Sénégal: [FESPACO] - Documentaire ' L'argent, la liberté, une histoire du Franc CFA ' : Katy Léna Ndiaye raconte la fable d'une monnaie coloniale

Dans " L'argent, la liberté, une histoire du franc Cfa " en compétition dans la catégorie long métrage documentaire de la 28e édition du Fespaco, la réalisatrice sénégalaise, Katy Léna Ndiaye, évoque l'histoire de cette monnaie coloniale qui se présente comme une fable.

OUAGADOUGOU - Au lendemain de la Seconde guerre, le désastre est tel que l'Europe est à genou. La machine à mort, mise en branle par les Occidentaux, a fini de faire ses victimes et ses preuves. L'humanité est atteinte. L'humain aussi. Les puissances coloniales étrangères, qui avaient bâti une partie de leur hégémonie et de leur réputation à partir de l'aide apportée par les colonies, doivent faire face au rêve d'émancipation des peuples colonisés. Le vent de la décolonisation souffle avec intensité, un peu partout sur le continent, et soulève une vague d'indignations. Une mobilisation générale croît dans les colonies. L'indépendance est certaine. Elle est même devenue inévitable. Consciente de ce nouveau contexte qui émerge des territoires coloniaux, la France va alors, très vite, trouver une matoiserie pour continuer à garder son précarré. Dans ce contexte chargé, le franc Cfa (franc des colonies françaises d'Afrique), une monnaie coloniale, voit le jour, dès le 26 décembre 1945. C'est le début d'un nouveau tournant dans les rapports avec le colon. Il faut ainsi un changement de cap qui, à travers la formation des cadres de l'administration coloniale au service de la France, reformuler le système à partir de l'intérieur.

Dans son film documentaire en compétition officielle à la 28e édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco), la réalisatrice sénégalaise, Katy Léna Ndiaye, retrace l'histoire du franc Cfa en se servant d'archives coloniales et d'interviews de grandes personnalités politiques, d'experts et d'historiens parmi lesquels Felwine Sarr, Abdoulaye Bathily, Lionel Zinsou, Roland Colin ou encore Ndongo Samba Sylla. À travers, " L'argent, la liberté, une histoire du franc Cfa ", la réalisatrice raconte l'histoire de cette monnaie coloniale qui, à ses yeux, " est une fable à laquelle nous avons tous cru ". Journaliste de formation, Léna Katy Ndiaye a essayé de tisser une narration qui intègre surtout la dimension politique et économique dans les rapports entre l'Afrique et la France.

Le franc Cfa, un " actif forcé "

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, il fallait faire du franc Cfa un " actif forcé " pour permettre aux colonies de participer rapidement au redressement de la France. Le franc Cfa permit alors de reconstruire ce pays ruiné par la guerre. Katy Léna Ndiaye a jugé nécessaire que cette histoire soit racontée par les Africains. Une histoire qui, avec l'usage du franc Cfa, continue encore de traverser les générations d'hommes et de femmes du continent.

Ce film historique, en même temps qu'il aborde la question du franc Cfa, de l'économie et des finances, de la politique, évoque aussi nos héritages. C'est d'ailleurs ce qui explique les plans détaillés sur les ruines de l'École William Ponty. Ce documentaire, retraçant l'histoire de l'Afrique, permet aussi de saisir la trajectoire de nos pays, pendant l'époque coloniale et au-delà des indépendances de 1960. Katy Léna Ndiaye invite certainement, par cette même occasion, à agir, 78 ans après la mise en place d'une monnaie qui sert de cordon ombilical entre l'Afrique et la France. " Je me suis plongée dans cette histoire d'un point de vue historique. Lorsque je commençais à faire mes recherches, cette question du franc Cfa était en périphérie. C'est progressivement qu'elle est devenue centrale ", explique la réalisatrice. Ce documentaire dans lequel chaque protagoniste raconte son histoire du franc Cfa, à travers un récit personnel, amène à penser et à décider de l'avenir de notre monnaie. Il a pris sept ans de la vie de la réalisatrice. " L'argent, la liberté, une histoire du franc Cfa " de Katy Léna Ndiaye suscite un flot d'interrogations. Il établit un dialogue permanent entre passé, présent et futur. Le film documentaire évoque le soft power mis en place par le colonisateur, avec notamment des accords de défense, sur les matières premières ainsi qu'une coopération monétaire.

À la veille des années 60, seule la Guinée Conakry avait refusé ouvertement ces accords. Les autres pays acceptèrent de continuer avec la France, dans le cadre d'une coopération.

Ce film permet de voir que les indépendances n'ont pas permis de changer le rapport de force entre les colonies et leurs anciens patrons. L'empire colonial a disparu certes, mais le franc Cfa est resté, malgré le fait qu'il soit une monnaie taillée à l'économie coloniale. Dans le film, le professeur Abdoulaye Bathily pense qu'il appartient maintenant à la jeunesse africaine de revoir cet héritage. Katy Léna Ndiaye aborde plusieurs mutations de cette monnaie qui, à sa naissance, était plus forte que le franc français (Ff). En décembre 1945, 1 Fcfa était égal à 1,70 Ff. Au fil de l'histoire, les données vont changer, avec notamment la dévaluation du franc Cfa de 50 % en 1994 et l'arrimage du Fcfa à l'euro en janvier 1999. Si le franc Cfa " sécrète sa propre structure politique ", comme le soutiennent les experts, dans ce documentaire, il continue tout de même d'être une monnaie commune de 14 pays africains membres de la Zone franc. Et ce, malgré les zones de turbulence traversées.

INÉGALITÉS SOCIALES, EXCLUSION, TERRORISME, MAL GOUVERNANCE...

Faire du cinéma un instrument de construction de la paix

Profiter du potentiel du cinéma pour construire une culture de paix et lutter contre les violences et les discriminations sur le continent, c'est autour de cette réflexion que s'inscrit le colloque international de cette 28e édition du Fespaco.

Le cinéma est un art populaire, très proche de la réalité. Son impact sur les changements de mentalité et la prise de conscience citoyenne semble, aujourd'hui, déterminant pour lutter contre les conflits et la montée en puissance djihadiste, qui déchirent certaines zones du continent. C'est dans ce sens que s'inscrit le thème du colloque international de cette 28e édition du Fespaco qui explore le lien entre le cinéma et la paix. Inégalités sociales, exclusion, terrorisme, mal gouvernance, défis humanitaires liés aux conflits et aux changements climatiques...les cinémas d'Afrique font face à une réalité quotidienne qu'ils ne peuvent désormais plus ignorer. Il est donc attendu des cinéastes de remplir leur devoir dans la construction et la promotion d'une culture de paix et de stabilité sociale. Pour y arriver, suggère le professeur et critique cinéma Maguèye Kassé, il faut d'abord comprendre pourquoi l'Afrique n'a pas la paix. " Je pense que le continent a toujours été l'objet de convoitises extérieures qui nous ont constamment créé les problèmes d'une situation de non-paix ", soutient-il. C'est dans ce sens, poursuit M. Kassé, que s'inscrivent la colonisation et la période postindépendance qui n'a pas permis aux dirigeants africains de construire des États-nations dans lesquelles les gens vivraient en paix. Selon Pr Kassé, le fait que cette 28e édition du Fespaco se déroule, malgré un contexte sécuritaire fragile, est une manière d'attirer l'attention sur la responsabilité qui incombe aux cinéastes de promouvoir la paix par l'image, à travers des films dignes d'intérêt pour faire comprendre aux populations qu'elles doivent prendre leur destin en main.

Maguèye Kassé pense que le cinéaste, qui est suffisamment averti des questions de l'heure, doit prendre à coeur les urgences de cette heure. " Aujourd'hui, l'urgence en Afrique, c'est de créer la stabilité dans les Nations pour s'atteler aux tâches de son développement... Le cinéaste doit comprendre qu'il est de son devoir de faire des films qui parlent aux gens dans un langage accessible ", fait-il comprendre.

Manque d'ancrage socioculturel

Faire du cinéma, un instrument au service de la paix, c'est aussi penser le contenu du septième art du continent en mettant l'accent sur des valeurs traditionnelles à mesure de lutter contre les violences et les déséquilibres sociaux. " Le cinéma est l'un des arts les plus invraisemblables. Sa spécificité réside dans sa capacité à faire vrai dans un projet de récit fictif. Le cinéma s'inspire profondément des mécanismes sociaux. Il existe, de ce fait, une forte interaction entre les réalités sociales et l'art cinématographique ", souligne Valentine Palm/Sanou, ancienne chercheuse à l'Université Ki-Zerbo. En s'intéressant à la thématique : " De la réalité sociale à l'imaginaire cinématographie : transfert des mécanismes de construction de la paix dans le cinéma burkinabè ", elle a remarqué que les films de la jeune génération puisent " très peu " dans ces mécanismes de construction de la paix dans la société. " Cela dénote d'une caractéristique des productions cinématographiques burkinabè qui manquent d'ancrage socioculturel et par conséquent, d'identité propre ", juge Mme Palm/Sanou.

Pour l'universitaire, le cinéma peut contribuer à résoudre certains conflits, à préserver la cohésion sociale en inspirant ces mécanismes de paix, car il est un moyen de sensibilisation et de formation des consciences. " Le cinéma devrait plus que jamais porter l'espoir de nos luttes pour des lendemains meilleurs. Pour cela, il devrait puiser largement dans la mémoire de notre existence pour nourrir les générations présentes et à venir dans ce monde aux multiples et complexes tribulations ", renseigne Valentine Palm/Sanou.

...Un cinéma réaliste et des cinéastes avant-gardistes

Dans ce contexte de conflits et de violences, le regard du cinéma africain demeure pluriel, selon le muséologue guinéen Souleymane Keita. De son point de vue, le cinéaste doit être un avant-gardiste en travaillant à prévenir ces conflits et tragédies sur le continent. Le terrorisme, pense-t-il, est un phénomène qui a été nourri dans la société, à travers des frustrations sociales, politiques, démographiques, environnementales et économiques, " sous le regard parfois coupable des gouvernances politiques qui privilégient leur maintien au pouvoir en lieu et place de se battre pour le bien-être des populations ". Si le cinéma africain est allé au coeur du drame africain, M. Keita considère que c'est " peu " par rapport à la multiplicité des problèmes liés à la menace de la paix d'une manière générale en Afrique. " La culture de la paix que construiront les cinémas d'Afrique se voudra réaliste. Il s'agit de tenter des documentaires audacieux où les cinéastes iront au coeur du drame des peuples et de leur existence au Sahel, en Afrique du Nord et récemment en Afrique centrale lorsque des chrétiens méthodistes sont assassinés à l'intérieur de leur église par une branche de la nébuleuse djihadiste ", fait-il remarquer. C'est de cette manière seulement, relève le muséologue guinéen, que le cinéma pourrait " toucher le scepticisme des politiques africains et appeler au changement de la gouvernance d'une Afrique fragmentée par les crises répétitives ".

(envoyé spécial)

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