Depuis le 28 février, les bouteilles d'eau de la marque Aqua Springs sont interdites de vente jusqu'à nouvel ordre. La faute à la bactérie pseudomonas aeruginosa, détectée dans un échantillon d'eau après des analyses au "Central Health Laboratory".
Le matin du jeudi 2 mars, une scène inhabituelle à Aqua Springs Mauritius. Cette entreprise spécialisée dans la mise en bouteille et de la commercialisation de l'eau, située à Montagne-Longue, a cessé sa production depuis le 28 février. Une décision qui fait suite à un communiqué émis par le ministère de la Santé et du bien-être le même jour, après que la bactérie pseudomonas aeruginosa a été détectée dans un échantillon d'eau.
Après des examens bactériologiques de routine effectués par le Central Health Laboratory, le 27 février, et conformément aux normes et dans l'intérêt public, le ministère a également demandé de ne pas consommer l'eau de la marque Aqua Springs jusqu'à nouvel ordre. Aux revendeurs, il a été demandé d'enlever les bouteilles de cette marque de leurs rayons avec effet immédiat.
Sur la route, on aperçoit deux ou trois camions d'Aqua Springs Mauritius. On apprend que depuis la publication du communiqué, ils vont collecter toutes les bouteilles d'eau déjà distribuées aux supermarchés. Sur place, une atmosphère d'incertitude et plutôt terne. Deux ou trois employés nettoient l'un des camions stationné sur le parking, probablement destiné à aller lui aussi à la collecte de bouteilles d'eau dans les supermarchés. À côté du parking, on voit quelques bouteilles en plastique empilées, quelques grands conteneurs et plusieurs pneus stockés. On constate qu'aucune opération n'a lieu en rapport avec la production ou la commercialisation d'eau.
La production arrêtée en attendant
Le bâtiment est d'apparence plutôt modeste et, au premier regard, on ne se rend pas compte qu'il s'agit en effet d'une grande entreprise. À côté du petit escalier menant à l'entrée du bureau, il y a des stocks de bouteilles d'eau de 1,5 L de la marque Aqua Springs que quelques employés tentent de recouvrir de plastique noir. "Celles-ci proviennent du lot de bouteilles d'eau qui avaient étaient emballées afin d'être distribuées et vendues, avant que nous n'apprenions qu'il y aurait un problème comme l'a publiquement communiqué le ministère. Par conséquent, nous avons cessé toute production et stoppé totalement la distribution", nous dit un haut gradé de l'entreprise.
Peu de temps après, une voiture approche et trois personnes, dont deux hommes et une femme, en sortent pour se diriger vers le bureau. Après quelques minutes, elles ressortent, et viennent nous saluer (ne sachant pas qui nous sommes), avant de repartir en voiture. Le directeur, aussi propriétaire de l'entreprise, vient ainsi nous voir. Dès lors, nous apprenons que les trois personnes sont en fait des membres du personnel sanitaire, venus prélever un échantillon pour le tester au Central Health Laboratory, à Candos, afin de déterminer s'il y a encore des traces de bactéries dans l'eau. "Comme le dit le communiqué, le ministère nous a demandé d'arrêter toute production. Nous avons aussi effectué un nettoyage complet du lieu jusqu'à ce que d'autres résultats d'analyses nous parviennent et que nous puissions décider de la voie à suivre. Nous respectons toutes les règles sanitaires dans l'intérêt public. Nous faisons aussi appel aux consommateurs à ne pas paniquer...", nous dit Vishal Nowbuth, le CEO et propriétaire d'Aqua Springs.
L'entreprise, située à la rue Boulingrin, à Montagne-Longue, sur un terrain à proximité du cimetière et non loin de l'autoroute, a ouvert ses portes en novembre 2017, produit généralement environ 24 000 bouteilles d'eau par jour pour la distribution. Une grande partie de ses produits est également exportée vers Singapour. Elle emploie environ 60 personnes, dont 20 sont contraintes de rester à la maison jusqu'à nouvel ordre, car le travail au sein de cette entreprise a cessé pour l'instant.
Troublante chronologie
Si le communiqué du ministère de la Santé, émis le 28 février, était en faveur de la santé et de la sécurité nationale, sa publication soudaine et inattendue a également suscité une certaine panique chez les revendeurs ainsi que les consommateurs d'eau de la marque Aqua Springs. Entre-temps, des incohérences sont en train d'être dévoilées. Avec plusieurs questions soulevées par Aqua Springs Mauritius Ltd, et la balle déviée par le ministère de la Santé vers le Central Health Laboratory (CHL).Que s'est-il passé exactement ?
Non-respect des normes ?
Le 28 février, le ministère de la Santé et du Bien-être a émis un communiqué à destination du public indiquant que la bactérie pseudomonas aeruginosa a été détectée dans un échantillon d'eau de la marque Aqua Springs "à la suite d'examens bactériologiques de routine effectués par le Central Health Laboratory le 27 février 2023"
Réagissant à ce communiqué, l'entreprise Aqua Springs Mauritius Ltd a fait savoir sur sa page Facebook qu'elle avait également pris note du communiqué à travers les réseaux sociaux, comme tout le monde, et que cet échantillon avait en effet été prélevé pour être testé le 24 janvier 2023. L'entreprise a également déclaré que des contrôles de routine sont effectués par des personnels sanitaires sur une base mensuelle, pour veiller à la qualité de l'eau, avec la collaboration du Central Health Laboratory (CHL), mais qu'aucun échantillon n'avait été prélevé durant le mois de février. " Ils ont effectué un test sur un échantillon d'eau en bouteille de 1,5 litre qu'ils ont collecté le 24 janvier 2023 dans le cadre de leur contrôle mensuel de routine...
Nous détenons des permis différents pour chaque type de bouteille, notamment pour le gallon de 20 litres, le logement de 600 ml et celui de 1,5 litre. Mais ils ont effectué des tests sur un seul échantillon de bouteille d'eau de 1,5 L, et ont émis un communiqué public pour nous demander d'arrêter toute production jusqu'à nouvel ordre. Nous nous y conformons dans l'intérêt public, mais cela a néanmoins des répercussions sur notre réputation et notre économie ", affirme le directeur et propriétaire d'Aqua Springs Mauritius Ltd, Vishal Nowbuth
L'entreprise affirme également qu'en raison de l'utilisation d'une chaîne d'embouteillage automatique, les employés n'ont accès à aucune partie du processus d'embouteillage susceptible de provoquer une contamination. "One of the reasons why we fill our bottles to the neck, is to prevent air from getting inside our bottles and hence prevent contamination from Pseudomonas Bacteria which is present in the air." L'entreprise a depuis envoyé de nouveaux échantillons afin que des tests soient effectués dans des laboratoires privés.
Dans sa réponse sur Facebook, Aqua Springs Mauritius Ltd va plus loin en affirmant que puisque l'échantillon d'eau a été conservé au CHL pendant plus d'un mois, et que cette bactérie se propage surtout dans les établissements de santé, la source potentielle de contamination reste le laboratoire lui-même. Aqua Springs Mauritius Ltd écrit ceci: "A reliable test should have been done within a maximum of 10 to 15 days. One of the ways to have Pseudomonas Bacteria in a test result may have been due to contamination in the testing lab. This is a common risk in most of the testing labs in the world." Selon les normes, trois tests distincts doivent être effectués sur des échantillons séparés par le CHL, et ce n'est que lorsque tous les résultats sont identiques qu'un communiqué est censé être publié par le ministère pour des raisons de santé et de sécurité dans l'intérêt public. Les résultats de ces tests sont obtenus après 36 à 48 heures, dit une source officielle du ministère de la Santé. "Donc, s'interroge Vishal Nowbuth, pourquoi un seul échantillon a-t-il été prélevé le 24 janvier ? Et si, comme l'indique le communiqué du ministère de la Santé, les tests bactériologiques ont été effectués le 27 février sur cet échantillon, comment les résultats ont-ils pu être connus le lendemain ? Surtout, combien de tests ont été effectués par le CHL sur ce (seul) échantillon ?".
"Erreur" du ministère de la Santé
Sollicitée pour des explications et des précisions par rapport aux propos tenus par Aqua Springs Mauritius Ltd, la cellule de communication du ministère de la Santé confirme qu'effectivement, le prélèvement a été effectué le 24 janvier, et que "puisque la bactérie a été détectée dans l'eau et non dans la bouteille", toute production doit être arrêtée pour s'assurer qu'il n'y a aucun autre risque de contamination. Le ministère écarte toute possibilité de contamination au sein du Central Health Laboratory.
On nous affirme que seul le Central Health Laboratory dispose d'informations sur la date et le nombre de tests effectués. Nous avons alors lu à haute voix le communiqué du ministère de la Santé, rappelant à notre interlocuteur que selon le communiqué, les tests ont été effectués le 27 février. Il finit par dire que c'est "une erreur qui a été commise sur le communiqué". "Nous n'avons pas connaissance de la date à laquelle les tests ont été effectués. Les résultats ont été connus plutôt le 27 février", affirme-t-il.
On nous explique également que ce n'est que lorsque le CHL détecte la présence d'une bactérie dans les échantillons lors des contrôles de routine pour toutes les entreprises que le ministère est informé, afin qu'il puisse mettre en oeuvre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité publique. Mais, comment expliquer le délai de plus d'un mois pour que des résultats d'une telle nature - qui ont un impact sur la santé de chacun puisque l'eau produite et commercialisée par Aqua Springs Mauritius est utilisée par une partie de la population - soient rendus publics ? "La responsabilité incombe au CHL, c'est lui qui nous a transmis les résultats tardivement", apprend-on.
Pseudomonas aeruginosa: quels dangers potentiels pour la santé?
Bien que le communiqué du 28 février émis par le ministère de la Santé ne détaille pas les risques de santé associés à cette bactérie, le "Centers for Disease Control and Prevention" (CDC) aux Etats-Unis explique que Pseudomonas aeruginosa vit dans l'environnement et peut se transmettre aux personnes lorsqu'elles sont exposées à de l'eau ou à de la terre contaminée par ces bactéries. Elles peuvent provoquer des infections dans le sang et les poumons (pneumonie), entre autres. Cependant, le ministère de la Santé souligne qu'aucun cas de maladie associée à cette bactérie n'a été rapporté à ce stade.
Don de 9 000 bouteilles lors du Guinness World Record à Belle-Vue
Autre fait troublant. On apprend qu'Aqua Springs Mauritius avait fait un don de 9 000 bouteilles d'eau aux participants à l'événement visant à battre le Guinness World Record du "World Largest Human Image of a Waving Flag", au stade Anjalay. Cet événement avait eu lieu le 24 janvier 2023, le jour même où l'échantillon d'eau en bouteille avait été collecté à Aqua Springs Mauritius pour être testé. Or, sur les 9 000 bouteilles qui ont été offertes, 4 800 provenaient du même lot de production que celui dont l'échantillon a été testé et où la bactérie a été détectée, confirme Vishal Nowbuth.
Et il s'interroge à nouveau : "Si la bactérie a été détectée dans l'eau, pourquoi aucun cas de maladie n'a été rapporté, comme l'affirme le ministère ? Et dans le cas où une épidémie se serait déclenchée puisque l'eau a depuis été consommée par beaucoup plus de personnes, qui en aurait été responsable, car nous n'avons rien su pendant plus d'un mois?" Le Central Health Laboratory, on suppose, puisque les résultats ont tardé à venir ? Réponse : un "exact" plutôt hésitant de la part de la cellule de communication du ministère.
Nous avons contacté le CHL pour plus d'explications, notre appel a été transféré à son département de bactériologie. Il nous a été répondu que c'est le responsable du département qui doit répondre. Et lorsque nous l'avons contacté, ce dernier nous a simplement dit qu'il n'avait aucune autorisation de la part du ministère pour nous parler.
Les tests indépendants sur de nouveaux échantillons se sont révélés négatifs
A l'heure où nous mettions sous presse, nous apprenons que les résultats des tests effectués sur de nouveaux échantillons d'eau qu'Aqua Springs Mauritius avait envoyés à deux laboratoires privés afin de détecter la présence éventuelle de la bactérie - après le communiqué émis par le ministère de la Santé le 28 février - se sont révélés négatifs. "Ces résultats ont déjà été communiqués au ministère de la Santé", affirme Vishal Nowbuth.