La 28ème édition du Festival panafricain du cinéma et de l'audiovisuel de Ouagadougou (Fespaco) a connu son clap d'ouverture au terme d'une cérémonie officielle à forte consonance politique, avec le spectre du contexte sécuritaire sous-régional. Tout de même, le cinéma et les arts sont restés collés à tous les chapitres, pour égayer et aiguiser les consciences culturelles, au cours d'une fête présidée par les deux Premiers Ministres de la transition du Burkina Faso et du Mali, pays invité d'honneur.
La cérémonie d'ouverture, samedi dernier, au Palais des sports de Ouaga 2000, a révélé une 28ème édition du Fespaco aux couleurs vivement militantes. Menés sur le thème " Cinémas d'Afrique et culture de la paix ", les débats étaient dominés par la situation politique et sécuritaire qui a cours notamment au Burkina Faso et au Mali. Ce dernier est le pays invité d'honneur de ce Fespaco 2023.
Le choix est dicté par l'actualité des deux pays qui semblent se croiser au carrefour des destins. Le Burkina Faso et le Mali sont présentement dirigés par deux chefs d'Etat de transition (Capitaine Ibrahim Traoré et Colonel Assimi Goïta) en faveur de coups d'Etat. Ils ont en commun d'être confrontés à une persistante menace terroriste aux frontières de leurs pays, une mésentente et une détérioration de leurs rapports avec la France, ainsi que l'ardente volonté de faire émerger leurs Etats et leur donner une pleine souveraineté.
D'ailleurs, sans tout à fait le nommer, le projet supputé de fédération politique des deux pays est revenu en allusions le long de la soirée. Par ailleurs, dans la matinée, un Conseil des ministres conjoint a été tenu, où le sujet a été largement évoqué et la volonté de ne compter sur leurs forces armées " est exprimé. Mais en attendant l'acte espéré, et sur fond du thème général, les autorités des deux pays entendent faire jouer l'art, le cinéma particulièrement, dans son rôle de libérateur des consciences, de miroir des identités et d'instrument de développement. Se réinventer dans la difficulté et affirmer la quête de soi dans le principe de la paix. Tel est le mot d'ordre.
Son, lumières et grand art
Du son, des lumières et une belle charge artistique. Le spectacle concocté pour la cérémonie d'ouverture a été pour ainsi dire époustouflant. Ça a été un beau make-up du propos politique qui a jalonné tout l'après-midi. Le programme a commencé d'abord timidement avec 24 jeunes majorettes qui ont formé la lettre U après une balade. Cette présentation a succédé de quelques instants la mise en place des autorités. Elle voulait envoyer un message d'unité aux Africains, surtout aux autorités des deux pays dont les représentants ont beaucoup parlé de fraternité, et de fédérer les forces et intelligences. Il y a eu ensuite la projection du périple d'une guerrière amazone. Une chevauchée à travers l'histoire africaine qui exposera les beaux édifices et peuples d'une époque aujourd'hui contée.
" Vous qui avez traversé le temps, comment sera demain ? ", lui demande une voix, sous les yeux avisés de deux autres cavalières qui ont failli heurter quelques journalistes à leur entrée sur le parquet du Palais des sports. Le présentateur semblera y répondre à la fin de l'intermède en présentant Burkina Faso comme une citadelle des pères souvent bousculée mais à jamais imprenable. C'est pourquoi il est proposé à sa jeunesse, et celle de l'Afrique, de rêver des lendemains joyeux et fructueux. " I have a dream ", spectacle réalisé par Serge Coulibaly, dit le rêve d'une Afrique meilleure, épanouie et expurgée de son nid de parasites. Cet acte était miné de messages-choc. Les pancartes faisaient lire " La patrie ou la mort, nous vaincrons " (de Thomas Sankara) et " Nan lara, an sara " (de Joseph Ki Zerbo, qui signifie " Si nous nous couchons, nous sommes morts "). Le comédien, lui, haranguait un public soif de " révolution " en mettant le doigt sur des " plaies de l'impérialisme " : discours militant contre le néocolonialisme, haro sur le FCfa, etc. Cet opéra tropical a été élevé et solennisé par la chorale Vox Christi.
La référence onirique était aussi représentée par les mouvements chorégraphiques des danseurs de la Troupe Ganta qui, en bloc, faisaient émerger et jongler des acrobates au-dessus de leurs têtes. Tel le phoenix qui renaît toujours de ces cendres ! Ce ballet a brillamment séduit le public, avec leurs percussionnistes qui ont tout l'air des cousins de la famille Sing-Sing de Dakar. Des rythmes assurément endiablés (voire " endiablants ") et maîtrisés produits par ces gros tambours, qui laissaient de belles places quelques fois à la voix puissante et déchirante de la cantatrice Marie Gahérie, ou encore aux mélodies enivrantes qui accompagnent le saisissant artiste Floby. Le clou sera assuré par un Sidiki Diabaté des grands jours.
CHOGUEL KOKALLA MAÏGA, PREMIER MINISTRE DU MALI
" Se résigner, c'est s'aplatir. Nos peuples choisissent la résistance "
Présidant la cérémonie officielle d'ouverture du Fespaco, le Premier Ministre malien de la Transition, Choguel Kokalla Maïga a exprimé le grand honneur de son peuple à être choisi comme invité d'honneur de cette grand-messe du cinéma africain. " Le Fespaco offre la possibilité aux cinéastes de traiter avec leurs loupes avisées les inspirations des peuples, leurs émotions, leurs personnalités et leurs traits de caractère pour en exposer l'exact reflet. Dans la continuité de cette approche éditoriale, le thème de cette année appelle à une réflexion profonde dans un contexte géopolitique mouvementé et incertain ", s'est exprimé le chef du gouvernement malien dans son discours, visant la situation gangrenée par la menace terroriste.
M. Maïga considère que le thème " Cinémas d'Afrique et culture de la paix " invite les professionnels du secteur à poser un regard critique sur les défis multiformes afin d'esquisser des solutions durables en tenant compte des réalités endogènes. " C'est une lapalissade de dire que la crise sécuritaire représente une hypothèque grave de nos sociétés, et a provoqué des déchirures sociales profondes, entraîné la méfiance voire la haine, mais aussi le repli identitaire et les tensions communautaires entre des peuples ayant vécu en harmonie durant des siècles. Le cinéma et les systèmes politiques doivent porter la quête de stabilité, de la cohésion sociale et du vivre-ensemble ", suggère le Premier Ministre malien.
Choguel Kokalla Maïga s'est dit tout heureux d'être " sur la terre libre du Burkina Faso ", venant du " Mali, pays d'honneur, de dignité et de liberté ". Il a sublimé les rapports de " parenté " entre les peuples qui ne l'ont pas choisi, mais qui leur sont imposés par l'histoire, les civilisations et les cultures partagées avec la sous-région. Justement, au regard de cette histoire épatante et exaltante, Choguel Maïga ne voit pas d'autres choix que la résistance. " Notre combat pour la liberté, la paix, la dignité et la souveraineté de nos États demeurent la priorité de nos deux présidents et le substrat de leurs actions courageuses et déterminées ", légitime le Malien. Il estime que c'est aujourd'hui un devoir d'avancer ensemble et de faire face au " terrorisme alimenté par des entrepreneurs de violences et leurs sponsors étrangers étatiques ". " Se montrer résilient et résister ne sont pas une option, mais une ardente obligation et un devoir de génération ", soutient Choguel K. Maïga.
Sembène Ousmane, les sagesses d'outre-tombe
La clôture de la cérémonie d'ouverture est annoncée quand, soudainement, les lumières sont éteintes pour mettre en évidence les images de Sembène Ousmane qui défilent à l'écran. " L'Aîné des anciens " reçoit cet hommage posthume de la part du Fespaco qu'il a vu naître et a accompagné de son art et de son génie. Le public a porté sa reconnaissance de ce geste qui marque le Centenaire de sa naissance, durant un événement sur l'image de laquelle le nom de Sembène est devenu indélébile. Justement, le doyen des cinéastes africain défendait le Fespaco et le septième art (pan)africain dans cet extrait. De l'opportunité du Fespaco qui traduit " nos imaginaires " et exposent notre génie créateur, Sembène qui aurait eu cent ans cette année et est décédé en 2007 s'interroge : " Même si les autres nous ignorent, est-ce que nous avons le droit de nous ignorer ? "
. Il poursuit sa phrase en promettant qu'il n'ignorera jamais l'Afrique, ayant dénoncé avec force le " tropisme de l'Europe " et leur politique d'aliénation via le néocolonialisme pour étouffer les efforts et cultures de notre continent. Le cinéaste montrait qu'il est une part du Fespaco, qui manifeste quelque peu son idée de cinéma. " C'est à nous de créer nos valeurs, de les reconnaître, de les porter et de les montrer à travers le monde ", disait-il. Par ricochet, un hommage a été rendu à feue Safi Faye (décédée le 22 février dernier) et au cinéma sénégalais. Un hommage que compte poursuivre les réalisateurs sénégalais, sur proposition de Saliou Sarr alias Ali Béta, notamment par une minute de silence à chacune de leurs projections.
Ouaga sous haute surveillance
L'image des forces de défense et de sécurité armées et aux aguets est encore plus visible que les films, à Ouaga, lors de ce Fespaco. Sur toutes les grandes artères et les lieux stratégiques de la capitale du " Pays des hommes intègres ", c'est un festival d'hommes en tenue de combat contre le spectre du terrorisme qui est offert. Qui sur des pickups, qui gantés et couverts jusque sous les yeux dans cette canicule de 40 degrés ou plus, les policiers, gendarmes et militaires effraient plus qu'ils ne rassurent. Beaucoup de festivaliers, grisés par la ferveur cinématographique et artistique dans les carrés dédiés, se rappellent vite le contexte sécuritaire au vu de ces hommes armés à la sortie. La fouille est aussi systématique et rigoureuse dans tous les points de rassemblement.
Sembène trône au siège du Fespaco
Son buste accueille désormais, depuis hier dimanche, les visiteurs des bureaux du siège du Fespaco à Ouagadougou. Dans le sillage de la célébration du Centenaire de sa naissance,Ousmane Sembène est encore honoré à Ouagadougou où il a compte déjà une imposante statue (en première position) à la ligne des cinéastes immortalisés sur la Place du cinéaste, ainsi qu'une avenue qui part de Ouaga et s'arrête à la frontière ghanéenne. La statue comme le buste sont réalisés par le sculpteur ivoirien Siriki Ki. Le dévoilement du buste s'est déroulé au terme d'une procession des festivaliers et des autorités depuis la Place du cinéaste, à la fin de la cérémonie traditionnelle de libations. Il a été inauguré notamment par le Ministre burkinabé de la Culture, le sculpteur, son fils Alain, le directeur sénégalais de la Cinématographie Germain Coly et des personnalités du cinéma africain.