Tunisie: Le Parlement de 2023, solution pour sortir de l'impasse ou nouvelle crise dans la crise?

Kaies Saied, président tunisien

Fermé depuis le 25 juillet 2021, à la suite des mesures exceptionnelles prises par le président du pays Kaïs Saeïd, et qui ont conduit entre autres à la dissolution de l'Assemblée, le siège du Parlement tunisien rouvre enfin ses portes ce 3 mars 2023. Mais cette assemblée pose déjà un problème : elle est composée de députés qui se prétendent indépendants, qui sont sans expérience politique et complètement méconnus de Tunisiens qui ont massivement boycotté le scrutin.

Le nouveau Parlement tunisien tiendra ce 3 mars 2023 sa première séance, après plus d'un an et demi. Toutefois, au vu du changement de la constitution, cette assemblée ne possède pas encore un règlement intérieur qui régit son fonctionnement. Des spécialistes du dossier disent que ce règlement est en cours de rédaction à la présidence, mais tout est flou et opaque.

Autre problème juridique : selon la nouvelle Constitution de 2022, la Cour constitutionnelle aurait dû être désignée avant l'installation de l'Assemblée pour qu'elle puisse légiférer, mais ce n'est pas le cas. " Il n'y a aucun élément de langage sortant du palais de Carthage [siège de la présidence, NDLR], qui indique qu'il va y avoir demain une Cour constitutionnelle, explique Zine Elabidine Hamda Cherif, auteur et chercheur tunisien. Si Conseil constitutionnel il y a, cela veut dire que tout ce qui sera de l'ordre du législatif et de l'exécutif sera sous le contrôle de cette Cour. Ce qui est impossible dans la configuration actuelle. Je vois mal comment un président qui détient tous les pouvoirs aujourd'hui, accepte demain de se mettre sous la coupe d'une cour constitutionnelle ".

" C'est un Parlement qui n'a pas un pouvoir réel "

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La Tunisie se retrouve aujourd'hui par ailleurs devant une Assemblée éclatée, sans coloration politique bien définie. Et cela alors que le pays souffre de divisions politiques et d'une situation économique et sociale difficile, avec un gouvernement qui a échoué à gérer les difficultés. La nouvelle Assemblée possède ainsi peu de marge de manoeuvre.

" C'est un Parlement qui n'a pas un pouvoir réel, confirme Zine Elabidine Hamda Cherif. Il ne peut pas nommer un gouvernement ou donner la confiance à un gouvernement. Ce n'est pas inscrit dans la constitution, il ne peut pas le dissoudre. En fait, c'est une régression institutionnelle énorme. Nous assistons aujourd'hui à une transition dans un flou politique et institutionnel qui ne permet pas de porter un jugement correct sur ce qui pourrait se passer la semaine prochaine ".

Ce Parlement est légal, mais pas légitime, considèrent ainsi plusieurs observateurs en l'absence de l'opposition et avec le peu de voix que les élus ont pu avoir. " Je pense que cette Assemblée aura très peu de poids, de par sa constitution, de par les prérogatives qu'elle a, de par son adhésion globalement au projet du président, estime par exemple Hatem Nafti, essayiste tunisien. Je pense que ça sera essentiellement une chambre d'enregistrement, qui a plusieurs épées de Damoclès au-dessus de sa tête... Les députés peuvent être révoqués par les citoyens, peuvent aussi perdre leur immunité parlementaire sous des conditions assez floues. "Les perturbations du travail de l'Assemblée", c'est un terme assez flou qui fait que, en réalité, on ne sait pas du tout ce qu'on entend par là. On sait que si un député dérange trop, il perdra son immunité et son mandat. Donc c'est une Assemblée qui ne fera pas beaucoup de vagues ".

" Il a été élu par 12% des Tunisiens et donc boycotté par 88% "

Alors qu'elle devait être une solution pour sortir de l'impasse politique, selon Hatem Nafti, la nouvelle Assemblée participe à la crise : " C'est une chambre qui de par son élection est un élément de la crise. Elle est élue par 12% des Tunisiens et donc boycottée par 88%. Cette chambre est en soi l'expression de la crise politique. Mais c'est une crise politique qui est niée par le pouvoir actuel, qui se refuse à considérer ou à admettre n'importe quelle crise. Il dit qu'on continue, il y a eu des élections maintenant et on installe l'Assemblée et on continue. Ce qui tend à criminaliser de plus en plus les voix divergentes, les voix opposantes en les trainant en justice. "

L'opposition accuse le président tunisien d'affaiblir ou d'éliminer méthodiquement les contre-pouvoirs ; institutions ou personnes de l'opposition. Selon nos interlocuteurs, il n'est pas encore prêt à suspendre les mesures exceptionnelles.

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