L'ombiasa (devin, sorcier-guérisseur) est, dans la " civilisation du boeuf ", à mi-chemin entre le monde des vivants et celui des ancêtres.
Achillon Randrianjafizanaka l'étudie dans son dossier sur les vols de boeufs, en évoquant cette civilisation (revue Terre malgache-Tany malagasy, N°14 déc. 1972-janv. 1973). Selon l'auteur, tout voleur prévoyant contracte des alliances de sang aussi bien dans son propre village que partout " où il escompte faire une descente un jour ". Le moment venu, ses frères de sang l'aideront soit en sortant les boeufs, soit en les cachant, soit, enfin, en prenant part aux poursuites dans le but de conduire le Fokonolona et les gendarmes sur une fausse piste. Le serment par lequel deux frères de sang se jurent fidélité s'exprime ainsi : " Si l'un de nous trompe son frère de sang, qu'il lui arrive malheur; si son frère de sang lui vient en aide et qu'en échange, il fasse preuve d'ingratitude, qu'il soit victime de son serment ; s'il ne prête pas main forte à l'autre, qu'il soit puni également. "
Ce serment prononcé devant témoins et sous la présidence d'un ombiasa, lie à jamais les deux hommes et leurs familles. " Un nouveau groupe est donc né. Alors le chef de district aura beau enquêter, personne n'a rien vu. " L'auteur définit ainsi l'ombiasa comme un peu du genre sorcier indien des romans d'aventure cow-boy et indique que l'image symbolique du mohara, corne (de boeuf)-amulette semble lui conférer une force magique (lire précédente note). De plus, par la force des choses, il est amené " à découvrir certaines choses de nature à subjuguer les esprits superstitieux " et se voit, pendant longtemps, occuper une place d'honneur dans la vie du village. Cependant, " l'introduction du christianisme l'a obligé à rester à l'écart, car être chrétien commençait aussi à devenir synonyme de civilisé ".
De surcroit, la généralisation des postes médicaux lui a enlevé une grande partie de sa clientèle. Achillon Randrianjafizanaka reconnait que, outre ses prétentions de connaitre l'avenir par le sikidy, il possède des qualités réelles de bon observateur et de philosophe. Telles la connaissance de plantes médicales et la connaissance de l'astronomie ainsi que l'histoire du groupe. Consulté et sollicité pour différents problèmes qui touchent la vie sociale ou privée de chacun, il connait tout ce qui se passe, est au courant des drames internes aux ménages, est averti des coups qui se préparent.
" Normalement, il ne fait pas du mal, sauf, peut-être, aux ennemis de ses amis, comprenez ceux qui savent offrir de larges pourboires. " Se bornant à rappeler son rôle dans le phénomène " vol des boeufs ", il peint l'ombiasa comme " un homme pratique, estimant la richesse à sa juste valeur, sans scrupule, sachant escroquer quand il le faut. Il est de ceux pour qui l'argent n'a pas d'odeur, qu'il vienne de l'honnête éleveur qui demande un talisman pour protéger son parc à boeufs, de la malheureuse épouse qui désespère de ne pas avoir d'enfant, ou du prévoyant voleur de boeufs qui veut s'assurer le concours du sikidy ". Le dahalo croit alors qu'il peut défier les forces de l'ordre en criant rano, rano (eau, eau), " convaincus que leurs cris changeront les balles en eau ".
L'ombiasa est toujours au courant de tout, il est même le mieux informé de la région. Si un heureux hasard veut que le propriétaire visé passe après le voleur, justement pour le talisman de protection, alors la fortune du devin est assurée. Il ne va pas révéler les desseins du premier car " ce serait trop facile ". Ce sont les dieux qui l'ont averti par le sikidy, que quelqu'un veut profiter de la nuit pour tenter de sortir les boeufs, affirme-t-il. " Alors tel jour, à telle heure il ne faudrait pas dormir. " Il n'est pas étonnant que l'administration fait également la chasse aux " magiciens-guérisseurs " depuis l'Indépendance, comprenant qu'il contribue beaucoup à la persistance des vols de boeufs.