Congo-Brazzaville: Théâtre - « Le retour des fantômes » exhume le récit troublant des sept dépouilles de Wamba

La pièce musicale multimédia du Group50 : 50 remet en surface l'histoire des squelettes emportés en Suisse, en 1952, par le médecin en chef de l'hôpital colonial, Boris Adé, abordant la question de leur possible retour avec les Mbuti, peuple de la province du Haut-Uele dont ces restes humains sont originaires.

Jouée deux soirées de suite, les 17 et 18 février, au Mont des arts, la tragédie musicale a été rendue sur scène par sept acteurs. Chacun pendu à son instrument, sauf Christiana Tabaro appuyée sur sa canne. Ruth Kemna a son alto maintenu au creux de son cou, Kojack Kossakamwe et Elia Rediger portaient leurs guitares en bandoulière, Merveil Mukadi tenait bien sa basse, Franck Moka ne lâchait pas sa boîte à rythme et Huguette Tolinga faisait retentir allègrement ses percussions. La musique adoucit d'une certaine façon tout le tragique de la pièce. Le sujet est sérieux, émeut, révolte par moments, provoque et ouvre un nouveau champ sur la question de la restitution.

Un retour aux sources a été nécessaire pour traiter au mieux du sujet. Les artistes en expédition à Wamba ont exploré la terre où, du temps de la colonisation, ont été désacralisées les tombes des sept pygmées. Christiana Tabaro a exposé le prétexte évoqué pour justifier ce geste injuste  : « Les gens se sont souvenus que Boris Adé avait dit qu'il emportait les squelettes pour trouver un remède à la lèpre ». Force est de constater cependant que « cette maladie continue à les décimer jusqu'à aujourd'hui ».

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Plusieurs univers culturels et musicaux se mélangent dans « Le retour des fantômes». Entre discours, dialogues et récits personnels où se mêlent performances et chants, émotions et questionnements mis en lien se collent au thème. Là s'élève une question, peut-on se permettre de parler restitution sans penser à faire réparation ? Christiana Tabaro parle d'un ton grave qui traduit tout le tragique de l'histoire racontée à travers ses dialogues fréquents avec des interlocuteurs que des vidéos permettent à l'assistance de connaître.

Elle devient alors le témoin de ces échanges de Wamba ramenés jusqu'à eux sans filtre. Il en est de même des rituels exécutés pour les funérailles auxquels elle assiste silencieuse comme invitée à en décrypter un tant soit peu le sens. Les échappées lyriques des guitaristes entrant en dialogue, Kojack et Elia chantant "Restituer", survoltent l'ambiance, maintiennent les spectateurs accrochés à la scène, tendent même à leur faire oublier le drame sur lequel est construite l'histoire que Christiana sait habilement ramener à leur esprit.

Danse finale, le bémol

La musique est empreinte de nostalgie quand elle n'est pas emballante, la rumba fait son effet, la salle réagit un peu trop bruyamment aux sonorités produites par la guitare de Kojack interprétant "Testament". La nostalgie, elle, se décline à travers plusieurs cultures, les requiem chrétiens, les igbi des Mbuti la traduisent assez bien. Les chants collectifs des acteurs sur scène aussi rajoutent son piquant à l'atmosphère générale, malgré tout le voyage musical fait en sorte de relier le passé douloureux au présent.

Les complaintes des autorités de la contrée, les avis des villageois évoquant la construction d'un mémorial, les vestiges coloniaux, les réalités actuelles comme l'accès interdit à la forêt par les Bantu coupables de la terrible déforestation entrent dans la trame du propos. Le petit bémol, qui est intervenu tout à la fin, c'était "Danse finale". L'évocation de l'esprit de Dorine sur scène a choqué plus d'un à chaque soirée. L'hommage rendu au danseur disparu en janvier 2021, tel que réalisé, est paru telle une invocation et jugée malvenue.

« Le retour des fantômes», dont la version anglaise est «The Ghosts are returning», est un projet conjoint de Podium Esslingen et du collectif Group50 :50, composé d'artistes de la République démocratique du Congo, de la Suisse et d'Allemagne. A travers cette création musicale, ils racontent une histoire de l'époque coloniale qui les relie. Elle ouvre un champ sur la restitution des ossements des Mbuti gardés à l'Université de Genève devenus la propriété de celle de Lubumbashi. Reste à savoir ce qu'il en adviendra après restitution ...

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