse pour la démocratie, le peuple, ses droits et ses libertés. Elle appelle inévitablement à une sanction populaire le moment venu. Notre Assemblée nationale aura mieux fait d'apprendre, en la matière, de son homologue sénégalaise qui s'est abstenue de toute forme d'ingérence, alors que le procureur de la République de Dakar a pris ses responsabilités pour poursuivre les mis en cause dans le rapport sur la gestion des fonds de riposte contre Covid-19.
12. Il est donc inacceptable, voire intolérable, que le gouvernement procède, avec la complicité de l'Assemblée nationale, à de telles manoeuvres destinées à noyauter le rapport de la Cour des comptes et à lui priver des suites judiciaires qui lui devraient normalement réservées ; c'est un complot malsain sur le dos du peuple. Est-il le lieu de rappeler que des pauvres citoyennes et citoyens ont été durement réprimés, parfois jusqu'à ce que mort s'en suive, lors des dérapages et abus policiers observés pendant confinement de COVID-19, alors qu'ils étaient à la recherche du mieux vivre, pendant que les dirigeants se sucraient allègrement sur leur dos.
13. Nos Organisations rappellent avec insistance les dispositions de l'article 107 de la Constitution togolaise du 14 octobre 1992, suivant lesquelles " La Cour des Comptes et les Cours régionales des comptes jugent les comptes des comptables publics. Elles assurent la vérification des comptes et de la gestion des établissements publics et des entreprises publiques. Les Cours régionales des comptes sont chargées d'assurer, dans leur ressort territorial, le contrôle des comptes et la gestion des collectivités territoriales et leurs établissements publics. La Cour des Comptes et les Cours régionales des comptes exercent les fonctions juridictionnelles en matière de discipline budgétaire et financière des ordonnateurs et des ordonnateurs délégués, des responsables de programmes, des contrôleurs financiers, des organes de gestion des marchés publics et des comptables publics. Elles sanctionnent, le cas échéant, les manquements aux règles qui régissent lesdites opérations ".
14. Cette attitude du pouvoir central recèle donc un précédent dangereux dans la mesure où, le moment venu et en plein processus de décentralisation, le même sort sera réservé, par les instances exécutives des collectivités locales, aux rapports des Cours régionales des comptes.
15. Partant du triste constat que certains membres du gouvernement sont impliqués dans les faits de détournements des fonds de riposte et de solidarité covid-19, gestion 2020 ; considérant que toute l'équipe gouvernementale a solidairement avalisé ces malversations ; et vu que l'Assemblée nationale a failli à sa mission constitutionnelle de contrôle, en dernier ressort, de l'action du gouvernement, nos Organisations interpellent une fois encore le chef de l'État, qui a prêté serment " de ne se laisser guider que par l'intérêt général et le respect des droits de la personne humaine, de consacrer toutes ses forces à la promotion du développement, du bien commun, [...] de se conduire en tout, en fidèle et loyal serviteur du peuple ", sur la nécessité de prendre ses responsabilités constitutionnelles pour faire restituer au peuple ce qui lui est dû.
16. Nos Organisations interpellent également les partenaires en développement, notamment le Groupe des Cinq (05) Représentations diplomatiques accréditées au Togo, la Banque Mondiale, la Banque Africaine de Développement (BAD), les institutions de Bretton Woods, la Banque d'investissement et de développement de la Cedeao, à maintenir leurs pressions sur le pouvoir togolais, afin que toute la lumière soit faite sur ces malversations restées toujours impunies, et devenues récurrentes sur le dos des pauvres contribuables.
Pour les Organisations,
Le Président de l'ASVITTO,