Bola Tinubu sera le successeur du président Muhammadu Buhari. Ainsi en a décidé la Commission électorale nationale (Inec), tard dans la nuit du 28 février dernier. Selon l'organe chargé de l'organisation du scrutin, le vainqueur qui a obtenu 25% des voix dans au moins deux tiers des 36 Etats de la fédération nigériane, soit près de 8,8 millions de voix, devance ses principaux adversaires, en l'occurrence Atiku Abubakar et Peter Obi qui le talonnent avec respectivement 6,9 millions de voix et 6,1 millions de voix. L'opposition nigériane qui a espéré jusqu'au bout un second tour, voit son rêve se briser avec cette élection du candidat du parti au pouvoir.
Mais ce rêve n'était-il pas dès le départ brisé ? On peut le croire quand on connait les atouts dont disposait le dauphin du président Muhammadu Buhari. D'abord, l'homme est un vieux routier de la scène politique nigériane dont la contribution a été essentielle à l'accession au pouvoir de son prédécesseur en 2015. D'ailleurs, à ce que l'on dit, durant la campagne, il n'a cessé de rappeler, à travers son slogan en langue nationale yoruba E Mi Lon Kan (c'est mon tour), que son heure était enfin venue et de vanter son bilan économique en tant que gouverneur de la province de Lagos.
L'opposition conteste les résultats du scrutin
" Homme politique connu de tous " pour reprendre l'expression de certains analystes, son élection est donc finalement sans grande surprise. Mais au-delà de ses valeurs intrinsèques, Bola Tinubu a sans doute, surtout bénéficié de son statut de candidat du parti au pouvoir, l'APC. L'on sait, en effet, que du fait de ce statut, il a pu mettre à son avantage tout l'appareil d'Etat qui constitue un levier essentiel du pouvoir et dans une certaine mesure aussi, les moyens de l'Etat. L'homme a aussi certainement bénéficié du bilan de Muhammadu Buhari qui, quoique l'on puisse dire, aura réussi, avec l'appui de ses voisins tchadiens et camerounais, à réduire la voilure de Boko- Haram et tenté de décapiter avec plus ou moins de succès, l'hydre de la corruption. Mais ces arguments semblent ne pas convaincre l'opposition qui conteste les résultats du scrutin.
En effet, les deux principaux partis de l'opposition, en l'occurrence le PDP et le LP, sans attendre même l'intégralité des résultats, ont conjointement demandé l'annulation du scrutin, dénonçant des fraudes et des manipulations de chiffres à grande échelle. Sans aller jusqu'à les taxer de mauvais perdants qui, à défaut de la victoire, veulent mettre du sable dans le couscous du vainqueur, l'on ne peut que les appeler à mettre de l'eau dans leur vin en choisissant de vider ce contentieux électoral selon les prescriptions de la loi. Mais on le sait, cela est plus difficile à dire qu'à faire dans la mesure où le poursuivant immédiat du vinqueur de l'élection, Atiku Abubakar, joue sa dernière carte, au regard de son âge très avancé. Cette dernière défaite s'apparente donc au chant du cygne pour cet autre routier de la vie politique nigériane et l'on imagine que la potion, très amère, pourrait être difficile à avaler. Il doit cependant comprendre que ce qui importe, ce n'est pas son destin personnel mais l'intérêt supérieur du Nigeria qui prime tout.
Il faudra faire en sorte que les Nigérians mettent plus l'accent sur ce qui les unit que sur ce qui les divise
En attendant de voir de quoi seront faits les lendemains électoraux au Nigeria, l'on peut tout de même féliciter le géant de l'Afrique de l'Ouest qui a encore fait honneur à sa réputation en matière de démocratie. Il a non seulement réussi à nouveau l'alternance, mais il a aussi réussi un scrutin dans l'ensemble apaisé et dont les résultats ont été disponibles au plus tôt. Dans la même veine, l'on se doit de saluer le président Muhammadu Buhari qui ne s'est pas soustrait à son devoir de passer le pouvoir aux termes de son mandat. Pas plus qu'il n'a été tenté comme on le voit sous d'autres cieux pas très lointains, de positionner pour sa succession, son fils.
Et voilà qui devrait couvrir d'opprobre les vieux caïmans des mares saumâtres des dictatures africaines, notamment francophones comme Paul Biya et autres Denis Sassou Nguesso, pour ne pas les nommer. Cela dit, la question que l'on peut, d'ores et déjà, se poser, est la suivante : quels sont les défis qui attendent le nouveau président ? Ils sont nombreux mais l'un des plus urgents sera de ressouder au plus vite, le pays qui sort divisé de l'élection. Car, il faut le dire, aucun des candidats ne fait véritablement l'unanimité. Il faudra donc faire en sorte que les Nigérians mettent plus l'accent sur ce qui les unit que sur ce qui les divise. Il faudra ensuite relancer l'économie du pays qui montre beaucoup de signes d'essoufflement et consolider la sécurité des populations qui subissent encore des assauts meurtriers des groupes terroristes. Il faudra enfin redonner au Nigeria, les moyens d'assurer son leadership au niveau régional et africain pour que s'efface à jamais, l'image du colosse aux pieds d'argile qui lui colle à la peau.