Ile Maurice: Yildiz Aumeeruddy-Thomas - 'On traite la nature de la même façon que l'on traite les autres humains'

Directrice de recherche au CNRS, Yildiz Aumeeruddy-Thomas mêle écologie et anthropologie, explorant depuis des décennies l'interaction des hommes avec la nature.

Son terrain de jeu, c'était le ravin entre Balfour et le château du Réduit. La maison familiale de Yildiz Aumeeruddy-Thomas à Beau-Bassin s'appelait Ravine's side. Depuis, elle sonde la façon dont on traite la nature, ce "miroir de la façon dont on traite les humains".

Un sujet vaste comme le monde que Yildiz Aumeeruddy-Thomas, directrice de recherches au Centre national de la recherche scientifique en France quadrille à l'échelle globale. Elle était récemment de passage au pays natal. Tant pis si du haut de ses 35 ans de recherches, ses connaissances pointues en anthropologie de la nature, Maurice ne l'a "jamais contactée officiellement".

Après le Lycée Labourdonnais, elle s'oriente vers l'étude de l'écologie en France. "À Maurice, le gros de la nature, c'est la canne à sucre. On a été l'un des pays avec le taux de monoculture le plus élevé au monde."

Après la licence, elle a pour enseignant Francis Hallé, "l'un des plus grands écologues tropicalistes (NdlR, qui prévoit et analyse l'impact des activités humaines sur l'environnement)". Rencontre décisive.

L'étudiante souhaite qu'il dirige son Diplôme d'études approfondies (DEA). Réponse : "Rentrez chez vous, regardez, lisez, développez des sujets. On verra après." Elle suit le conseil et revient avec deux propositions. Rejetées. À la place, il lui propose un "sujet bizarre" : étudier pourquoi certains arbres coupés repoussent et d'autres non.

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Pour le stage de DEA, direction Sumatra. On imagine les conditions de voyage en 1984, le bus qui s'arrête en chemin "pour nous faire manger des fruits locaux qu'on n'avait jamais goûtés : durians, mangoustan, ramboutan". En plus d'admirer "la plus grande fleur du monde qui est carnivore", elle est en immersion dans le pays des Minangkabaus, "leurs richesses civilisationnelles préservées dans un système matriarcal".

Durant l'enquête de terrain, l'étudiante observe autant les arbres que les gens. La voilà happée par l'ethnoécologie, pour "comprendre les savoirs, les pratiques, les perceptions, tout l'environnement culturel qui fait que les gens ont développé un rapport différent à la nature. Qu'est-ce qui, sur le plan culturel explique pourquoi il y a 50 espèces dans leur jardin et nous on n'a que de la canne".

Après le DEA, elle retourne à Sumatra pour la thèse de doctorat. Comme "la partie écologie ne l'intéresse plus tellement" elle creuse la "dimension culturelle des rapports à la nature". C'est le fil conducteur de tous ses travaux depuis sa thèse, affirme-t-elle.

À Sumatra, Yildiz Aumeeruddy-Thomas interroge les mythes fondateurs, construit un corpus ethnologique de poèmes, rituels, du langage du bazar, des rizières, du village, du jardin. Elle assiste aux rites de possession, ce lien avec les ancêtres. Elle décortique la relation avec les colons et le pouvoir central javanais.

Principale théorie : "On traite la nature de la même façon que l'on traite les autres humains. C'est un miroir culturel. Jusqu'à aujourd'hui, je continue de tester cette théorie dans d'autres sociétés."

Rapportée à Maurice, cette théorie fait dire au directeur de recherche que "le système d'exploitation de l'autre - esclavage et engagisme - est à l'image de l'exploitation de la nature". Une théorie qui se revérifie, dit-elle, car "si on décide à Maurice de bétonner le pays au détriment de la nature, c'est parce qu'on a une relation aux autres fondée sur une économie inégalitaire".

Son engagement, c'est aussi la valorisation des savoirs locaux, en médecine traditionnelle, en agriculture traditionnelle, "pour accompagner plutôt que de produire. On parle de milliards d'humains qui au quotidien ont des savoirs qui ne sont pas des savoirs scientifiques, qui peuvent changer les choses".

Pendant huit ans, Yildiz Aumeeruddy-Thomas est responsable d'un programme de formation en ethnobotanie, qui donne les clés à des jeunes pour travailler sur les savoirs locaux. Ce qui l'a menée par exemple à la rencontre de médecins traditionnels tibétains "qui sont de grands érudits. Au début, je me sentais toute petite avec eux. Ils ont autant de savoirs que nous, mais différemment".

Entre 2015 à 2019, elle est engagée pour évaluer l'état de la planète en matière de biodiversité dans la Plateforme intergouvernementale pour la biodiversité et les services écosystémiques. Sa fierté : la reconnaissance des savoirs locaux parce que "au moins le quart de la biodiversité terrestre est dans les territoires des peuples autochtones".

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