Cameroun: Insécurité - Les usagers terrifiés par les agressions dans les taxis

27 Février 2023

Ils sont nombreux à avoir essuyé des revers ces derniers jours dans plusieurs quartiers de la ville de Yaoundé. Certains craignent désormais pour leur vie à bord de ces voitures jaunes.

Faire le signe de croix avant de s'installer dans l'habitacle d'un taxi. C'est à ce rituel devenu automatique que s'adonne désormais Margueritte Noah. La femme d'affaire dit confier son trajet au Seigneur tous les matins. " Ma fille s'est faite agresser dans un taxi en plein jour vers le quartier Omnisports. Je vous assure en plein jour. Mon neveu n'a pas échappé au mois de novembre dernier ". Placée à l'arrêt taxi sis au Rond-point Nlongkak mercredi dernier, Jeanne Ngo Nlend semble ne pas être pressée. Avec les yeux qui pétillent de fatigue suite à une longue journée, elle stoppe le taxi depuis plusieurs semaines avec le coeur. Il y a quelques jours, son téléphone et son portefeuille ont disparu dans un taxi.

Les victimes augmentent

Si nos deux interlocutrices se sont montrées disertes, le visage de Doriane parle pour elle. Gérante d'une alimentation au quartier Messassi, elle a failli perdre la vie alors qu'elle rentrait d'une visite chez un membre de sa famille au quartier Essos. Elle a eu le malheur d'emprunter l'un de ces taxis " peu communs ".

Les yeux rouges, cette jeune dame a pris les collyres et des antibiotiques pour calmer ses douleurs. " Le gars-là m'a eue. J'ai emprunté le taxi d'Essos pour Messassi. A un niveau, il a changé de voie. C'était vers 22 heures. J'ai senti qu'on était en danger. J'étais avec une petite cousine. J'ai dit au taximan que je veux me mettre à l'aise. Je suis sortie et j'ai commencé à courir avec ma petite cousine. Il m'a rattrapée et m'a battue avant de prendre ce que j'avais ", explique-t-elle avec la voix terne. Le dimanche 14 janvier 2023, c'est un jeune taximan qui échappait à la vindicte populaire au carrefour Messassi. On avait saisi un pistolet automatique dans la voiture avant de le conduire à la Brigade de Nkolondom.

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On se souvient que l'année dernière, c'est Christelle, aujourd'hui étudiante en France, qui usait d'un subterfuge pour semer ses ravisseurs à Bastos. Elle avait dû abandonner sur les lieux, un pied de sa ballerine avant de prendre la poudre d'escampette. Des scènes comme celles-ci, on en compte de plus en plus dans la ville de Yaoundé. Si les moto-taximen détenaient le record des agressions jusqu'ici selon certains habitants, certains taximen véreux semblent prendre le relais. " Il n'y a plus d'heure pour se faire agresser dans les taxis. Ils utilisent des stratégies. Ils vous coincent à l'arrière ou surcharge devant pour vous soutirer ", souligne Nadège Onana. Selon Jean Collins Ndefossokeng, président du syndicat national des employés du secteur des transports terrestres, les agressions dans les taxis ne sont pas nouvelles. Elles datent d'au moins 20 ans aujourd'hui. Il y a de quoi frémir. " On avait d'ailleurs proposé de le juguler. Mais, on ne pouvait pas le faire sans l'implication de l'Etat qui en réalité est responsable de la sécurité de la nation. Nous avions proposé que seul celui qui détient un badge d'identification, conçu dans le syndicat de son choix, puisse exercer ", explique le président du syndicat national.

Absence de badge d'indentification

C'est un élément à scruter de près car plusieurs taxis dans la capitale politique n'ont pas de badge d'identification. Parfois celui accroché au niveau du rétroviseur interne, ne porte pas la photo du chauffeur au volant. " En fait, les chauffeurs titulaires donnent souvent l'aide à d'autres chauffeurs pour une durée précise. Très souvent, ce sont les chauffeurs d'aide qui agressent mettant le titulaire en difficulté. Les femmes sont parfois dans le coup ", explique un chauffeur de taxi. " Les agresseurs dans le taxi profitent de ce qu'ils ne sont pas identifiables. Quelqu'un quitte Douala à 6h, arrive à Yaoundé à 11h ; et à 13h, il est au volant d'un taxi. Le taxi est réservé aux résidents de la ville. A une époque, les taximen se connaissaient tous. Voilà la faille ! ", relève Jean Collins Ndefossokeng. Aujourd'hui dans l'habitacle d'un taxi, les clients se surveillent mutuellement pour être prêts à réagir à toute surprise. " C'est normal. Avant de stopper le taxi, je m'arrange à mettre mes téléphones dans mon sac puis je le ferme hermétiquement. Je m'arrange toujours à tenir entre mes mains, mon billet ou mes pièces. Même les femmes dans les taxis peuvent vous jouer des coups ", explique Alphonse Ngoue.

Taxi - course comme solution ?

Cette situation a facilité le développement du business de la location des véhicules. Certaines startups ont une bonne part de marché dans la ville de Yaoundé. Certains ne jurent que par "Yango" ou en prenant des taxis en dépôt. " Quand je vais à Mokolo, j'appelle un voisin taximan pour les courses. C'est une question de sécurité. Avec les vols qu'on a parfois dans les taxis, je préfère gérer mes achats et livraisons en taxi course ", indique Saviatou, vendeuse de pagnes de luxe. Ceux qui n'ont pas les moyens de casser la tire-lire sont contraints de serrer dans les taxis en surveillant leurs mouvements à chaque trajet. " Je ne peux pas prendre les dépôts. Je n'ai déjà pas d'argent ; et en plus, il y a des embouteillages à chaque coin de la ville. Il faut juste être prudent et ne pas s'endormir dans le taxi ou prendre un aliment ou boisson d'un inconnu dans le taxi. C'est un risque à éviter ", conseille Manuella Ngosso, cadre dans une microfinance.

Pour conduire un taxi, le chauffeur devrait avoir les pièces nécessaires. Au-delà de ces documents, il faudra avoir un badge pour être identifiable par les passagers. A regarder de près, certains n'en ont pas. D'autres ont des véhicules ne portant pas de plaques d'immatriculation encore moins de numéro attribué au niveau de la mairie. " A partir du moment où il y aura un fichier central, chaque taximan aura un seul numéro. Si à ce moment nous constatons qu'un taximan travaille sans badge, chaque taximan doit être en mesure de l'interpeller et de le faire prendre. Malheureusement, nous en sommes encore loin. Il faut absolument des badges d'identification. Ces badges doivent être produits exclusivement par les syndicats ", martèle Jean Collins Ndefossokeng, président du syndicat national des employés du secteur des transports terrestres.

Faire son signe de croix

Les usagers restent méfiants à chaque fois. Même au niveau des organisations syndicales, on est conscient de l'ampleur du phénomène car l'impact sur l'activité est non négligeable. " Cette méfiance fait que, nous perdions des clients. La meilleure clientèle vient de l'extérieur. C'est une meilleure clientèle que les taximen perdent à cause de la mauvaise publicité. Lorsqu'un client quitte Paris, il demande à son ami de venir le chercher avec sa voiture. On ne peut pas transporter les gens dans les hôtels, à l'aéroport ou dans les agences de transport de haut standing parce qu'on se dit qu'il y a l'insécurité. Si on s'était battu pour réduire cette insécurité, on aurait un marché intéressant ", déplore le président. Et d'ajouter : " L'insécurité a un incident négatif sur les conditions des taximen honnêtes. C'est malheureusement des bandits qui s'infiltrent et sèment cette frayeur. Pour le moment, nous invitons les clients à être vigilants et de se confier à leur instinct. On aurait dû dire : n'empruntez un taxi que s'il y a un badge. Ce n'est pas encore opérationnel malheureusement. Il faut juste faire son signe de croix lorsqu'on emprunte un taxi ".

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