Ile Maurice: Liberté sous caution - Ces incroyables conditions imposées à Bruneau Laurette

26 Février 2023

C'est du jamais-vu. C'est même choquant, affirment d'aucuns... Les conditions rattachées à la libération conditionnelle de Bruneau Laurette ont été largement commentées durant la semaine écoulée. Pourquoi cette "sévérité" ? Retour sur la polémique.

Avant que la représentante du bureau du Directeur des poursuites publiques (DPP) ne dépose son avis d'appel, la magistrate Jade Ngan Chai King avait accordé la liberté conditionnelle à Bruneau Laurette. Mais les conditions imposées sont des plus sévères, du "jamais-vu" même, selon des observateurs.

Pour rappel, hormis le paiement de cautions totalisant plus de 2 millions, Bruneau Laurette a l'obligation d'avoir une adresse fixe et de communiquer celle-ci à la police, de se signaler à la police deux fois par jour entre 6 heures et 11 heures et 15 heures et 19 heures, de respecter un couvre-feu entre 20 heures et 5 heures du matin au quotidien, d'informer la police de ses activités quotidiennes... Il devra également remettre un téléphone à la police pour permettre à celle-ci d'y installer un système GPS ; et il devra avoir le téléphone sur lui où qu'il aille et être à la disposition de la police à n'importe quelle heure. L'activiste n'a pas non plus droit aux appels internationaux et ne peut s'approcher des plages à plus de 500 mètres...

Pour Sanjeev Teeluckdharry, avocat, rien que deux cautions d'un million chacun, c'est beaucoup. Vraiment beaucoup... Il fait le parallèle avec la saisie record, en 2017, de 135 kg d'héroïne, valant Rs 2 milliards, retrouvées dans des compresseurs, dans l'affaire Navind Kistnah. "Seules deux cautions de Rs 200 000 avaient été exigées dans le cas d'un des suspects, soit l'Indien Sidi Thomas. Alors que pour Bruneau Laurette, la valeur marchande de la drogue présumément saisie est de Rs 200 millions."

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En outre, fait valoir l'homme de loi, la "qualité" des "preuves" dans l'affaire Laurette n'a rien à voir avec celles retrouvées dans le cas de l'Indien. Car, dès le départ, il y a eu des soupçons de "planting" par la police contre l'activiste, qui a pris position contre le gouvernement et l'ASP Jagai à de nombreuses occasions. Au sujet des Rs 50 millions de reconnaissance de dettes, Me Teeluckdharry explique qu'en cas de non-respect des conditions de libération, ce n'est pas ce montant que devrait payer Bruneau Laurette mais cela sera converti en amende. Aux États-Unis, fait-il ressortir, la Constitution stipule que la caution d'une personne ne doit pas être excessive.

Pour ce qui est du système GPS, Me Sanjeev Teeluckdharry est d'avis qu'il s'agit là d'une condition raisonnable. "Je ne pense pas qu'il s'agisse d'une atteinte à la vie privée de la personne." Qu'en est-il de l'interdiction de se rapprocher des plages dans un rayon de 500 mètres ? "C'est compréhensible aussi. Un de mes clients était capitaine de bateau et on avait retrouvé deux cadavres dans le frigo dudit bateau. Il avait dû faire face à cette condition pour sa libération conditionnelle car il pouvait prendre la mer et s'enfuir beaucoup plus facilement qu'une personne lambda."

Mais aucun cadavre ou squelette n'a été retrouvé dans le placard de Laurette que l'on sache... "C'est surtout pour des personnes qui connaissaient la mer..." Rappelons que Bruneau Laurette, avec ses connaissances en sécurité maritime, s'était d'ailleurs fait connaître du grand public lors de l'épisode du Wakashio, en montant au front pour mettre en lumière des zones d'ombre.

Un autre avocat, que nous avons contacté, se dit lui aussi "choqué" par les conditions sévères attachées à la libération de Bruneau Laurette. Il a cité plusieurs exemples, dont le cas de Bernard Maigrot plus récemment, accusé de meurtre, qui a pu se rendre à l'étranger l'année dernière rien qu'en "offrant" deux cautions de Rs 200 000, avec comme seule condition qu'il retourne son passeport après son voyage.

Décisions du DPP: "Get figir pou fer apel" ?

Ses partisans étaient sonnés... À peine la magistrate avait-elle décidé d'accorder la liberté conditionnelle à l'activiste que la représentante du bureau du DPP émettait un avis d'appel, réexpédiant Laurette en détention. Pourtant, dans d'autres cas, certains s'en sont tirés à bon compte...

L'activiste Bruneau Laurette reste en détention car le bureau du Directeur des poursuites publiques (DPP) a donné avis d'appel pour contester sa liberté provisoire. En contraste, Vishal Shibchurn, récidiviste notoire, et son fils Mayur ont été libérés le 14 février car le DPP ne compte pas faire appel. Ces disparités soulèvent bien des questions quant aux raisons qui motivent le bureau du DPP de faire appel ou pas.

S'agit-il de "get figir pou fer apel", comme le dénoncent des internautes sur les réseaux sociaux depuis des jours ? Il en ressort qu'il n'y a pas de formule exacte quant à la décision du bureau du DPP. Et les affaires sont traitées au cas par cas, en se basant sur le ruling du tribunal.

Des rulings où l'on voit des suspects retrouver la liberté conditionnelle, il y en a toutes les semaines. Mais le bureau du DPP ne fait pas appel de la décision du tribunal, de première instance, dans tous les cas. On serait tenté de dire que la gravité du délit ainsi que le profil de celui détenu sont des facteurs clés à prendre en considération avant d'accorder la liberté provisoire à un suspect.

Pourtant, Vishal et Mayur Shibchurn (NdlR, le père était déjà en liberté conditionnelle pour un autre délit quand il avait été arrêté pour possession de drogue en novembre dernier) ont été libérés par la Bail and Remand Court, la semaine dernière. La représentante du DPP, Me Mary Donna Chung Kow Choeng, a donné avis d'appel au moment du ruling mais devait par la suite faire savoir qu'elle ne fera pas appel. Ce même scénario se reproduira-t-il demain au tribunal de Moka pour l'activiste Bruneau Laurette ? Difficile à dire, car les appels du DPP sont imprévisibles.

Le "ruling", la clé

La représentante du bureau du DPP, Manjula Boojharut, a aussi donné avis d'appel mardi dernier. Demain, elle devra signifier son intention et loger les grounds of appeal si le bureau du DPP compte objecter à la libération provisoire de Bruneau Laurette. En effet, donner avis d'appel est l'étape "by default" des représentants du DPP pour s'assurer que le suspect ne soit pas relâché, le temps qu'ils étudient le ruling du magistrat en profondeur et décident s'il y a des possibilités de faire appel.

Le ruling, indique-t-on, est la clé de la décision, car ceux responsables du dossier doivent trouver des failles dans les conclusions de la cour afin de justifier que si la personne est relâchée sous caution, il y a des risques qu'elle se soustraie à la justice. Mais là aussi, il y a un certain flou car le ruling de la cour est basé sur les provisions de la Bail Act qui ne changent pas. Les points que le bureau du DPP examine sont généralement le montant de la caution, les restrictions imposées pour la mobilité de la personne et des garanties qu'elle ne va pas manipuler les preuves et les témoins.

"Case to case basis"

Le bureau du DPP a sept jours pour faire appel. Pour les avocats du Parquet, les cas Deelchand et Hurnam seraient la référence quant au traitement de ce genre de demande.Le notaire Vinay Deelchand avait dû frapper à la porte du Conseil privé d'Angleterre avant de fournir un million de roupies comme caution pour retrouver la liberté conditionnelle après avoir passé 23 mois en prison. Or, en l'absence de directives claires ou de textes de loi à ce sujet, les avocats du Parquet se basent sur des affaires précédentes qui ont fait jurisprudence pour motiver leurs décisions de faire appel.

Les affaires sont examinées au cas par cas. "Les appels concernent surtout des high profile cases là où il y a un risque potentiel pour l'enquête", souligne un ancien avocat du Parquet. Pourtant, il y a bien eu des high profile cases pour lesquels le bureau du DPP n'a pas fait appel dans le passé, que ce soit pour des affaires de drogues ou de meurtre. Il n'y a aucune directive et ces décisions restent au final à la discrétion du DPP, dit-on. Ce qui suscite l'incompréhension et un sentiment de "justice à deux vitesses".

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