Si l'on s'en tient au nombre impressionnant de personnes dans les Eglises et chapelles cette année-comme les années précédentes d'ailleurs pour recevoir les cendres marquant le début du carême, nul doute qu'un grand mouvement de conversion a été ainsi enclenché dans la montée vers Pâques, solennité des solennités chrétiennes. Mais au fond cette belle promesse des fleurs tiendra-t-elle vraiment l'espérance des fruits ?
Les cendres, comme on l'a si souvent dit, font partie des nombreux symboles bibliques que l'Eglise reprend dans la liturgie. Elles rappellent aux chrétiens que pour porter du fruit, le Carême mérite d'être vécu dans une dynamique d'efforts spirituels et corporels. C'est ainsi que le rite des cendres nous introduit sur ce chemin de retour à Dieu, ou si vous voulez, de conversion. Dans cette dynamique, selon le Pape François, au-delà du fait, ce rite nous adresse deux invitations : revenir à la vérité sur nous-mêmes et revenir à Dieu et à nos frères. Dans ce sens, tout chrétien est certes appelé à recevoir la cendre. Mais il ne s'agit nullement de la recueillir pour en faire une potion magique ou de guérison en l'administrant à des malades, ou, encore moins, en la commercialisant.
Je le dis, parce que des gens ont voulu prendre des cendres afin de les imposer coûte que coûte à des malades qui sont hospitalisés. Dans leur hospitalisation ne vivent-ils pas déjà une forme de pénitence ? Ceci étant, du moment où l'imposition des cendres en soit n'est pas un sacrément, on comprend qu'il n'y ait pas de conditions particulières pour les recevoir. Ainsi, enfants, catéchumènes et même parfois d'autres personnes, se font imposer les cendres, en début de carême. Mais ce devra toujours se faire dans une volonté de se préparer à la célébration de la mort et de la résurrection du Christ du mieux possible, puisqu'on ne peut réellement revivre ce mystère qu'avec un esprit et un coeur purifiés. Et donc, le carême dans lequel nous introduit l'imposition des cendres, a pour but de fournir cette purification en détachant l'homme du péché et de l'égoïsme par l'abnégation et la prière tout en suscitant en lui le désir d'accomplir la volonté de Dieu et de faire en sorte que "son règne vienne" d'abord dans le coeur de chacun. De fait, le carême symbolise le feu de l'esprit qui va consumer en nous le péché pendant les 40 jours.
Tous les efforts, tous les combats menés, doivent l'être, en vue de la résurrection, pas seulement celle du Christ, mais aussi de la nôtre dans la sienne et par elle. Dès lors, chaque carême devient un itinéraire de vie, parce que nous acceptons la mort, nous acceptons de réduire en cendres le péché et tout ce qui nous sépare de Dieu et du prochain. C'est l'occasion pour chaque chrétien de réviser sa vie et de raviver en soi la foi de son baptême. C'est ce qui donne tout son sens à la rénovation collective des promesses baptismales la nuit de Pâques ! En cela, les cendres, tout en nous rappelant qui nous sommes et d'où nous venons, nous ramènent à la vérité fondamentale de la vie : seul le Seigneur est Dieu et nous sommes l'oeuvre de ses mains. C'est dans ce sens que le Pape dit bien que les cendres nous invitent à revenir à la vérité sur nous-mêmes et revenir à Dieu et à nos frères. Il s'agit de réaliser à travers les efforts de prières, de pénitence et de partage que nous sommes de l'argile fragile qui est modelée par Dieu en qui " nous avons la vie, le mouvement et l'être (Ac 17,28). Dès lors, se déconnecter de lui, c'est redevenir poussière, selon l'une des deux formules de l'imposition des cendres : " Tu es poussière et tu redeviendras poussière ". L'imposition des cendres permet au fidèle d'" affirmer sa volonté de se convertir, de mourir à tout ce qui l'éloigne de Dieu. Les Cendres deviennent alors le signe qu'il accepte que le feu de l'amour de Dieu consume ses péchés et les réduise en cendres ". Et c'est par tout ceci que le carême constitue un processus de purification. En définitive, les cendres, comme le jeûne dans le temps du carême, visent une libération des désirs et des sollicitations afin de nous ouvrir à Dieu et aux autres. C'est pourquoi le pape Benoît VXI insistait de façon appuyée sur l'aspect caritatif du Carême : " aller à la rencontre des autres, partager avec eux ce que, par grâce divine, nous possédons...être instrument de la providence envers le prochain ". Alors, en se bousculant chaque année pour recevoir les cendres, est-ce bien dans l'intention ou la volonté de vivre ainsi ? Quoi qu'il en soit, c'est cela le but et la portée de ce premier acte introductif au carême ainsi que de tous les efforts de prières de pénitence et de partage fournis durant les 40 jours qui s'en suivent. En recevant les cendres, nous avons conscience que Dieu nous rejoint dans notre faiblesse, pour nous "rendre forts" avec Lui.
Ainsi donc, ce rite, riche de significations nous appelle à distinguer ce qui dans notre vie est important. Ainsi, si tant de chrétiens, de catéchumènes et autres se bousculent pour recevoir les cendres, ce ne doit nullement être comme la manifestation d'un folklore religieux haut en couleurs, mais bien en vue d'y retrouver un coeur pur qui plaise à Dieu et nous ouvre vers le prochain. Sans cela, ce serait réduire le carême aux cendres du mercredi qui y est consacré, pour ne pas dire le réduire en cendres ! Et alors tous les fruits qui devaient en résulter à Pâques seraient eux-mêmes réduits en néant!