Rivière-Noire est devenue un véritable Far West. L'arrestation de Jean Hubert Celerine n'a pas ramené l'ordre. Au contraire, les hommes du trafiquant de drogue semblent encore plus nerveux et font ce qu'ils veulent sous le regard indifférent, ou effrayé, de la police. Une victime nous raconte.
Durant la détention de Franklin, un mouton et un boeuf auraient été volés de l'animal farm de ce dernier aux Salines-Pilot, à Rivière-Noire. Ses employés n'auraient pas déposé plainte auprès de la police de Rivière- Noire. Cette dernière, mise sous pression dernièrement, ne pouvait courir après des voleurs de bétail d'un site squatté ! Les hommes de Franklin ont donc enquêté et fait justice eux-mêmes en enlevant, le mardi 21 février, un habitant de Rivière-Noire, Lindley, suspecté par eux d'être le voleur, et en le passant à tabac.
La victime de l'agression nous a raconté comment il a été kidnappé sur un terrain de pétanque. "Trois voitures ont subitement surgi avec, à bord, environ huit gros bras que je pourrai reconnaître. Je connais même l'identité de la plupart d'entre eux. Ils m'ont emmené dans une cité aux Salines, dans un coin isolé derrière une grotte. Ils ont commencé à me frapper à l'aide d'un épais tuyau d'arrosage de couleur noire et m'ont roué de coups de pied." Lorsque Lindley a demandé la raison de ce déchaînement de violence sur sa pauvre personne - il est plutôt chétif -, on lui a parlé d'un boeuf et d'un mouton volés à la ferme de "misié la". Malgré ou à cause des dénégations de Lindley, les coups ont continué à pleuvoir pendant plusieurs minutes.
Les nervis l'ont ensuite emmené à Petite-Rivière-Noire, près du terrain de football. Là, toujours selon les dires de Lindley, en présence de nombreux habitants, ils l'ont traîné hors de la voiture et la raclée a recommencé. Personne n'a eu le courage d'intervenir pour délivrer Lindley. Cette "correction" publique avait pour but, semble-t-il, de décourager tout potentiel voleur d'animaux. Un peu comme dans les westerns, quoi. À la fin, une boutiquière est intervenue pour calmer les agresseurs.
Mais ce n'était pas fini pour Lindley. Les hommes l'ont fait remonter en voiture, direction Case-Noyale, où Lindley a subi encore des violences, où on lui a demandé où se trouvaient ses complices et les animaux volés. Puis, retour à Rivière-Noire à la cité où il avait été battu un peu plus tôt. Après quelques coups supplémentaires, destinés comme les précédents à lui faire avouer le vol de bétail, un des agresseurs a ordonné aux autres d'arrêter en lançant : "Les li. Pa li sa." S'adressant à Lindley, sur un ton qui semblait vouloir dire qu'il leur a fait perdre leur temps pour rien, il a dit : "Alé, bez simé alé."
Lorsque Lindley s'est rendu au poste de police de Rivière- Noire pour porter plainte contre ses agresseurs, il y a rencontré son épouse, qui y était déjà pour faire une déposition après qu'elle a appris que son mari venait d'être enlevé. Elle a alors fait part à Lindley des menaces qu'elle venait de recevoir de la part des hommes de Franklin si le couple faisait une déposition contre eux. La dame a voulu quand même déposer plainte, mais la police ne l'a pas prise...
"Si to pé fer 'case', nou pou touy twa"
Quant à Lindley, les policiers du poste de police de Rivière- Noire l'ont emmené à l'hôpital en le voyant défaillir. À l'hôpital Yves Cantin, dans la salle d'attente, Lindley a vu trois de ses agresseurs débouler et se diriger vers lui. Étaient présents plusieurs autres patients, des employés de l'hôpital et trois policiers de la station de Rivière-Noire, dont un sergent. Un des trois bouncers a alors lancé à Lindley d'un ton menaçant et à haute voix : "Si to pé fer case, nou pou touy twa..." Ils ont pris la sortie sous le regard ahuri des témoins qui avaient, tous, les yeux fixés sur les policiers qui n'ont pas levé le petit doigt ni prononcé un seul mot.
Lindley n'a rien dit et a attendu son tour pour être examiné. Le médecin lui a recommandé une radiographie. Or, il n'y avait pas d'électricité ce jour-là, lui a-t-on dit. Il y avait des coupures d'électricité un peu partout dans l'île après le passage du cyclone Freddy... On lui a recommandé d'aller à l'hôpital Victoria, à Candos. En route, il a remarqué que la voiture des nervis le suivait. Arrivé à l'hôpital de Candos, il a vu les malfrats tourner autour de l'entrée. Il a décidé de déposer plainte à la station se trouvant dans la cour de l'hôpital. Refus du policier de prendre sa déposition. Lindley s'est alors rendu à la station de La Louise. Même refus. Explications des policiers : "Il faut faire la déposition à l'endroit où le délit a été commis." C'est-à-dire à Rivière- Noire, même si Lindley a peur d'y aller.
Lindley se cache dans un autre endroit ; il attend toujours qu'un gentil avocat l'accompagne et l'assiste pro bono pour le dépôt de sa plainte. Il est sans ressources, ne travaillant pas. La faim et la peur les tenaillent, son épouse et lui. Selon nos informations, la police de Rivière-Noire n'a pas encore arrêté les présumés agresseurs. Ils attendraient patiemment que Lindley revienne vers eux...