Sénégal: Bouna Alboury Ndiaye, SG du Rnd - 'Le temps de Cheikh Anta Diop a sonné pour la survie de nos États'

interview

Bouna Alboury Ndiaye, secrétaire général du Rassemblement national démocratique (Rnd), depuis novembre dernier, revient dans cet entretien sur le programme du centenaire de la naissance de Cheikh Anta Diop, fondateur du parti. Pour lui, le temps du " Pharaon du savoir " a sonné parce que sa pensée est toujours d'actualité avec les menaces sur nos fragiles États, lesquels sont obligés de se regrouper pour survivre.

Vous êtes, depuis le mois de novembre dernier, le Secrétaire général du Rassemblement national démocratique (Rnd). Le constat est que votre parti n'est pas très bien présent sur la scène politique. Qu'est-ce qui explique cette situation qu'on peut qualifier de léthargie politique ?

En réalité, il faut faire la distinction entre la scène politique et la scène médiatique. Il est vrai que pendant longtemps, le Rnd a manqué de visibilité et d'audibilité sur la scène médiatique, mais il est présent sur la scène politique. Il mène un certain nombre d'activités. Le Secrétariat politique qui est l'organe d'exécution, de direction se réunit toutes les semaines. Le Comité directeur qui est l'organe entre deux congrès se réunit pour les grandes orientations, pour apprécier et étudier les questions essentielles de la situation politique nationale, mais aussi les activités de célébration liées à des repères historiques, notamment certains anniversaires de la création de notre parti ou de la disparition de Cheikh Anta Diop. Le Rnd appartient aussi à la coalition " Benno bokk yaakaar " (Bby) et comme vous le savez, cela a un certain nombre d'exigences par rapport à la discipline de groupe qui fait souvent qu'on dissout ses activités, ses prises de position dans celles de la coalition. Mais le Rnd a, aujourd'hui, besoin, et c'est l'une des missions de la nouvelle direction, de rendre plus audible et visible ses activités et prises de position sur des questions liées à l'actualité nationale et internationale.

En tant que nouveau Secrétaire général, comment comptez-vous relancer les activités et l'animation au sein du Rnd ?

Dès notre installation au Secrétariat général, suite au retrait du Professeur Madior Diouf intervenu le 18 novembre 2022, le Secrétariat exécutif politique (Sen) a élaboré une feuille de route pour la redynamisation de notre parti. Cette feuille de route concerne un premier volet lié à la réorganisation et à l'animation. Dans le cette réorganisation, nous avons opéré un élargissement du Sen. Cet élargissement a permis l'arrivée de jeunes et de nouveaux responsables. Il y a ensuite l'élargissement du Comité directeur et depuis lors, nous commençons à avoir des retours d'anciens et de nouveaux camarades pour appuyer la nouvelle dynamique. En vue, il y a aussi la convocation du Comité directeur pour la préparation du congrès qui devra intervenir bientôt pour réorganiser globalement le parti. Il faut aussi dire qu'il est prévu une tournée nationale auprès de certaines fédérations où le Rnd est présent, mais aussi d'aller au-delà des bases existantes en créant des structures là où elles n'existent pas pour permettre d'opérer le maillage complet du territoire. Même dans la diaspora, des Sénégalais manifestent leur volonté d'adhérer au Rnd. Depuis le mois de février, dans la célébration du centenaire de la naissance du Professeur Cheikh Anta Diop, nous avons commencé à organiser des conférences pour les jeunes, pour mieux les impliquer dans le parti, mais aussi en vue de leur formation pour répandre la conscience panafricaine.

Le deuxième volet de la feuille de route concerne des démarches que nous sommes en train d'entreprendre auprès d'anciens camarades pour leur retour, mais en même temps pour des formations politiques issues du Rnd ou de ceux qui se réclament de la pensée de la Cheikh Anta Diop pour la reconstitution de sa grande famille politique. Cela nous tient à coeur et la nouvelle direction a fait de cette démarche une mission essentielle pour donner une force à la grande famille politique de Cheikh Anta Diop, porteuse de la pensée la plus actuelle en Afrique.

Quelle est votre position politique actuellement. Êtes-vous toujours dans la majorité présidentielle ?

Jusqu'au moment où je vous parle, notre parti appartient à Bby. Cela, depuis la mise en place de la coalition à l'entre deux tours de l'élection présidentielle de 2012. Notre parti, dont la philosophie est le rassemblement, a fait l'option, en réalité, depuis 2000, de participer à des initiatives de rassemblement qui donnent toujours les résultats que nous avons. En 2000, nous avons appartenu à la coalition Forces alliées (Fal 2012) et avons participé à la première alternance et en 2012, nous avons appartenu à Bby et avons participé à la deuxième alternance.

Comment appréciez-vous la situation politique très tendue actuellement à moins d'une année de la présidentielle de 2024 ?

La situation à laquelle nous assistons actuellement est regrettable à la limite même intolérable. Si nos contradictions sont strictement politiques, les tensions que nous observons n'en valent pas la peine. Il faudrait, à la mesure des enjeux, que l'on prenne conscience de la nécessité, pour chacun, d'observer les règles, les respecter pour que notre démocratie, exemplaire en Afrique, reste ce qu'elle a toujours été. Des contradictions politiques, nous les avons toujours connues, mais nous avions eu des leviers et des ressorts pour régler toutes les questions politiques dans le dialogue et la conciliation. Je crois qu'il ne faudrait pas que, par la violence, qu'on cherche à régler ce qu'on peut régler par le dialogue et la concertation. C'est la raison pour laquelle, il faut éviter de faire l'amalgame entre des questions d'ordre privé et des questions essentiellement politiques. C'est pour cette raison qu'il faut bannir la violence comme moyen de règlement des questions politiques si tant est que nos contradictions soient essentiellement politiques. Nos acquis démocratiques doivent être préservés et notre idéal démocratique devra être respecté dans le cadre d'un gentleman agrément. Il ne faudra pas que l'on donne l'impression que le Sénégal recule sur le plan démocratique par nos comportements personnels et politiciens.

Comment votre parti compte aborder la prochaine présidentielle. Auriez-vous un candidat ?

Le Rnd est un parti démocratique dont les prises de décision obéissent à des procédures démocratiques dans ses instances régulières. Nous allons vers un Comité directeur qui doit préparer la tenue d'un congrès. C'est ce congrès-là qui aura en charge de déterminer les conditions, les moyens de notre participation à la prochaine élection présidentielle. Mais d'ores et déjà, ce que l'on peut dire, c'est que le Rnd entend jouer un rôle majeur dans cette prochaine élection présidentielle. Il ne sera plus question, pour nous, d'être des spectateurs.

Cette année marque le centenaire de la naissance de Cheikh Anta Diop, fondateur et premier Secrétaire général du Rnd. Que retenez-vous de l'héritage de l'homme ?

L'héritage du Rnd est resté intact. Ses enseignements sont toujours actuels parce que tout simplement jusqu'ici, ils ne sont pas encore démentis par la situation peu enviable de l'Afrique. C'est pourquoi il faut constater que les idées qu'il a toujours prônées, qui constituent sa pensée scientifique au service de son projet politique, constituent la source d'inspiration première de l'Afrique et de sa jeunesse pour la libération du continent. C'est une évidence qu'après plus de 60 ans d'indépendance, l'Afrique reste toujours à la traine. La plupart de nos États sont peu viables. Face à cette situation, la pensée de Cheikh Anta Diop, qui est le remède radical pour changer la situation de l'Afrique, reste toujours intacte. Le Rnd est, aujourd'hui, la seule voie de salut pour la renaissance de l'Afrique.

Cheikh Anta Diop a longtemps prêché pour une unité africaine. Au vu du contexte, avec des États presque en faillite, notamment dans le Sahel, est ce que sa pensée est toujours d'actualité ?

Il est évident que l'expérience vécue jusqu'ici par l'Afrique n'a rien donné de viable parce que tout simplement les alertes qu'il avait lancées en 1960, dans le cadre des " fondements économiques et culturels d'un État fédéral d'Afrique noire ", sont toujours d'actualité. Cheikh Anta Diop attirait l'attention de l'Afrique sur l'absence d'unité qui devait irrémédiablement se faire, avec l'émiettement de nos États. L'absence d'unité a fait, aujourd'hui, que la misère s'est installée en Afrique. La situation de cette jeunesse anxieuse, déboussolée, sans espoir, confirme l'alerte de Cheikh Anta Diop qui avait dit, en 1960, " vous les jeunes, si vous ne réalisez pas la fédération, vous vivrez l'enfer sur cette terre d'Afrique ". C'est le lieu où sa pensée s'avère la plus juste. L'absence de fédération, ne serait-ce qu'en Afrique de l'Ouest, a créé cette situation d'instabilité totale. Cheikh Anta Diop avait dit que la sécurité précède le développement. Si l'Afrique avait suivi la pensée de Cheikh Anta Diop, avec la réalisation de la fédération, aujourd'hui, le continent serait doté de moyens logistiques et militaires pour assurer sa propre sécurité. Mais aujourd'hui, on est obligé d'aller chercher un secours pour assurer la sécurité de nos États, alors que la première indépendance est celle qui est militaire, la capacité d'un État à se défendre. Comme Cheikh Anta Diop nous y appelle, il faut que l'Afrique réalise sa fédération pour assurer une survie collective. Dans les " fondements économiques et culturels d'un État fédéral d'Afrique noire ", il nous donne les moyens pour assurer notre propre sécurité.

Comment les enseignements de Cheikh Anta Diop peuvent-ils aider le Sénégal et l'Afrique dans ces moments ?

Pour que les enseignements de Cheikh Anta Diop puissent aider l'Afrique et le Sénégal, il faudra d'abord qu'au Sénégal, qu'on s'approprie de sa pensée. Il faut accepter que le temps de Cheikh Anta Diop a sonné. Il faut faire basculer l'Afrique sur la pente de son destin fédéral parce qu'il n'y a pas d'autres saluts et c'est la voie de la survie, car nous sommes dans un monde qui ne nous fait pas de cadeaux. Pour que l'Afrique ait sa place, il faut qu'elle se dote d'une puissance continentale qui ne peut passer que par la création d'un État fédéral.

Pour le centenaire de la naissance de Cheikh Anta Diop, qu'est-ce que votre parti a prévu tout au long de l'année ?

2023, c'est l'année du centième anniversaire de la naissance de Cheikh Anta Diop. Le Rnd entend célébrer cet anniversaire durant toute l'année. Nous avons commencé avec ce mois de février qui est le " Black story month ", mois de l'histoire des noirs. Ce mois est symbolique aussi pour nous, car le 3 février 1976, Cheikh Anta Diop a créé le Rnd et le 7 février 1986, il est retourné auprès de son seigneur.

C'est pourquoi nous avons commencé à organiser des conférences à travers le pays et nous allons poursuivre cette démarche d'animation, de formation et d'éducation des jeunes durant toute l'année jusqu'au mois de décembre (mois de sa naissance) qui sera le clou des évènements avec des rencontres de spécialistes, mais aussi des rencontres politiques. Ce ne sera pas seulement une affaire d'universitaires ou d'intellectuels parce qu'il est temps de décloisonner la pensée de Cheikh Anta Diop avec le slogan " Sortir la pensée Cheikh Anta Diop des carcans de l'académisme " pour la diffuser dans la jeunesse et dans les masses afin de créer les conditions de sa matérialisation.

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