Congo-Kinshasa: Page d'histoire - Acte de vente du Congo à la Belgique (28 novembre 1907)

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*Ces derniers temps, un document d'archive circule et enflamme les réseaux sociaux : " L'acte de vente du Congo à la Belgique a été retrouvé ! ". C'est " un document authentique, rare, de 5 pages, avec douze signatures officielles de ministres et secrétaires généraux, douze sceaux à la cire, etc".

Et l'opinion de demander aux historiens qu'en est-il ? Quand est-ce que ce document est entré dans l'histoire du Congo ? Comment y est-il entré ?

Remontons le temps.

A l'issue des travaux de la Conférence de Berlin le 26 février 1885, les pays qui y avaient pris part ont reconnu à l'Association Internationale du Congo le droit de fonder un Etat dans le bassin du Congo. C'est le " Free States in the Congo basin ", " Etat(s) Libre(s) du Congo ". Le nom de cet Etat se déclinait comme " Libreville, Freetown, Liberia ". Libreville était le premier village de liberté fondé par la marine française au Gabon pour recueillir les personnes saisies sur les navires de contrebande nous dit Elikia Mbokolo. Il en était de même de Freetown (ville libre) en Sierra Leone. Liberia était un Etat fondé par des Noirs Américains pour recueillir des esclaves et d'anciens esclaves d'origine africaine ; il est devenu une République indépendante en 1847.

L'Etat Libre du Congo fut présenté comme une confédération de tribus d'hommes libres, qui n'étaient pas des esclaves, qui s'étaient placés sous l'autorité de l'Association Internationale du Congo (A.I.C.), héritière elle-même de 257 traités de cession de terres conclus avec les populations locales le long du fleuve Congo et dans le Bas-Congo par sa devancière l'Association Internationale pour l'exploration et la civilisation de l'Afrique (A.I.A.).

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Les 28 et 30 avril 1885, Léopold II fut autorisé par la Chambre des Représentants, puis le Sénat belges à prendre le titre de Souverain d'un Etat congolais. Il utilisa pour la première fois la dénomination de l'Etat Indépendant du Congo (E.I.C.) lorsqu'il reçut le 16 mai 1885 une délégation du Conseil municipal de Londres venu le féliciter à Bruxelles pour son acquisition. Le Souverain belge voulait dire que le Congo était distinct de la Belgique. Cette dénomination devint officielle avec l'arrêté royal du 29 mai 1885 par lequel Léopold II proclamait la constitution du nouvel Etat, et signalait son drapeau, ses armoiries et sa devise.

Ce nouvel Etat, il fallait l'explorer, l'occuper pour l'exploiter. Léopold II apporta sa fortune personnelle, puis sollicita certains banquiers. Le Congo était trop grand, et ses moyens insuffisants.

A Berlin, pour amadouer les puissances, il avait brandi la liberté de commerce pour tous. Il n'en était plus question sur le terrain cinq ans plus tard. Il déclarait " les terres vacantes " et monopolisait le caoutchouc et l'ivoire pour lui-même. A Berlin il s'était présenté comme un philanthrope, désireux de lutter contre les esclavagistes, et d'apporter la civilisation, désormais il n'était question que de travail forcé, d'impôt en travail et en vivres. C'est ce qu'on a appelé " le système léopoldien ".

Pour avoir l'aide de la Belgique, il publia un testament antidaté en 1890. La Belgique lui accorda 25 millions de francs de cette époque, dont 5 millions immédiatement, et 2 millions par an pour les dix années qui allaient suivre. Toutefois, la Belgique posa deux conditions. L'Etat Indépendant du Congo ne devait plus emprunter de l'argent sans avoir l'autorisation du parlement et du gouvernement belge.

L'Etat Indépendant du Congo devait chaque année informer la Belgique de l'évolution de son économie et de ses finances. Si ces deux conditions n'étaient pas respectées, la Belgique devrait annexer le Congo. Par ailleurs, si l'Etat Indépendant du Congo n'avait pas remboursé l'argent prêté par la Belgique au bout de dix ans, la Belgique devrait annexer le Congo.

Le problème de l'annexion du Congo par la Belgique s'est posé à trois reprises : en 1895, 1901 et 1906.

Pourquoi en 1895 ? Il se fait que trois ans auparavant, en 1892, à l'insu du parlement et du gouvernement belges, Léopold II avait sollicité et obtenu un prêt de cinq millions auprès d'un banquier, De Browne de Tiège. Il devait rembourser ce prêt trois ans plus tard.

Faute de quoi, il devait dédommager le banquier avec 16 millions d'hectares de terrain au Congo. En 1895, Léopold II n'avait pas de quoi rembourser son banquier. Il ne voulait pas non plus céder les terres. Il ne lui restait qu'à avouer son opération à la Belgique. Des dispositions furent prises pour l'annexion du Congo par la Belgique. La discussion fut portée au parlement. Mais Léopold II ne voulait pas se dessaisir du Congo, car le pays commençait à rapporter. Le Souverain belge soudoya plusieurs parlementaires. Il y a eu un affrontement entre les Congolâtres et les Anticongolâtres. Et le projet d'annexion fut noyé.

Pourquoi en 1901 ? L'échéance de dix ans était écoulée depuis le prêt consenti en 1890, et non remboursé. Le premier ministre en place, Paul de Smet de Naeyer, était très proche du roi. Malgré l'opposition d'Auguste Beernaert qui avait exercé son mandat de premier ministre de 1884 à 1894, de Smet élabora un projet qui devint la loi du 10 août 1901. En vertu de cette loi, la Belgique renonçait temporairement au remboursement des sommes prêtées à l'Etat Indépendant du Congo en exécution de la convention du 3 juillet 1890 ainsi qu'aux intérêts. La Belgique renonçait aussi au droit d'autoriser l'Etat Indépendant du Congo à contracter des emprunts.

Léopold II ne manqua pas d'en profiter. En 14 ans, de 1887 à 1901, la dette publique du Congo ne s'était élevée qu'à 14.222.000 francs, plus les avances de 25 millions en 1890 et 6 millions en 1896 consenties par la Belgique.

Mais, en 7 ans seulement, de 1901 à 1908, Léopold II emprunta coup sur coup près de 96 millions de francs ; le tiers de cette somme fut affectée à la Fondation de la Couronne.

Toutefois, la Belgique conservait le droit de reprendre le Congo. Les obligations financières contractées par l'Etat Indépendant du Congo vis-à-vis de la Belgique ne reprendraient leur cours qu'à partir du moment où la Belgique renoncerait à la faculté d'annexion.

Pourquoi en 1906 ? C'était l'année des réformes recommandées par la commission internationale qui avait fait des enquêtes dans l'Etat Indépendant du Congo en 1904-1905. Léopold II avait publié le 3 juin 1906 25 décrets réformant la législation dans le Bulletin officiel de l'EIC, et il avait fait accompagner ces décrets avec une lettre destinée aux Secrétaires généraux. Dans cette lettre le roi proclamait que ses " droits sur le Congo étaient sans partage ". Il définissait les obligations de la Belgique vis-à-vis des diverses institutions qu'il avait fondées.

Les parlementaires interpellèrent le gouvernement. Ils s'inquiétaient de l'augmentation de la dette publique. Accepter ces conditions, c'était se lier les mains et s'interdire toutes possibilités de faire des réformes. Les députés demandèrent que la Chambre fût saisie dans le plus bref délai possible de la reprise du Congo. Les choses traînèrent en longueur.

Le gouvernement Jules de Trooz entré en fonction en mai 1907 engagea des négociations avec les mandataires de l'Etat Indépendant du Congo début juillet 1907. Le projet de loi relatif au transfert du Congo à la Belgique fut déposé le 28 novembre 1907. C'est ce document qui avait été établi en deux exemplaires, et qui est retrouvé ces derniers jours.

L'archiviste nous dit que Léopold II cédait les sols, les bâtiments, toutes les ressources agricoles, minières ou autres. Mais le document subordonnait la reprise à l'" engagement de respecter les Fondations existantes au Congo ". La Commission des XVII qui examina ce projet dénonça la Fondation de la Couronne comme un moyen de pouvoir personnel. Le roi se montra intraitable. La situation était bloquée. Le 31 décembre 1907, le premier ministre mourut. Il fut remplacé par le président de la Chambre, M. Schollaert, qui était favorable à l'annexion et hostile au maintien de la Fondation. Il fit valoir son point de vue au roi. Celui-ci manifesta des résistances, mais finit par céder parce que l'opinion internationale ne le tenait plus en odeur de sainteté. On était en pleine campagne anti-léopoldienne. Les abus de Léopold II étaient dénoncés. En Angleterre le roi Edouard VII fit une allusion au Congo dans son discours au trône : il fallait un changement radical au Congo, et non pas une fiction de changement.

Le 5 mars 1908, M.Schollaert ajouta un élément dans le dossier " reprise ". Il déposa " l'Acte additionnel au traité de cession de l'EIC à la Belgique ".

La Fondation de la Couronne était supprimée ; ses biens furent cédés au domaine privé de l'Etat.

Les charges incombant à la Fondation furent partagées entre la Belgique et la colonie. Il s'agissait d'une somme de plus de 100 millions de francs :

  • 50 millions de francs pour Léopold II " en témoignage de gratitude pour ses grands sacrifices en faveur du Congo créé par lui ".
  • 45,5 millions de francs pour l'achèvement des travaux entrepris à Laeken et Ostende.
  • 400.000 francs par an pour les collections coloniales et les serres coloniales à Laeken.
  • 120.000 francs par an x 2 pour le prince héritier Albert qui devait accéder au trône, et la princesse Clémentine qui se préparait au mariage.
  • 65.000 francs par an à verser aux Missionnaires de Scheut.
  • 60.999 francs par an pour les indemnités viagères des administrateurs et du personnel de la Fondation.

La discussion commença le 15 avril 1908. Le traité de reprise fut voté à la Chambre des Représentants le 20 août 1908 par 83 voix pour, 54 contre, et 9 abstentions, et au Sénat le 9 septembre 1908 par 53 voix pour, 24 contre et 11 abstentions. La loi coloniale, dite aussi Charte coloniale, fut promulguée le 18 octobre 1908. Le 30 octobre 1908 un arrêté créa le ministère des Colonies, confié à Jules Renkin qui quitta le ministère de la Justice. Le 15 novembre 1908 la Belgique assuma la souveraineté sur les territoires composant l'Etat Indépendant du Congo. Le 23 décembre 1908, la France signa avec la Belgique un traité lui garantissant le droit de préemption accordé par l'Association Internationale du Congo. Léopold II meurt le 17 décembre 1909. L'Angleterre ne reconnut l'annexion par la Belgique qu'en 1913.

Jean-Marie Mutamba Makombo

Professeur Emérite/Université de Kinshasa

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