Afrique: Kaïs Saïed - Une dérive regrettable

Kaies Saied, président tunisien
analyse

C'est un dérapage qui nuit à la fois à l'image de son auteur et à celle de son pays. Le Président tunisien Kaïs Saïed a tenu des propos teintés de haine et de racisme, lors d'une réunion du Conseil de sécurité nationale (CSN), le mardi 21 février 2023. Ce spécialiste en droit constitutionnel a dénoncé les " hordes de migrants clandestins " d'Afrique subsaharienne qui, à son avis, sont à la base " des violences et des crimes à travers le pays ".

Aussi , le chef de l'Etat tunisien ,a-t-il accusé les " immigrés illégaux d'Afrique subsaharienne " de " modifier la composition démographique de la Tunisie pour en faire un pays africain ". Tout comme l'opposition tunisienne, l'Union africaine (UA) a condamné les propos de Kaïs Saïed qui vont à " l'encontre de la lettre et de l'esprit de l'organisation et de ses principes fondateurs ".

Le chef de l'Etat tunisien a voulu rectifier le tir après coup, en appelant ses compatriotes à veiller sur les migrants d'Afrique subsaharienne vivant légalement dans son pays, mais le mal était déjà fait. Le diable s'est emparé de la maison Tunisie. Son discours nationaliste, propre aux mouvements d'extrême droite, a mis en danger la sécurité des nombreux ressortissants d'Afrique subsaharienne.

Les intéressés ont été livrés à la vindicte populaire par le Président Saïed, ce qui est très regrettable. Le constat est que les ressortissants d'Afrique subsaharienne font l'objet d'arrestations et d'agressions. Certains d'entre eux ont été licenciés ou expulsés de leurs logements, à la suite des propos incendiaires du chef de l'Etat tunisien.

A l'heure actuelle, les ressortissants d'Afrique subsaharienne, présents sur le sol tunisien, vivent la peur au ventre. Ils sont estimés à plus de 21 000, selon le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES), mais la plupart d'entre eux sont en transit. La Tunisie est un carrefour migratoire, une porte vers l'Europe.

A considérer ses propos à polémique, Kaïs Saïed, candidat indépendant qui a brigué la magistrature suprême en octobre 2019, a manifestement bu à la source du Parti nationaliste tunisien, propagateur des théories racistes et complotistes. Il met à nu un problème qui existe bel et bien dans son pays, même s'il ne constitue pas un sujet majeur dans les débats politiques : le racisme. Les Tunisiens à la peau noire sont victimes de ce phénomène.

Ce ne sont pas les ressortissants des pays subsahariens qui sont forcément des enfants chouchous. Il ne faut pas se voiler la face. Au-delà de cette triste réalité, Kaïs Saïed joue le jeu de l'Union européenne (UE), en échange d'aides économiques. L'organisation veut que la Tunisie empêche les migrants subsahariens de passer par ses côtes pour atteindre les pays européens, perçus comme l'Eldorado. Ces considérations mises à part, cette dérive langagière permet à Kaïs Saïed de s'offrir un bol d'air. C'est une manière pour lui de faire diversion, de fuir les vrais problèmes qui l'accablent.

A la vérité, la Tunisie, pays d'Afrique du Nord de plus de 12 millions d'habitants, est plongée actuellement dans une crise économique et sociale. Les compatriotes de Kaïs Saïed sont confrontés à des pénuries régulières des produits de grande consommation tels que le lait, le sucre et les pâtes. Rien ne va. Les Tunisiens ont perdu le sourire. Au lieu de chercher les solutions à leurs problèmes, le Président Saïed navigue dans des eaux troubles. Qu'est-ce que les migrants d'Afrique subsaharienne ont à voir dans les malheurs de la Tunisie ?

Déplacer les problèmes sans les résoudre revient à tourner en rond et à revenir à la case départ. La diversion ne saurait être un mode de gouvernance. S'il s'attire les foudres dans cette affaire, Kaïs Saïed perd de plus en plus l'estime des Tunisiens, qui commencent à voir en lui un dictateur, à cause de ses méthodes autoritaires.

Les journalistes et les opposants qui s'en prennent à sa façon de conduire le pays en prennent pour leurs grades, à l'image des migrants subsahariens qu'il a jetés en pâture. Le président tunisien doit revoir sa copie. Déjà contesté par les siens, il ne devrait pas travailler à se mettre à dos une bonne partie de l'Afrique.

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