Jusqu'où la juridiction mauricienne subira-t-elle des secousses financières face aux scandales de blanchiment impliquant des filiales des grosses sociétés indiennes enregistrées dans le centre offshore mauricien ?
En ce début d'année, deux magnats indiens, Gawtam Adani de la multinationale qui porte le même nom, et Prateek Gupta, gros négociant en métaux basé à Londres, ont vu leurs noms associés au centre financier mauricien. D'autres ont fait surface dans le passé. À tel point qu'il est devenu une constante aujourd'hui où il suffit qu'un scandale éclate en Inde pour que le secteur des services financiers local y soit de loin ou de près mêlé...
Abondamment relayés dans la presse internationale, ces deux scandales aux ramifications locales interviennent à un moment où le ministère des Services financiers redouble d'efforts et de vigilance à travers de nouveaux paramètres légaux, plus ou moins renforcés pour éviter que la juridiction ne retombe sur les listes noire et grise de l'Union européenne et du GAFI respectivement. Pour le moment, les instances régulatrices comme la Financial Services Commission ou la Banque de Maurice (BoM) tentent de minimiser l'impact, insistant sur des enquêtes en cours pour remonter les filières et évaluer les dommages collatéraux, s'il y en a effectivement.
À bien y voir, doit-on s'étonner que ce soit toujours la juridiction mauricienne qui soit épinglée ? Certainement pas, selon certains spécialistes du global business, qui ont privilégié l'Inde comme principal marché au moment du lancement de ce secteur en 1992, alors que la Grande péninsule amorçait une ouverture de son économie. "La probabilité qu'un scandale éclatant en Inde soit répercuté à Maurice est énorme vu que pendant presque 15 ans, notre global business était India-centric avec la majorité des investissements indiens passant par l'offshore mauricien pour atterrir en Inde. À partir de 2007-08, il y a eu un shift vers d'autres marchés, plus particulièrement en Afrique. Toutefois, nous sommes toujours tributaires du marché indien à plus de 50 % et les risques de blanchiment d'argent sont potentiellement réels", analyse Ben Lim, CEO de Intercontinent Trust Ltd.
Une opinion partagée par le CEO de Mauritius Finance, Samade Jhumun, qui indique qu'entre 2000 et 2016, Maurice a contribué USD 100 milliards sous forme de FDI en Inde, soit 33 % de la totalité des investissements étrangers. Aujourd'hui, ce pourcentage se situe, dit-il, entre 15 % et 16 %. Du coup, à l'instar de Ben Lim, il persiste à croire que le centre offshore, jadis tourné principalement vers l'Inde, reste toujours exposé à des risques liés à sa réputation, alimentés par de puissants bureaucrates indiens.
Sans doute, le scandale du groupe Adani, comme hier avec le diamantaire et escroc milliardaire Nirav Modi, dont le nom était cité à l'époque dans le secteur bancaire mauricien, ne sera pas le dernier. La juridiction doit se préparer à faire face à d'autres coups de boutoir au risque de porter atteinte à son image même si elle n'est pas la seule à traîner le boulet quand il s'agit de la perception populaire qu'elle est un paradis fiscal. Des enquêtes comme celle d'Hindenburg Research qui a pointé du doigt d'autres juridictions, Singapour ou les îles Caïmans où justement Silvernova Ltd, une filiale mauricienne détenue à 100 % par Silver Star, un fonds d'investissement domicilié aux îles Caïmans, évalué à plus de USD 600 millions, a repris la défunte Banyan Tree Bank en novembre 2021, rebaptisée entre-temps la Silver Bank.
Est-ce que la Silver Bank pourrait connaître le même sort que la Banyan Tree Bank victime en avril 2020 de sa surexposition à la volatilité des marchés financiers étrangers, perdant jusqu'à 25 % de leurs investissements avant la crise financière internationale liée au Covid-19 ? Les raisons entraînant la médiatisation de la Silver Bank sont loin d'être celles ayant forcé la BoM à placer la Banyan Tree Bank sous tutelle en vue de préserver les intérêts financiers de ses déposants dans l'éventualité que l'établissement bancaire se trouverait dans l'incapacité d'honorer ses engagements.
Si Prateek Gupta est accusé par Trafigura, le plus grand négociant privé de métaux au monde, d'avoir perpétré une "fraude systématique" à son encontre impliquant de fausses cargaisons de nickel obtenues dans le sillage d'un freezing order de USD 625 millions contre le milliardaire Gupta et son empire commercial, c'est surtout l'utilisation de la Silver Bank pour financer ses dettes à travers son épouse, Ginny, qui intéresse la BoM. D'autant plus que Ginny Gupta est une des "ultimate beneficial owners" de la Silver Bank et que, selon la prestigieuse publication financière Financial Times, un ancien négociant en nickel de Trafigura, Sokratis Oikonomou, a expliqué que Gupta "offered to provide two letters of credit totalling $ 15 M from Silver Bank".
Pour le moment, la direction de la Silver Bank persiste et signe que Prateek Gupta n'est ni actionnaire direct ou indirect, ni un membre du board et que l'établissement bancaire n'est pas exposé aux sociétés alléguées ou d'autres entités, comme le communiqué de presse de Trafigura l'a révélé.
La BoM tente ces jours-ci de ne laisser planer aucun doute sur une éventuelle connexion entre Prateek Gupta et la Silver Bank. D'où la convocation lundi de tous les membres du conseil d'administration à BoM Tower. Qui sont Pankaj Jain (chairman), Vasil Revishvili (CEO), Alexander Bello, Nooredin Mohit, Mohamed Shafiek, Tilak Raj Bajalia et Temo Tcheishvili ? "L'objectif de la BoM est d'établir avec les membres s'il existe un quelconque lien avec le magnat indien et d'agir en conséquence. Nous étudions toutes les options et même celles de révoquer la licence, si besoin est, suivant les conclusions de l'enquête que nous avions initiée sur ces allégations", explique-t-on à BoM. Tout en rappelant dans la foulée que depuis son opération en novembre 2021, la Silver Bank a amélioré ses chiffres financiers avec des normes prudentielles acceptables. Toutefois, la banque est loin d'avoir la tête hors de l'eau. Pour ses six mois d'opération se terminant au 30 juin 2022, la Silver Bank a subi des pertes de Rs 22 millions et des dépenses opérationnelles de Rs 70 millions contre des revenus d'exploitation de Rs 62 millions.
Les prochains jours s'avèrent décisifs quant à l'avenir de la Silver Bank. Jusqu'ici tout a été fait pour éviter une ruée sur la banque. L'épisode traumatisant de la Bramer Bank est encore frais dans les esprits de certains. Encore qu'on n'ose pas évoquer de possibles dégâts sur le centre financier.